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Les Cinq Cents Millions de la Begum encore plus morale que physique.

Publié le 12/04/2014

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morale
Les Cinq Cents Millions de la Begum encore plus morale que physique. A cette époque, il demeurait donc à France-Ville dans la maison du docteur. Sa soeur Jeanne, à en juger du moins par l'apparence, était alors une exquise jeune fille de dix-neuf ans, à laquelle son séjour de quatre années dans sa nouvelle patrie avait donné toutes les qualités américaines, ajoutées à toutes les grâces françaises. Sa mère disait parfois qu'elle n'avait jamais soupçonné, avant de l'avoir pour compagne de tous les instants, le charme de l'intimité absolue. Quant à Mme Sarrasin, depuis le retour de l'enfant prodigue, son dauphin, le fils aîné de ses espérances, elle était aussi complètement heureuse qu'on peut l'être ici-bas, car elle s'associait à tout le bien que son mari pouvait faire et faisait, grâce à son immense fortune. Ce soir-là, le docteur Sarrasin avait reçu, à sa table, deux de ses plus intimes amis, le colonel Hendon, un vieux débris de la guerre de Sécession, qui avait laissé un bras à Pittsburgh et une oreille à Seven- Oaks, mais qui n'en tenait pas moins sa partie tout comme un autre à la table d'échecs ; puis M. Lentz, directeur général de l'enseignement dans la nouvelle cité. La conversation roulait sur les projets de l'administration de la ville, sur les résultats déjà obtenus dans les établissements publics de toute nature, institutions, hôpitaux, caisses de secours mutuel. M. Lentz, selon le programme du docteur, dans lequel l'enseignement religieux n'était pas oublié, avait fondé plusieurs écoles primaires où les soins du maître tendaient à développer l'esprit de l'enfant en le soumettant à une gymnastique intellectuelle, calculée de manière à suivre l'évolution naturelle de ses facultés. On lui apprenait à aimer une science avant de s'en bourrer, évitant ce savoir qui, dit Montaigne, (( nage en la superficie de la cervelle )), ne pénètre pas l'entendement, ne rend ni plus sage ni meilleur. Plus tard, une intelligence bien préparée saurait, elle-même, choisir sa route et la suivre avec fruit. Les soins d'hygiène étaient au premier rang dans une éducation si bien ordonnée. C'est que l'homme, corps et esprit, doit être également assuré de ces deux serviteurs ; si l'un fait défaut, il en souffre, et l'esprit à lui seul succomberait bientôt. A cette époque, France-Ville avait atteint le plus haut degré de prospérité, non seulement matérielle, mais intellectuelle. Là, dans des congrès, se réunissaient les plus illustres savants des deux mondes. Des artistes, peintres, sculpteurs, musiciens, attirés par la réputation de cette cité, y affluaient. Sous ces maîtres étudiaient de jeunes Francevillais, qui promettaient d'illustrer un jour ce coin de la terre américaine. Il était donc permis de prévoir que cette nouvelle Athènes, française d'origine, deviendrait avant peu la première des cités. Il faut dire aussi que l'éducation militaire des élèves se faisait dans les Lycées concurremment avec l'éducation civile. En en sortant, les jeunes gens connaissaient, avec le maniement des armes, les premiers éléments de stratégie et de tactique. Aussi, le colonel Hendon, lorsqu'on fut sur ce chapitre, déclara-t-il qu'il était enchanté de toutes ses recrues. (( Elles sont, dit-il, déjà accoutumées aux marches forcées, à la fatigue, à tous les exercices du corps. Notre armée se compose de tous les citoyens, et tous, le jour où il le faudra, se trouveront soldats aguerris et disciplinés. )) France-Ville avait bien les meilleures relations avec tous les Etats voisins, car elle avait saisi toutes les occasions de les obliger ; mais l'ingratitude parle si haut, dans les questions d'intérêt, que le docteur et ses amis n'avaient pas perdu de vue la maxime : Aide-toi, le Ciel t'aidera ! et ils ne voulaient compter que sur eux-mêmes. XI UN DINER CHEZ LE DOCTEUR SARRASIN 63 Les Cinq Cents Millions de la Begum On était à la fin du dîner ; le dessert venait d'être enlevé, et, selon l'habitude anglo-saxonne qui avait prévalu, les dames venaient de quitter la table. Le docteur Sarrasin, Octave, le colonel Hendon et M. Lentz continuaient la conversation commencée, et entamaient les plus hautes questions d'économie politique, lorsqu'un domestique entra et remit au docteur son journal. C'était le New York Herald. Cette honorable feuille s'était toujours montrée extrêmement favorable à la fondation puis au développement de France-Ville, et les notables de la cité avaient l'habitude de chercher dans ses colonnes les variations possibles de l'opinion publique aux Etats-Unis à leur égard. Cette agglomération de gens heureux, libres, indépendants, sur ce petit territoire neutre, avait fait bien des envieux, et si les Francevillais avaient en Amérique des partisans pour les défendre, il se trouvait des ennemis pour les attaquer. En tout cas, le New York Herald était pour eux, et il ne cessait de leur donner des marques d'admiration et d'estime. Le docteur Sarrasin, tout en causant, avait déchiré la bande du journal et jeté machinalement les yeux sur le premier article. Quelle fut donc sa stupéfaction à la lecture des quelques lignes suivantes, qu'il lut à voix basse d'abord, à voix haute ensuite, pour la plus grande surprise et la plus profonde indignation de ses amis : (( New York, 8 septembre. Un violent attentat contre le droit des gens va prochainement s'accomplir. Nous apprenons de source certaine que de formidables armements se font à Stahlstadt dans le but d'attaquer et de détruire France-Ville, la cité d'origine française. Nous ne savons si les Etats-Unis pourront et devront intervenir dans cette lutte qui mettra encore aux prises les races latine et saxonne ; mais nous dénonçons aux honnêtes gens cet odieux abus de la force. Que France-Ville ne perde pas une heure pour se mettre en état de défense... etc. )) XII LE CONSEIL Ce n'était pas un secret, cette haine du Roi de l'Acier pour l'oeuvre du docteur Sarrasin. On savait qu'il était venu élever cité contre cité. Mais de là à se ruer sur une ville paisible, à la détruire par un coup de force, on devait croire qu'il y avait loin. Cependant, l'article du New York Herald était positif. Les correspondants de ce puissant journal avaient pénétré les desseins de Herr Schultze, et ils le disaient , il n'y avait pas une heure à perdre ! Le digne docteur resta d'abord confondu. Comme toutes les âmes honnêtes, il se refusait aussi longtemps qu'il le pouvait à croire le mal. Il lui semblait impossible qu'on pût pousser la perversité jusqu'à vouloir détruire, sans motif ou par pure fanfaronnade, une cité qui était en quelque sorte la propriété commune de l'humanité. (( Pensez donc que notre moyenne de mortalité ne sera pas cette année de un et quart pour cent ! s'écria-t-il naïvement, que nous n'avons pas un garçon de dix ans qui ne sache lire, qu'il ne s'est pas commis un meurtre ni un vol depuis la fondation de France-Ville ! Et des barbares viendraient anéantir à son début une expérience si heureuse ! Non ! Je ne peux pas admettre qu'un chimiste, qu'un savant, fût-il cent fois germain, en soit capable ! )) Il fallut bien, cependant, se rendre aux témoignages d'un journal tout dévoué à l'oeuvre du docteur et aviser sans retard. Ce premier moment d'abattement passé, le docteur Sarrasin, redevenu maître de lui-même, s'adressa à ses amis : (( Messieurs, leur dit-il, vous êtes membres du Conseil civique, et il vous appartient comme à moi de prendre XII LE CONSEIL 64
morale

« On était à la fin du dîner ; le dessert venait d'être enlevé, et, selon l'habitude anglo-saxonne qui avait prévalu, les dames venaient de quitter la table. Le docteur Sarrasin, Octave, le colonel Hendon et M.

Lentz continuaient la conversation commencée, et entamaient les plus hautes questions d'économie politique, lorsqu'un domestique entra et remit au docteur son journal. C'était le New York Herald.

Cette honorable feuille s'était toujours montrée extrêmement favorable à la fondation puis au développement de France-Ville, et les notables de la cité avaient l'habitude de chercher dans ses colonnes les variations possibles de l'opinion publique aux Etats-Unis à leur égard.

Cette agglomération de gens heureux, libres, indépendants, sur ce petit territoire neutre, avait fait bien des envieux, et si les Francevillais avaient en Amérique des partisans pour les défendre, il se trouvait des ennemis pour les attaquer.

En tout cas, le New York Herald était pour eux, et il ne cessait de leur donner des marques d'admiration et d'estime. Le docteur Sarrasin, tout en causant, avait déchiré la bande du journal et jeté machinalement les yeux sur le premier article. Quelle fut donc sa stupéfaction à la lecture des quelques lignes suivantes, qu'il lut à voix basse d'abord, à voix haute ensuite, pour la plus grande surprise et la plus profonde indignation de ses amis : (( New York, 8 septembre.

\24 Un violent attentat contre le droit des gens va prochainement s'accomplir.

Nous apprenons de source certaine que de formidables armements se font à Stahlstadt dans le but d'attaquer et de détruire France-Ville, la cité d'origine française.

Nous ne savons si les Etats-Unis pourront et devront intervenir dans cette lutte qui mettra encore aux prises les races latine et saxonne ; mais nous dénonçons aux honnêtes gens cet odieux abus de la force.

Que France-Ville ne perde pas une heure pour se mettre en état de défense...

etc.

)) XII LE CONSEIL Ce n'était pas un secret, cette haine du Roi de l'Acier pour l'oeuvre du docteur Sarrasin.

On savait qu'il était venu élever cité contre cité.

Mais de là à se ruer sur une ville paisible, à la détruire par un coup de force, on devait croire qu'il y avait loin.

Cependant, l'article du New York Herald était positif.

Les correspondants de ce puissant journal avaient pénétré les desseins de Herr Schultze, et \24 ils le disaient \24, il n'y avait pas une heure à perdre ! Le digne docteur resta d'abord confondu.

Comme toutes les âmes honnêtes, il se refusait aussi longtemps qu'il le pouvait à croire le mal.

Il lui semblait impossible qu'on pût pousser la perversité jusqu'à vouloir détruire, sans motif ou par pure fanfaronnade, une cité qui était en quelque sorte la propriété commune de l'humanité. (( Pensez donc que notre moyenne de mortalité ne sera pas cette année de un et quart pour cent ! s'écria-t-il naïvement, que nous n'avons pas un garçon de dix ans qui ne sache lire, qu'il ne s'est pas commis un meurtre ni un vol depuis la fondation de France-Ville ! Et des barbares viendraient anéantir à son début une expérience si heureuse ! Non ! Je ne peux pas admettre qu'un chimiste, qu'un savant, fût-il cent fois germain, en soit capable ! )) Il fallut bien, cependant, se rendre aux témoignages d'un journal tout dévoué à l'oeuvre du docteur et aviser sans retard.

Ce premier moment d'abattement passé, le docteur Sarrasin, redevenu maître de lui-même, s'adressa à ses amis : (( Messieurs, leur dit-il, vous êtes membres du Conseil civique, et il vous appartient comme à moi de prendre Les Cinq Cents Millions de la Begum XII LE CONSEIL 64. »

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