Devoir de Philosophie

-- Faut pas avoir peur.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

-- Faut pas avoir peur. Faut aider ta maman. T'es ma grande fille, toi. Il la sentait trembler. Elle souffla : -- Oui p'pa. Dès que la petite eut rejoint les autres, Élodie implora : -- Monte, toi ! Les enfants se mirent à l'appeler aussi. -- Attendez, je passe des outils. Il chercha sa hache, sa pelle boueuse, sa serpe et ce qu'il possédait de corde. Lorsque sa femme eut tout attrapé, il eut un regard circulaire. À l'autre bout, c'était un entassement de tout ce qui avait glissé. Quoi prendre ? Quoi sauver ? Tout défila dans sa tête. Il sentit crever un rire aigre lorsqu'il pensa aux cadeaux de Noël. Des larmes de rage montèrent à ses yeux. S'ébrouant comme pour chasser un cauchemar, il se hissa à son tour. Il pleuvait toujours, mais moins fort. Le vent avait fraîchi. La lumière baignait un paysage de déluge. Par-delà les premiers résineux dont les pieds trempaient dans l'eau boueuse, on apercevait la neige sur les terres en élévation. Il en restait également sur la colline, mais, tout autour de leur cabane renversée, c'était le marécage. Cyrille comprenait fort bien ce qui s'était passé. Les glaces avaient dû obstruer les drains à l'endroit où ils passaient sous la voie. L'eau s'évacuait moins vite qu'elle n'arrivait. Le lac allait reprendre sa place. L'eau clapotait pas loin de leur refuge. -- Qu'est-ce qu'on va faire, Seigneur ! -- Laisse-moi réfléchir. Cyrille luttait contre l'envie de hurler. D'appeler au secours. Mais il savait que nul cri ne pouvait porter jusqu'à Saint-Georges. S'il se mettait à crier, il épouvanterait encore davantage les enfants. -- On dirait que ça ne s'enfonce plus, dit-il. -- J'ai froid. Les deux garçons se remirent à pleurer en claquant des dents. Enlevant sa pelisse, Cyrille les enveloppa. -- Tu vas prendre la crève, dit Élodie. -- J'ai pas froid du tout. C'était presque vrai. En même temps qu'il essayait de trouver une solution, Cyrille commençait à s'injurier. Il s'accusait d'avoir mené les siens à leur perte par son foutu caractère de chien. Puis, il accusait les autres. L'agent des terres. Le curé. Tout le monde. Tous étaient responsables puisque personne ne lui avait dit que cette terre risquait d'être inondée. Une bonne terre asséchée, bien drainée ! Dérision ! À mesure que le jour grandissait, le spectacle devenait de plus en plus inquiétant. On voyait le flot arriver le long de la colline et tournoyer en charriant des arbres déracinés et des paquets de branchages. -- On est perdus, perdus, pleurnichait Élodie. Seule Clémence ne pleurait toujours pas. Une grande terreur se lisait sur son petit visage blême, mais ses yeux qui ne quittaient pas son père semblaient tout attendre de lui comme s'il eût détenu le pouvoir de les prendre sur son dos et de s'envoler avec eux. Cyrille regarda encore autour. S'il n'agissait pas immédiatement, ils allaient tous crever là. Même si la maison cessait de s'enfoncer, même si la pluie s'arrêtait, ils étaient perdus. Seul un gel brutal pouvait solidifier la boue, mais en même temps, il les pétrifierait dans leurs vêtements trempés. Ce qui était le plus près d'eux, c'était les derniers troncs qu'il avait ébranchés. Il devait bien y avoir au moins trente pas, peutêtre quarante pour les atteindre. Mais leur base reposait sur la terre ferme. Cyrille s'accroupit devant les enfants blottis contre leur mère. D'une voix forte, mais sans crier, il dit : -- Clémence, tu vas rester là avec tes frères. Pas longtemps. Faudra pas longtemps. Si tu le fais pas, on est tous foutus. Comme Élodie geignait en implorant le Seigneur, il l'empoigna par les bras et la secoua fort. -- Toi, si tu veux sauver les petits, faut faire ce que je te dis, t'entends ? Faut le faire. Si tu le fais, je te jure qu'on s'en sortira. Un énorme sanglot retenu secoua Élodie. Ravalant d'un coup son chagrin et sa peur, elle se leva pour le suivre tandis que la petite, à demi couchée sur ses deux frères, les obligeait à rester au faîte du toit. Cyrille redescendit sur la table qui tenait toujours à la surface de la boue. -- Passe-moi la grande hache. En quatre coups bien assenés, il fit éclater le chambranle à hauteur des gonds et, posant son outil, il empoigna la porte qu'il réussit à tirer du bourbier. Il la jeta à plat à une enjambée de la table. Tendant les bras, il aida Élodie à descendre. Les garçons appelaient : -- Maman, maman... nous laisse pas ! -- Restez tranquilles, cria la mère. C'était la première fois que Cyrille l'entendait élever la voix ainsi. Médusés, les enfants se turent. -- On va sortir tout ce qu'on peut. M'en vais tout te passer. Il descendit à l'intérieur et, avec une force qui le dépassait, il se mit à empoigner les caisses, les meubles, les matelas, un sommier. Sa femme les tirait comme elle pouvait. Quand elle était trop encombrée, Cyrille bondissait dehors, levait les charges au-dessus de sa tête et, de la table à la porte, d'une caisse à un petit placard, il avançait dans le marécage en direction des troncs d'arbres. Chaque voyage permettait quelques pas de plus. Les dents serrées sur sa peur, sa femme l'aidait de toutes ses forces. À mesure qu'on approchait des arbres, la matière glaiseuse et tourbeuse était moins molle. À la fin, n'ayant plus ni planches ni caisses, Cyrille attaqua à la hache le rebord de la toiture et arracha deux grands pans de la claie de branchages recouverte de papier goudronné. -- Bon Dieu, c'était solide ! rageait-il. C'était tout son travail, toute sa peine qu'il détruisait là. Tandis qu'il emportait ces deux derniers lambeaux de radeau, ces deux jalons de ce chemin mouvant, sa femme allait déjà chercher les garçons. Cyrille ayant pris pied à l'extrémité des arbres abattus se retourna. Silencieuse, minuscule sous le ciel fou, la petite attendait. -- Bouge pas, ma chérie, cria-t-il, j'arrive ! Comme les troncs risquaient de tourner, il aida Élodie à gagner la terre ferme, puis, sautant d'un jalon à l'autre, il courut vers sa fille qui se jeta dans ses bras dès qu'il eut atteint la maison. Alors seulement, le serrant de toutes ses forces, l'enfant éclata en sanglots en hoquetant : -- Papa... papa... j'ai froid. L'étreignant fort, Cyrille partit du plus vite qu'il put sur cette succession de planches qui commençaient à basculer et à s'enfoncer. Les cheveux trempés de l'enfant venaient se coller à ses lèvres serrées qui répétaient dans un souffle : - Ma chérie... ma chérie... on est sauvés.

« là. Même sila maison cessaitdes’enfoncer, mêmesila pluie s’arrêtait, ilsétaient perdus.

Seulungel brutal pouvait solidifier laboue, maisenmême temps, illes pétrifierait dansleurs vêtements trempés.Cequi était leplus près d’eux, c’était les derniers troncsqu’ilavait ébranchés.

Ildevait bienyavoir aumoins trente pas,peut- être quarante pourlesatteindre.

Maisleurbase reposait surlaterre ferme. Cyrille s’accroupit devantlesenfants blottiscontre leurmère.

D’une voixforte, mais sans crier, ildit : — Clémence, tuvas rester làavec tesfrères.

Paslongtemps.

Faudrapaslongtemps.

Situ le fais pas, onest tous foutus. Comme Élodiegeignait enimplorant leSeigneur, ill’empoigna parlesbras etlasecoua fort.

— Toi, situ veux sauver lespetits, fautfaire ceque jete dis, t’entends ? Fautlefaire.

Si tu lefais, jete jure qu’on s’ensortira. Un énorme sanglotretenusecoua Élodie.Ravalant d’uncoup sonchagrin etsa peur, elle se leva pour lesuivre tandis quelapetite, àdemi couchée surses deux frères, les obligeait àrester aufaîte dutoit. Cyrille redescendit surlatable quitenait toujours àla surface delaboue. — Passe-moi lagrande hache. En quatre coupsbienassenés, ilfit éclater lechambranle àhauteur desgonds et,posant son outil, ilempoigna laporte qu’ilréussit àtirer dubourbier.

Illa jeta àplat àune enjambée delatable.

Tendant lesbras, ilaida Élodie àdescendre.

Lesgarçons appelaient : — Maman, maman…nouslaisse pas ! — Restez tranquilles, crialamère. C’était lapremière foisque Cyrille l’entendait éleverlavoix ainsi.

Médusés, lesenfants se turent. — On vasortir toutcequ’on peut.M’envaistout tepasser. Il descendit àl’intérieur et,avec uneforce quiledépassait, ilse mit àempoigner les caisses, lesmeubles, lesmatelas, unsommier.

Safemme lestirait comme ellepouvait. Quand elleétait tropencombrée, Cyrillebondissait dehors,levaitlescharges au-dessus de satête et,delatable àla porte, d’unecaisse àun petit placard, ilavançait dansle marécage endirection destroncs d’arbres.

Chaquevoyagepermettait quelquespasde plus.

Lesdents serrées sursapeur, safemme l’aidaitdetoutes sesforces. À mesure qu’onapprochait desarbres, lamatière glaiseuse ettourbeuse étaitmoins molle.

Àla fin, n’ayant plusniplanches nicaisses, Cyrilleattaqua àla hache lerebord de la toiture etarracha deuxgrands pansdelaclaie debranchages recouvertedepapier goudronné.

— Bon Dieu,c’était solide ! rageait-il. C’était toutsontravail, toutesapeine qu’ildétruisait là. Tandis qu’ilemportait cesdeux derniers lambeaux deradeau, cesdeux jalons dece chemin mouvant, safemme allaitdéjàchercher lesgarçons.

Cyrilleayantprispied à l’extrémité desarbres abattus seretourna.

Silencieuse, minusculesousleciel fou, la petite attendait. — Bouge pas,machérie, cria-t-il, j’arrive ! Comme lestroncs risquaient detourner, ilaida Élodie àgagner laterre ferme, puis,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles