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Heidegger : Les illusions de la technique

Publié le 26/03/2015

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heidegger
Reste qu'une fois la sujet cartésien installé en posture de «maître et possesseur de la nature�, le glissement progressif vers le monde de la technique est, du moins aux yeux de Heidegger, inéluctable : une fois posé que la volonté et la raison sont souveraines, une fois l'homme érigé en «gardien de l'étant� et dominateur de la terre, on entre dans une logique qui conduira peu à peu à l'abolition de la raison objective au profit de la raison instrumentale, au profit d'un univers dans lequel la volonté finit par se vouloir elle-même, par ne rien désirer d'autre que son propre accroissement, que la maîtrise pour la maîtrise, la domination pour le domination.
 
Bref, on passe quasi inévitablement de la science à la technoscience, de la premi�re à la deuxi�me mondialisation, de l'époque de Descartes à celle de Nietzsche, de la volonté qui vise encore la liberté et le bonheur à la volonté qui ne vise plus que sa propre intensité.
 
Une chose est sûre : c'est que Heidegger a clairement refusé toute réponse humaniste aux défis de la technique.
 
Il a maintes fois exprimé la conviction, pour les raisons que je viens justement d'indiquer, que ce n'était assurément pas par un surcroît de subjectivité et de démocratie, par une sorte d'hyper volontarisme mondialisé qu'on sera à même de résoudre les défis que nous adresse le monde de la technique, la démocratie n'étant rien d'autre, à ses yeux, que le visage politique revêtu par la métaphysique de la subjectivité.
 
On ne combat pas le mal par un mal plus grand : fondée sur l'idée métaphysique illusoire d'autonomie et d'auto-institution, la démocratie ne peut qu'appartenir au registre de la modernité technicienne et de sa planétarisation.
 
Il n'y a donc rien à en attendre.
 
Vouloir davantage de démocratie pour reprendre la main et étendre la régulation à l'échelle d'une gouvernance mondiale, voilà donc qui constituerait aujourd'hui, pour Heidegger, la pire des solutions.
 
Mais il veut dire que le salut ne peut pas venir de l'homme pensé comme sujet de la métaphysique, puisque c'est justement ce dernier qui est à l'origine des dérives techniciennes de la modernité.
 
De là aussi l'engagement de Heidegger dans le national-socialisme.
 
On sait, notamment grâce à ses cours des années 1930 et 1940, que Heidegger avait une tr�s grande admiration personnelle pour Hitler et qu'il attendait vraiment de l'Allemagne nazie qu'elle desserre le fameux étau où la vielle Europe lui semblait coincée, entre le libéralisme américain et le collectivisme soviétique.
 
Pour quelles raisons de fond, internes à sa critique même de la modernité technicienne, Heidegger a-t-il cru dans les pouvoirs salvateurs du nazisme, dans la «grandeur et la vérité interne� de ce mouvement?
 
Seule elle incarne cette Europe du milieu prise en tenaille entre l'Amérique et la Russie, entre ces deux écueils que sont le visage démocratique et le visage collectiviste de la même domination de la subjectivité devenue technicienne.
 
Sa femme, Elfriede, professe à ses côtés un antisémitisme plus virulent encore.
 
Il faut dire cependant, par esprit de justice, que cette ambiance nazifiée n'empêchera nullement Heidegger de tomber amoureux de Hannah Arendt --- et il est probable que l'antisémitisme, chez lui, était davantage une concession faite au régime en raison de son statut de recteur, qu'une conviction personnelle.
 
Reste à examiner ce que Heidegger a pu penser de tout cela et proposer comme perspective nouvelle une fois le nazisme vaincu et apr�s que lui-même, dans une posture forcément difficile apr�s la guerre, sera, selon un autre jargon de l'époque, «dénazifié�.
 
Ce sera peut-être bien le fin mot de sa derni�re philosophie.
 
Il constitue l'arri�re-plan de sa critique du monde de la technique.
 
De même que, pour Heidegger, la pensée de Descartes représentait en quelque sorte l'arri�re-fond des Lumi�res et celle de Nietzsche l'arri�re-fond métaphysique de l'univers technicien, de même la «question de l'Être� constitue-t-elle l'arri�re fond «antimétaphysique� de la pensée de Heidegger.
 
Nous trouvons d'abord le «pourquoi�, c'est-à-dire la question de la cause, du fondement, de la raison d'être des choses et du monde ; vient ensuite la question du «il y a� des choses, des objets, un monde (c'est ce «il y a� que Heidegger va nommer «Être�, avec une majuscule) ; enfin, on trouve la question de la chose elle-même, la question de la nature du quelque chose (ce que Heidegger va appeler «l'étant�), puis, au final, celle du néant, de la contingence : apr�s tout, le monde pourrait n'avoir jamais existé, voire cesser aujourd'hui ou demain de persévérer dans l'existence.
 


heidegger

« Martin Heidegger (1889-1976) est une des figures majeures de la pensée contemporaine.

Avec Alain Renaut, nous avons donné à l'École normale supé­ rieure, rue d'Ulm, un séminaire sur ses trois livres les plus importants à nos yeux, Être et Temps, bien sûr, mais aussi ses ouvrages sur Kant et sur Nietzsche.

Ce cours était destiné aux étudiants qui préparaient l' agré­ gation.

Puis nous avons publié, en 1988, un essai inti­ tulé Heidegger et les modernes (Grasset) : avant de donner ce cours, nous lui avions adressé une lettre pour lui poser certaines questions sur son œuvre - il prit le temps de nous faire une réponse, brève mais manus­ crite et, avec le recul, cela me paraît encore impression­ nant, un peu comme si nous avions reçu une lettre de Nietzsche ou de Hegel, Heidegger restant à mes yeux (et pas seulement aux miens) le grand philosophe alle­ mand du XXe siècle, et ce en dépit même du caractère désastreux de ses prises de position politiques en faveur du nazisme, un engagement sur lequel je reviendrai ici, mais qui ne constitue pas, à mon sens, l'essentiel -loin de là.

L'importance de Heidegger se mesure également à l'influence considérable qu'il a exercée sur beaucoup d'autres penseurs du xxe siècle : Hannah Arendt, Léo Strauss ou Emmanuel Levinas, par exemple, qui furent d'ailleurs tous trois ses élèves dans les années 1920, à. »

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