Une vie Jeanne fut tellement émue qu'elle faillit pleurer.
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
Mais il l'interrompit : " Je m'en moque un peu de ce que peuvent dire et penser des gens d'hôtel.
Tu vas voir
comme ça me gêne.
"
Et il sonna.
Elle ne disait plus rien, les yeux baissés, révoltée toujours dans son âme et dans sa chair, devant ce désir
incessant de l'époux, n'obéissant qu'avec dégoût, résignée, mais humiliée, voyant là quelque chose de bestial,
de dégradant, une saleté enfin.
Ses sens dormaient encore, et son mari la traitait maintenant comme si elle eût partagé ses ardeurs.
Quand le garçon fut arrivé, Julien lui demanda de les conduire à leur chambre.
L'homme, un vrai Corse velu
jusque dans les yeux, ne comprenait pas, affirmait que l'appartement serait préparé pour la nuit.
Julien impatienté s'expliqua : " Non, tout de suite.
Nous sommes fatigués du voyage, nous voulons nous
reposer.
"
Alors un sourire glissa dans la barbe du valet et Jeanne eut envie de se sauver.
Quand ils redescendirent, une heure plus tard, elle n'osait plus passer devant les gens qu'elle rencontrait,
persuadée qu'ils allaient rire et chuchoter derrière son dos.
Elle en voulait en son coeur à Julien de ne pas
comprendre cela, de n'avoir point ces fines pudeurs, ces délicatesses d'instinct ; et elle sentait entre elle et lui
comme un voile, un obstacle, s'apercevant pour la première fois que deux personnes ne se pénètrent jamais
jusqu'à l'âme, jusqu'au fond des pensées, qu'elles marchent côte à côte, enlacées parfois, mais non mêlées, et
que l'être moral de chacun de nous reste éternellement seul par la vie.
Ils demeurèrent trois jours dans cette petite ville cachée au fond de son golfe bleu, chaude comme dans une
fournaise derrière son rideau de montagnes qui ne laisse jamais le vent souffler jusqu'à elle.
Puis un itinéraire fut arrêté pour leur voyage, et, afin de ne reculer devant aucun passage difficile, ils
décidèrent de louer des chevaux.
Ils prirent donc deux petits étalons corses à l'oeil furieux, maigres et
infatigables, et se mirent en route un matin au lever du jour.
Un guide monté sur une mule les accompagnait
et portait les provisions, car les auberges sont inconnues en ce pays sauvage.
La route suivait d'abord le golfe pour s'enfoncer dans une vallée peu profonde allant vers les grands monts.
Souvent on traversait des torrents presque secs ; une apparence de ruisseau remuait encore sous les pierres,
comme une bête cachée, faisait un glouglou timide.
Le pays inculte semblait tout nu.
Les flancs des côtes
étaient couverts de hautes herbes, jaunes en cette saison brûlante.
Parfois on rencontrait un montagnard soit à
pied, soit sur son petit cheval, soit à califourchon sur son âne gros comme un chien.
Et tous avaient sur le dos
le fusil chargé, vieilles armes rouillées, redoutables en leurs mains.
Le mordant parfum des plantes aromatiques dont l'île est couverte semblait épaissir l'air ; et la route allait
s'élevant lentement au milieu des longs replis des monts.
Les sommets de granit rose ou bleu donnaient au vaste paysage des tons de féerie ; et, sur les pentes plus
basses, des forêts de châtaigniers immenses avaient l'air de buissons verts tant les vagues de la terre soulevée
sont géantes en ce pays.
Quelquefois le guide, tendant la main vers les hauteurs escarpées, disait un nom.
Jeanne et Julien regardaient,
ne voyaient rien, puis découvraient enfin quelque chose de gris pareil à un amas de pierres tombées du
sommet.
C'était un village, un petit hameau de granit accroché là, cramponné comme un vrai nid d'oiseau, Une vie
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