Il ressentait brusquement la mesquinerie de ces préparatifs, tout ce qu'ils masquaient de vide, de soumission u côté formel des choses.
Publié le 05/11/2013
Extrait du document
«
CHAPITRE
V—
Tu aurais euàcœur delefaire boire quetune t’yserais paspris autrement, ditSuzanne.
— Si, répondit Quentin, j’auraisbuavec lui.
Ils étaient dansleurchambre quin’avait pasl’air d’une chambre d’hôtel,bienqu’elle nesedistinguât des
autres queparl’absence d’unnuméro au-dessus delaporte.
Maislessouvenirs detoute unevies’ytrouvaient
accumulés surunespace restreint, oùlaforme etlepoids matériels, plusquelavaleur sentimentale, assignaient
aux objets uneplace définitive ; lemot quivenait àl’esprit deQuentin, lorsqu’ilenvisageait cetéchafaudage de
trésors douteux, étaitcelui decargaison.
Ils’accompagnait dusentiment morosequelacale dunavire avaitfait
charge pleine.
Suzanne arrêtasamachine àcoudre, levalesyeux verssonmari occupé àse raser aveclevieux coupe-chou
dont iln’avait jamaisréussiàse déshabituer etressentit, commechaquematinauspectacle decemâle
jardinage, l’impression heureusequ’unepuissance exacteanimait cetorse gonflé debretelles.
— Peut-être pourrais-turecommencer àprendre unpeu devin àtable, dit-elle.
Jeteregardais hiersoirfaire
les honneurs denotre caveetjepensais quetuavais beaucoup demérite.
Jene voudrais pasque tutesentes en
état d’infériorité vis-à-visdequi que cesoit àcause demoi.
Quentin, levisage oblique devantlaglace, demeura unmoment labouche ouverte, hésitantàlui dire une
bonne foispour toutes qu’elle n’yétait pour rien,queleproblème réveilléparlavenue deFouquet leconcernait
seul, carilsavait quecette révélation eûtétépour Suzanne unegrande déception.
Puisestimant quesa
proposition constituaituneouverture debonne volonté, ilse contenta dedéclarer :
— Si quelque chosedevait memanquer, cene serait paslevin mais l’ivresse.
Comprends-moi : desivrognes
vous neconnaissez quelesmalades, ceuxquivomissent etles brutes, ceuxquirecherchent l’agressionàtout
prix ; ilya aussi lesprinces incognito qu’ondevine sansparvenir àles identifier.
Ilssont semblables àl’assassin
du fameux crimeparfait, dontonneparle quelorsqu’il estraté.
Ceux-ci, l’opinion neles soupçonne mêmepas ;
ils sont capables desplus beaux compliments oudes plus vives injures ; ilssont entourés deténèbres et
d’éclairs ; cesont desfunambules persuadésqu’ilscontinuent des’avancer surlefil alors qu’ils l’ontdéjàquitté,
provoquant lescris d’admiration oud’effroi quipeuvent lesrelancer ouprécipiter leurchute ; poureux,la
boisson introduit unedimension supplémentaire dansl’existence, surtouts’ils’agit d’unpauvre bougre
d’aubergiste commemoi,unesorte d’embellie, donttune dois pastesentir exclue d’ailleurs, etqui n’est sans
doute qu’une illusion, maisuneillusion dirigée… Voilàceque jepourrais regretter.
Tuvas imaginer quejefais
l’éloge del’ivresse parcequeFouquet traverseunemauvaise passeactuellement etque cegarçon meplaît bien,
en cela tuauras raison pourunebonne part ;autrement, jene me permettrais pasd’agiter cespectre devanttoi,
que j’aitant tourmentée autrefoisetqui m’as entouré d’unefaçonsivaillante.
Suzanne soupira :
— Il yavait quand mêmelongtemps qu’iln’était plusquestion detout celaentre nous… Jevoulais justement
te demander quelleattitude ilconvenait quej’adopte s’ilprenait àM. Fouquet lafantaisie des’« illusionner »
durant lesjours oùtuvas être absent…
— J’en seraistrèsétonné, ditQuentin, encorequ’ilsoithomme àfaire cedont ilaenvie ; maisjedoute qu’il
ait jamais vraiment enviedeboire.
Nerispas… Représente-toi plutôtunpromeneur quiaperçoit brusquement
un couloir somptueux ets’y engouffre parcequerien neleretient del’autre côtédelarue.
— Certes, ilne ressemble pasaux épaves qu’onvoitflotter danslarégion.
Jeconfesse quej’aiétélapremière
à subir soncharme etjene me défends pas,moinon plus, d’undésir deleprotéger depuisquenous savons ce
qu’il enest.
Reste qu’ilm’aparu extrêmement bizarre,àla fin dudîner, quand ils’est misàte parler decette
corrida dulendemain pourlaquelle tuavais desbillets, quesais-je… Ettoi, quiavais l’airtout gêné !
— N’attache pasd’importance àcela.
Jecrois qu’ilya une déconvenue amoureuselà-dessous.
Quentin, débitantcetteexplication qu’ilgardait enréserve depuisledimanche précédent pourexpliquer la
conduite deFouquet, sachantqu’ellefournirait unecirconstance atténuanteauxyeux deSuzanne, nepouvait
s’empêcher deladéplorer : cen’était pasune consolation qu’ondevait chercher dansl’alcool maisuntremplin.
Du moins lesgénérations élégiaquesquiavaient gâchélemétier pouvaient-elles servirdecaution quandla
circonstance l’exigeait.
— En somme, ditSuzanne, noussavons presque toutdelui maintenant.
D’aprèscequ’il nous araconté, j’ai
cru comprendre qu’iltravaillait danslapublicité etj’apprends qu’ilaccomplit iciune manière deretraite àla
suite d’unchagrin d’amour ; est-cebiencela ?… Dansunecertaine mesure,jet’avouerais quejesuis rassurée..
»
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