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LA PENSEE HUMAINE

Publié le 29/08/2014

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I LE CONCEPT

ET L'ABSTRACTION

Un concept c'est une idée abstraite, c'est-à-dire une idée qui représente un aspect de la réalité isolé par l'esprit. L'idée abs¬traite, justement parce qu'elle est abstraite, est générale : l'idée d'homme, par exemple, est abstraite. L'homme, ce n'est ni Pierre, ni Jean, ni René, mais une notion générale qui convient à la fois pour parler de Pierre, de Jean, de René et de tous les autres hommes. L'idée d'homme s'entend de tous les hommes, universellement. C'est pourquoi les philosophes du Moyen Age désignaient les idées abstraites sous le nom d'universaux.

Les logiciens caractérisent un concept au double point de vue de la compréhension et de l'extension. La compréhension d'un concept c'est sa définition, c'est-à-dire l'ensemble des caract�res qu'il comprend. Les anciens disaient par exemple que l'homme est un animal raisonnable (animal, c'était le « genre prochain�; raison¬nable, la «différence spécifique �, le caract�re qui distingue l'homme parmi les esp�ces). L'extension du concept c'est la liste des individus auxquels le concept s'étend. L'extension et la com 

 

préhension des concepts varient en sens inverse ; le concept d'homme a une compréhension plus riche que le concept d'animal, puisqu'il ajoute le caract�re « raisonnable � à tous les autres carac¬t�res du genre animal, et de ce fait une extension plus pauvre : le concept « homme � s'étend à moins d'individus que le concept « animal�. L'idée d'être a l'extension maxima (elle s'applique à tout ce qui existe) et la compréhension la plus réduite (un seul caract�re : l'existence). Un individu, tout à l'opposé, est indéfinis¬sable ; il a des caract�res qui le singularisent, qui lui sont propres. Ici aucune extension : il n'y a que Socrate qui soit Socrate. En revanche, la compréhension serait infinie. Donner la compréhen¬sion de l'individu, ce serait le décrire plutôt que le définir puisqu'une définition s'attache précisément à des caract�res géné¬raux, communs à plusieurs individus. L'individuel c'est le singu¬lier, c'est le concret.

Mais nous devons nous poser le probl�me de l'abstraction au point de vue psychologique — c'est-à-dire au point de vue génétique. Par quels processus mentaux l'abstraction se réalise-t-elle ? Comment l'abstraction est-elle possible ? Comment puis-je penser à part ce qui n'est pas donné à part ?

10 LE POINT DE VUE EMPIRISTE

Les empiristes proposent pour ce probl�me une solution radi¬cale et négative. Ils nient purement et simplement l'abstraction. A la question : comment l'idée d'homme en général est-elle possible ? l'empiriste répondra : l'idée d'homme en général, cela n'existe pas. C'est ce que nous dit par exemple Berkeley : quand je pense à l'« homme �, il faut bien que je me représente un individu particulier, petit ou grand, gros ou maigre, chétif ou athlétique, etc., bref une image fournie par l'expérience concr�te.

L'idée générale serait donc une illusion. Encore faut-il expli¬quer que cette illusion soit possible. Les empiristes nous don¬nent l'explication suivante : toute l'illusion viendrait du mot, du nom. Par exemple devant Pierre, devant Jean, devant Paul, je prononcerai le même mot «homme �. Ce mot lui-même est concret, il est quand je le prononce un bruit particulier, une image sonore. C'est une image sonore que par habitude nous

 

associons à diverses images visuelles, à celle de Pierre, de Jean, de René, etc. Des images concr�tes et un nom, voilà tout ce qu'il y a dans la prétendue idée générale. Tel est le point de vue empiriste, nominaliste. Le nominalisme a été souvent soutenu d'une façon plus ou moins radicale au cours de l'histoire l. Au Moyen Age Roscelin, Guillaume d'Occam, au XVIIe si�cle Hobbes, au XVIIIe si�cle Berkeley, Condillac, au XIXe si�cle Taine sont des nominalistes.

Sous sa forme radicale, le nominalisme est évidemment indé¬fendable. Si le mot ajoute quelque chose à l'image concr�te, c'est précisément parce que le mot n'est pas une sonorité vide, parce que le mot renvoie à une idée. C'est déjà ce qu'Abélard rétorquait aux nominalistes médiévaux : le mot est plus qu'un son parce que le mot a un sens. La notion de ma propre pensée semble aisément me révéler que l'idée dépasse de beaucoup les mots et les images. Lorsque je cherche mes mots, lorsque je tra¬duis ma pensée par des symboles, je m'aperçois bien que ces expressions et ces figurations maladroites sont loin d'épuiser la richesse de ma pensée. Binet, pour éclaircir ce probl�me, prati¬quait (avec pour sujets ses filles Armande et Marguerite) l'introspection provoquée. Il demandait à un sujet par exemple : Qu'avez-vous dans l'esprit quand vous pensez à l'idée de justice ? Certains sujets disent qu'ils se représentent quelque chose de concret, par exemple une balance ou un juge avec une calotte rouge. Mais ils reconnaissent que ces pauvres images sont loin d'épuiser l'idée qu'ils se font de la justice. Et Binet conclut (Étude expérimentale de l'intelligence 1903) : «Avec des pensées de cent mille francs, on a des images de quatre sous.� D'autres sujets d'ailleurs « pensent � sans évo¬quer d'images. Ils répondront à la question par une définition de la justice. «Penser ce n'est pas contempler de l'Épinal ! �,

1. On qualifie de « nominaliste � une théorie épistémologique moderne qui sou¬ligne l'importance des conventions artificielles dans la science. Par exemple pour Ed. Le Roy, les faits scientifiques sont plutôt construits qu'observés par le savant. Le fait scientifique existe dans l'esprit plus que dans les choses. «Les faits sont faits.� Pourquoi cette conception de la science est-elle qualifiée de « nomina¬liste �? C'est, dit Lalande, parce que «les philosophes qui refusent à la science ce qu'ils nomment une valeur objective sont amenés par là même à la considérer comme un langage qui permet seulement de noter les phénom�nes et de formuler des recettes pratiques� (LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philo¬sophie (P.U.F.) 5' édition).

 

c'est diriger son esprit vers des relations, des jugements, des significations. A la même époque, les psychologues allemands de l'École de Würzburg, de la Denkpsychologie, Watt, Bühler, Külpe arrivent à des conclusions analogues : on peut penser sans image. Il existe des pensées pures (Bewul3theit) qui se pas¬sent d'évocations concr�tes, se réduisent à une conscience abs¬traite, de r�gle, de rapport, à une direction mentale (on reconnaît ici une transposition psychologique du th�me husser-lien de l'intentionnalité).

De telles analyses montrent clairement que la pensée ne saurait se réduire au jeu passif de représentations concr�tes déposées par la perception dans ma conscience. Il y a un dynamisme psy¬chologique, une activité mentale qui sous-tend mes pensées. Seulement, Binet et les psychologues de Würzburg ne nous donnent pas beaucoup d'éclaircissements sur la nature pro¬fonde de cette activité sous-jacente.

20 THÉORIE BIOLOGIQUE

DE L'ABSTRACTION

Si toute abstraction suppose de la part du sujet une activité, cette activité n'est-elle pas celle de nos tendances, de nos besoins vitaux ? Certains nous proposent ce paradoxe : si nous sommes capables d'abstraire, d'avoir des notions générales, ce serait justement parce que nous ne sommes pas un pur esprit, parce que nos besoins, nos réactions mod�lent nos pensées ! Cette théorie est soutenue par Lapone ; elle avait déjà été esquissée par Bergson. Considérons le concept de boisson. Si j'ai tr�s soif et qu'on me présente un verre de vin rouge, un verre de bi�re ou un bol d'eau fraîche, devant ces trois liquides différents, j'aurai le même geste, la même attitude : je porterai le récipient à mes l�vres ; l'origine du concept de boisson est donc biologique ; c'est ma soif qui me fait découvrir ce qu'il y a de commun dans ces trois liquides. Tous trois sont des « bois¬sons � car ils apaisent ma soif. L'abstraction est en germe dans toute perception, puisque la perception est au service de l'action, que toute perception tend à abstraire de l'univers des

 

choses l'aspect sous lequel elles sont utiles à l'être vivant. La nature est riche, complexe, diverse à l'infini, mais nos ten¬dances sont en nombre limité. Le geste de boire est toujours le même tandis que la civilisation met à notre disposition les bois¬sons les plus variées. Ce sont nos tendances, nos gestes et nos sentiments qui dégagent des ressemblances entre les choses, chacun de nos besoins étant susceptible d'être satisfait par toute une classe d'objets. Bergson disait déjà que ce sont nos ten¬dances qui abstraient «le nécessaire de la perception à partir du superflu �. Il affirmait que «l'herbe en général attire l'herbi¬vore �. En effet, que l'herbe soit ombragée ou ensoleillée, humide ou s�che, c'est toujours de l'herbe, c'est-à-dire quelque chose à brouter. Le concept abstrait d'« herbe� serait donc en germe dans le comportement de l'herbivore.

Par ailleurs, l'étude sommaire de la psychanalyse nous a ensei¬gné qu'il existait des abstractions spontanées au niveau de l'affecti¬vité. C'est ainsi que le timide, souffrant d'un complexe paternel, rép�te sans fin ses réactions d'infériorité devant les « substituts � de l'image paternelle, les professeurs, les officiers, les chefs qui exer¬cent tour à tour leur autorité sur lui. Les complexes acquis dans l'enfance imposent à ce névrosé des «patterns of behaviour �, des sch�mes tout faits de comportements sans cesse reproduits. D'une façon plus générale, nos habitudes qui nous munissent de types de réaction tr�s généraux sont au même titre que nos tendances la source de généralisations involontaires et inconscientes. Tendances et habitudes découpent la confuse complexité des situations en th�mes distincts et abstraits susceptibles d'être retrouvés.

Cependant, une telle psychogen�se de l'idée générale ne saurait nous suffire. Accordons que l'abstraction ait son origine loin¬taine dans les tendances, les sentiments et les habitudes. Il n'en reste pas moins que l'abstraction vécue, agie, ne saurait être confondue avec l'abstraction pensée, sans quoi, note tr�s jus¬tement Bergson, «sous prétexte que l'acide chlorhydrique agit toujours de la même mani�re sur le carbonate de chaux, que celui-ci soit marbre ou craie, on pourrait dire que l'acide chlor¬hydrique est capable d'abstraction �. Et nous ne pouvons pas nous contenter de compléter la théorie biologique de l'abstrac¬tion par une théorie sociologique. Certes les exigences de la vie collective ne cessent de solliciter notre pouvoir d'abstraction : les idées générales sont communes à tous les membres du groupe et permettent l'action collective sur la nature (alors que

 

les intuitions concr�tes et singuli�res nous vouent à l'isolement et à l'impuissance). Il est incontestable que la vie sociale nous contraint de refouler l'individuel concret et nous aide à pro¬mouvoir en nos pensées l'universel abstrait. Mais si la société sollicite notre pouvoir de former des concepts, elle ne les crée pas de toutes pi�ces. Il nous faut reconnaître l'existence d'une aptitude autonome à l'abstraction et à la généralisation (dis¬tincte des tendances biologiques et sociales) et qui n'est rien d'autre que la raison elle-même.

« préhension des concepts varient en sens inverse ; le concept d'homme a une compréhension plus riche que le concept d'animal, puisqu'il ajoute le caractère «raisonnable» à tous les autres carac­ tères du genre animal, et de ce fait une extension plus pauvre : le concept «homme» s'étend à moins d'individus que le concept «animal».

L'idée d'être a l'extension maxima (elle s'applique à tout ce qui existe) et la compréhension la plus réduite (un seul caractère: l'existence).

Un individu, tout à l'opposé, est indéfinis­ sable ; il a des caractères qui le singularisent, qui lui sont propres.

Ici aucune extension: il n'y a que Socrate qui soit Socrate.

En revanche, la compréhension serait infinie.

Donner la compréhen­ sion de l'individu, ce serait le décrire plutôt que le définir puisqu'une définition s'attache précisément à des caractères géné­ raux, communs à plusieurs individus.

L'individuel c'est le singu­ lier, c'est le concret.

Mais nous devons nous poser le problème de l'abstraction au point de vue psychologique -c'est-à-dire au point de vue génétique.

Par quels processus mentaux l'abstraction se réalise­ t-elle? Comment l'abstraction est-elle possible? Comment puis-je penser à part ce qui n'est pas donné à part? 1° LE POINT DE VUE EMPIRISTE Les empiristes proposent pour ce problème une solution radi­ cale et négative.

Ils nient purement et simplement l'abstraction.

A la question: comment l'idée d'homme en général est-elle possible? l'empiriste répondra: l'idée d'homme en général, cela n'existe pas.

C'est ce que nous dit par exemple Berkeley: quand je pense à l'« homme>>, il faut bien que je me représente un individu particulier, petit ou grand, gros ou maigre, chétif ou athlétique, etc., bref une image fournie par l'expérience concrète.

L'idée générale serait donc une illusion.

Encore faut-il expli­ quer que cette illusion soit possible.

Les empiristes nous don­ nent l'explication suivante: toute l'illusion viendrait du mot, du nom.

Par exemple devant Pierre, devant Jean, devant Paul, je prononcerai le même mot «homme».

Ce mot lui-même est concret, il est quand je le prononce un bruit particulier, une image sonore.

C'est une image sonore que par habitude nous. »

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