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LA PENSEE LOGIQUE ; LE RAISONNEMENT ET SES NORMES

Publié le 29/08/2014

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Le raisonnement est un procédé employé pour justifier une proposition (une proposition est un jugement représenté par son expression verbale).

Justifier une proposition c'est la rattacher à d'autres proposi­tions déjà admises, la déduire de ces propositions. La logique est la «science de la preuve � (Stuart Mill), c'est-à-dire la dis­cipline qui établit les r�gles du raisonnement correct, l'« art de bien conduire sa raison �, dit la premi�re phrase du Traité de Logique de Port-Royal. La logique repose donc sur la distinc­tion du vrai et du faux. Le vrai est une valeur qui se distingue du faux comme le bien se distingue du mal, le beau du laid. Le vrai est une norme, une r�gle et un idéal pour nos jugements comme le bien est une norme, un idéal pour notre conduite. C'est pourquoi on consid�re souvent la logique comme une science normative.

1      LOGIQUE ET PSYCHOLOGIE

A) OPPOSITION DE LA LOGIQUE À LA PSYCHOLOGIE

Par là le point de vue logique se distingue radicalement du point de vue psychologique. Le logicien étudie comme le psy­chologue les opérations de notre esprit, mais pas de la même façon. Le logicien analyse un jugement afin d'en apprécier la valeur, par rapport à une norme qui est le vrai. Ce qui intéresse le logicien ce sont les raisons d'un jugement. Le psychologue n'a pas à s'occuper directement de la vérité ou de la fausseté d'un jugement. Il ne se demande pas si le jugement est vrai ou faux, mais pourquoi ce jugement a été porté par telle personne en telle circonstance. On pourrait dire que le logicien cherche un fondement et le psychologue une origine. Le psychologue ne s'intéresse pas aux raisons qui justifient mais aux causes qui expliquent. L'homme qui vient de porter un jugement est un individu concret qui est nerveux ou flegmatique, autoritaire ou docile, qui souffre de tel ou tel complexe, qui entretient tels ou tels rapports avec les membres de sa famille, etc. Le psycho­logue ne se souciera pas de savoir si nos croyances sont vraies ou fausses, mais il en cherchera les mobiles dans le contexte de nos tendances personnelles, de l'éducation que nous avons reçue.

On pourrait même ajouter que pour le psychologue les juge­ments faux sont beaucoup plus intéressants que les juge­ments vrais ; l'homme qui porte un jugement vrai montre par là qu'il a pu se délivrer pour un moment des complexes, des passions, des habitudes, de tous ces facteurs proprement psy­chologiques susceptibles de fausser l'exercice de la pensée logique. L'homme qui porte un jugement vrai est parvenu, en termes cartésiens, à ajuster «sa pensée au niveau de la raison� ; il s'identifie à la raison universelle et dans cette mesure échappe précisément à l'investigation psychologique. Il n'y a qu'une mani�re de penser vrai sur un probl�me et cette vérité vient non pas de nous-mêmes, de notre personnalité singuli�re,

mais de la structure objective de notre affirmation. En revanche, il y a mille façons de se tromper (l'erreur est pluri­voque, to pollakôs hamartanein, disait Aristote) dont chacune est caractéristique de notre psychologie. Nous sommes tout entiers dans nos erreurs alors que la vérité est impersonnelle. C'est pourquoi expliquer psychologiquement un jugement c'est tendre à nier ce jugement en tant qu'il prétendait à la vérité. A la limite, on pourrait risquer cette formule que la logique est la science qui fonde les idées vraies, la psychologie la science qui explique les idées fausses.

B) LA PSYCHOLOGIE PEUT RENDRE DES SERVICES À LA LOGIQUE

Dans cette perspective la psychologie apparaît d'ailleurs fort utile à la logique, précisément parce que la psychologie se montre capable d'analyser les mécanismes qui perturbent la pensée logique. La logique de Port-Royal par exemple fait une place à la psychologie, lorsqu'elle analyse les sophismes' «d'amour-propre, d'intérêt et de passion �. La recherche de la vérité suppose une asc�se, un effort pour éviter les pi�ges de l'imagination, de l'intérêt, des passions. Pour les cartésiens, une pensée vraie est avant tout une vraie pensée, c'est-à-dire une pensée pure qui ne doit rien aux préjugés, aux passions, à cet ordre du corps que les romantiques nomment l'ordre du coeur. La psychologie, en éclairant les causes profondes de nos erreurs et de nos illusions, est un excellent auxiliaire de la logique. Nous aurons l'occasion d'y insister : l'erreur n'est pas un simple vide, une absence de vérité, quelque chose de pure­ment négatif. Il y a toute une épaisseur psychologique de l'erreur qu'il est nécessaire d'explorer sous peine d'en être vic­time. C'est ce dont le logicien et l'homme de science ne voient pas toujours assez l'importance. Le professeur de science, dit Bachelard, «ne comprend pas qu'on ne comprenne pas�.

1. Un sophisme est un raisonnement faux qui n'a que les apparences de la correction logique.

C) EXPOSÉ ET RÉFUTATION DU PSYCHOLOGISME

Mais si la psychologie peut nous faire comprendre tout ce qui perturbe l'exercice de la pensée logique, elle ne saurait rendre compte de la vérité et de la logique elles-mêmes. La vérité est une valeur qui paraît transcender toute réduction psycholo­gique. Et il convient de dénoncer, à la suite de Husserl 1 et de tous les philosophes rationalistes, l'attitude qu'on nomme psy­chologisme, qui refuse l'autonomie de la logique et prétend expliquer même la pensée vraie par des causes purement psy­chologiques. En fait le psychologisme aboutit à un scepticisme radical : il n'y a plus de jugements vrais et de jugements faux, il y a seulement, comme le pensait le sophiste Protagoras à l'époque de Platon, des opinions différentes, relatives à la psy­chologie de chacun. Si le vrai est ce qui répond à mes besoins psychiques, ce qui satisfait mes tendances, il y aura autant de vérités que d'individus : il n'y aura plus de vérité.

L'analyse psychologique du jugement ignore le probl�me de la valeur du jugement sous le rapport de la vérité et équivaut pra­tiquement à refuser toute valeur de vérité au jugement qu'elle explique. L'erreur du psychologisme est de prétendre expliquer tous les jugements sans exception par la psychologie alors que le jugement vrai échappe à toute réduction psychologique. Écoutez ce psychanalyste qui s'efforce d'expliquer à sa mani�re une opinion soutenue par un de ses amis : Vous parlez ainsi, lui dira-t-il, parce que vous avez un complexe d'infério­rité, parce que vous vous êtes mal libéré des interdits qui vous ont été imposés pendant l'enfance, etc. Il se peut que le psy­chanalyste ait raison, en ce cas l'opinion de son ami, enti�re­ment explicable par les complexes dont il est victime, est une opinion fausse. Au rebours, il est impossible de «psychanaly­ser� un jugement vrai. Le psychanalyste lui-même posera implicitement que ses propres jugements échappent à l'explica­tion psychologique. Si nous lui disons : vos interprétations s'expliquent par le mécanisme psychologique de la déforma­tion professionnelle, il est probable qu'il nous répondra : «Pas

1. HUSSERL, Logische Untersuchungen.

du tout, je juge ainsi parce que c'est vrai.� Pour défendre la vérité de ses assertions, il est bien obligé de les soustraire à la réduction psychologique qu'il impose aux jugements portés par les autres. Les jugements du psychologue lui-même ne peuvent prétendre à la vérité qu'en proclamant leur transcendance par rapport à toute tentative de les expliquer psychologiquement. La vérité de la psychologie exclut qu'il puisse y avoir une psy­chologie de la vérité. Le psychologisme poussé jusqu'à ses limites extrêmes se détruit lui-même ; il aboutit à nier la valeur de la psychologie (en tant qu'elle-même prétend à la vérité).

La vérité est indépendante du caract�re, du sentiment, des pas­sions ; les conditions de la vérité se trouvent dans les idées elles-mêmes et non dans la nature psychologique du sujet qui pense et juge : de telles conclusions nous conduiraient à affir­mer l'existence d'un monde d'idées extérieur à la pensée humaine. L'autonomie de la logique exigerait alors une méta­physique de style platonicien. Le vrai existerait en soi et par soi et tout le savoir humain serait la conquête progressive des par­celles de la Vérité idéale et infinie.

D) LE POINT DE VUE DE GOBLOT

Une telle conclusion, cependant, est rejetée par des logiciens éminents. Goblot, il y a quarante ans, Piaget aujourd'hui, esti­ment qu'on peut maintenir l'autonomie de la logique sans être contraint de situer le principe de la Vérité à l'extérieur de la pensée humaine. Pour Goblot, la logique transcende le domaine des tendances, des passions, de l'affectivité, mais se confond avec la psychologie de l'intelligence. «Les lois logiques ne sont que les lois naturelles d'une intelligence pure. C'est parce qu'une intelligence pure est une abstraction que ses lois sem­blent autre chose que des lois naturelles et que la logique paraît s'opposer à la psychologie comme une science de l'idéal à une science du réel I.� La logique demeure normative par rapport à l'homme concret qui juge (et qui ne se réduit pas à une pensée

1. GOBLOT, Traité de Logique, p. 23.

pure), mais elle n'est plus normative par rapport à la raison elle-même : les lois de la logique ne sont que les lois de la rai­son elle-même, telle qu'elle fonctionne naturellement. La logique n'est qu'une «psychologie de l'intelligence considérée dans l'exercice normal de sa fonction essentielle �.

Goblot pense que le fonctionnement de l'intelligence se dis­tingue par lui-même, sur le plan des faits et sans qu'il soit nécessaire d'introduire une métaphysique normative, des autres fonctionnements psychologiques. En effet, tandis que les goûts et les passions diff�rent d'un individu à un autre, les pensées rationnelles sont communes à tous les hommes. «L'idée de vérité ne se conçoit que par la vie sociale ; sans elle la pensée ne dépasserait jamais les fins de l'individu.� C'est par son caract�re social que la pensée se distingue du psychisme indi­viduel. Mais cette solution nous paraît ambiguë. Certes l'av�­nement de la pensée logique est lié à l'existence de la société : démonstration, réfutation, discussion, objection, tous ces pro­cessus d'une pensée à la recherche du vrai ont une origine sociale. Robinson dans son île n'ayant personne à convaincre pourrait se passer de logique. Il est incontestable que les contacts entre des groupes sociaux qui diff�rent par les croyances et les coutumes éveillent l'esprit critique des membres de ces groupes, les poussent à confronter leurs opi­nions, à essayer de se convaincre mutuellement, à élaborer des r�gles de pensée vraie. La vie sociale et les conflits qu'elle engendre imposent aux hommes la recherche de vérités univer­selles. Ainsi Socrate s'efforçait-il de faire jaillir la vérité de la discussion : «Ce qu'admet Gorgias, Polus le conteste, ce que Polus a accordé, Callicl�s le refuse. Le raisonnement solide est celui auquel ni Gorgias, ni Polus, ni Callicl�s, ni aucun autre ne saurait opposer d'objection 1. �

Le raisonnement logique est un raisonnement convaincant et personne, comme dit La Rochefoucauld, «ne saurait être sage tout seul �.

Toutefois, pas plus que nous n'acceptons le psychologisme des pragmatistes, nous ne saurions accepter un sociologisme qui définirait la vérité par l'accord social. Les erreurs aussi sont

1. GoBLor, op. cit. p. 38.

bien souvent collectives et les illusions collectives sont les plus difficiles à déraciner, précisément parce qu'elles sont pour l'individu qui les partage un moyen de s'intégrer au groupe social, tandis que celui qui se délivre de l'erreur sera rejeté par le groupe et subira les conséquences douloureuses de son anti­conformisme. Qu'on songe à Lavoisier, à Pasteur rencontrant l'hostilité des savants officiels, au mathématicien Galois incompris de ses maîtres parce qu'il dépassait la pensée de son temps. Assurément le penseur incompris cherche à imposer la vérité qu'il a découverte, à réfuter les arguments qu'on lui objecte. Mais s'il finit par convaincre tous ses adversaires, encore faut-il préciser que sa pensée devient universelle parce qu'elle est vraie ; ce n'est pas parce qu'elle est universelle qu'elle est vraie ; ou, si l'on veut, l'universalité logique est une universalité de droit qui transcende l'accord des membres d'une collectivité nécessairement finie, si vaste soit-elle. En reconnaissant que la logique est une «extension indéfinie du rapport social que la dialectique réduisait aux seuls interlocu­teurs présents �, Goblot dépasse lui-même le positivisme socio­logique où il paraissait enfermer sa conception de la logique et reconnaît implicitement la transcendance des normes.

E) LE POINT DE VUE DE PIAGET

Nous ferons les mêmes objections à la conception de Piaget tout en reconnaissant son importance et sa fécondité. Piaget reproche à une logique antipsychologique, d'inspiration plato­nicienne, de faire de la vérité une entité métaphysique qu'on saluerait avec respect sans pouvoir rien dire des processus par lesquels elle se réalise. Tout au contraire, Piaget réduit la logique à une psychologie de l'intelligence, ce qui lui permet d'entreprendre une explication génétique de la pensée logique, une «embryologie de la raison�'. La logique n'est rien d'autre que l'axiomatique, entendons : que la schématisation abstraite, des «états d'équilibre de la pensée �.

« 1 - LOGIQUE ET PSYCHOLOGIE A) OPPOSITION DE LA LOGIQUE A LA PSYCHOLOGIE Par là le point de vue logique se distingue radicalement du point de vue psychologique.

Le logicien étudie comme le psy­ chologue les opérations de notre esprit, mais pas de la même façon.

Le logicien analyse un jugement afin d'en apprécier la valeur, par rapport à une norme qui est le vrai.

Ce qui intéresse le logicien ce sont les raisons d'un jugement.

Le psychologue n'a pas à s'occuper directement de la vérité ou de la fausseté d'un jugement.

Il ne se demande pas si le jugement est vrai ou faux, mais pourquoi ce jugement a été porté par telle personne en telle circonstance.

On pourrait dire que le logicien cherche un fondement et le psychologue une origine.

Le psychologue ne s'intéresse pas aux raisons qui justifient mais aux causes qui expliquent.

L'homme qui vient de porter un jugement est un individu concret qui est nerveux ou flegmatique, autoritaire ou docile, qui souffre de tel ou tel complexe, qui entretient tels ou tels rapports avec les membres de sa famille, etc.

Le psycho­ logue ne se souciera pas de savoir si nos croyances sont vraies ou fausses, mais il en cherchera les mobiles dans le contexte de nos tendances personnelles, de l'éducation que nous avons reçue.

On pourrait même ajouter que pour le psychologue les juge­ ments faux sont beaucoup plus intéressants que les juge­ ments vrais ; l'homme qui porte un jugement vrai montre par là qu'il a pu se délivrer pour un moment des complexes, des passions, des habitudes, de tous ces facteurs proprement psy­ chologiques susceptibles de fausser l'exercice de la pensée logique.

L'homme qui porte un jugement vrai est parvenu, en termes cartésiens, à ajuster «sa pensée au niveau de la raison» ; il s'identifie à la raison universelle et dans cette mesure échappe précisément à l'investigation psychologique.

Il n'y a qu'une manière de penser vrai sur un problème et cette vérité vient non pas de nous-mêmes, de notre personnalité singulière,. »

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