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26 -- Je l'ai.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

26 -- Je l'ai. Suspect appréhendé. Je répète, suspect appréhendé. Todd Fugate, shérif adjoint du poste de San Marcos et membre de sa brigade des gangs et des stupéfiants, était tout heureux d'annoncer la nouvelle par radio. L'appel avait été lancé par le bureau de San Diego et c'était une requête prioritaire du FBI, ce qui n'arrivait pas tous les jours à San Marcos. Fugate quittait le centre commercial de Grand Plaza quand il l'avait reçu et il s'était tout de suite mis en route. L'endroit visé, un ensemble d'entrepôts délabrés nichés derrière La Mirada, et connu sous le nom de « la Grotte », se trouvait à moins de huit kilomètres du boulevard bordé d'arbres. Sachant qu'il serait le premier sur les lieux, il mit la gomme. Une fois arrivé, il n'attendit pas de renforts pour se montrer. L'appel précisait que le suspect était blessé à l'épaule et se déplaçait probablement seul. Aucune mention d'une arme. Fugate n'en avait pas besoin de plus pour se décider, et la suite lui donna raison. Le suspect n'avait effectivement pas d'arme, il était affaibli et semblait sur le point de tourner de l'oeil. Il se rendit sans faire d'histoires. A voir sa tête, il était même probablement soulagé que ce soit fini. Fugate résolut de le conduire lui-même à l'hôpital - ce serait plus rapide qu'attendre que l'ambulance fasse tout le trajet - et ce saligaud se retrouverait bientôt dans un lit d'hosto douillet, avec des infirmières flirteuses aux petits soins pour le mauvais garçon qu'il était, ce qui valait mieux que perdre son sang tout seul dans un entrepôt miteux. Fugate était toujours aussi content de lui tandis qu'il faisait monter le suspect à l'arrière de sa Crown Vic. Il ne prit pas la peine d'attacher ses menottes à l'anneau d'acier fixé au plancher. Le type était déjà quasiment KO. Oui, le shérif adjoint était content de lui. Les services du shérif du comté de San Diego assuraient « le maintien de l'ordre depuis 1850 », comme le proclamait le slogan sur le flanc de sa voiture pie, et en ce moment même, par cette belle soirée d'été, Fugate se sentait fier d'apporter une notable contribution à cette noble tradition. Qu'il en profite. Il serait mort dans une minute. Il quittait l'entrepôt quand un gros SUV apparut à la grille d'entrée et fonça droit sur lui. Fugate donna un coup de volant pour éviter la collision, mais le pare-chocs avant du 4 × 4 accrocha l'arrière de la Crown Vic, la fit tourner comme un jouet et la projeta, capot en avant, dans un fossé bordant l'entrée de l'entrepôt. Eberlué, le shérif adjoint vit le SUV faire rapidement demi-tour et revenir lui barrer le chemin. Avant même que ses roues se soient immobilisées, ses portières s'ouvrirent et deux hommes en descendirent. Fugate passa en marche arrière, appuya sur l'accélérateur, mais ses pneus tournèrent vainement en crissant sans que sa voiture avance d'un centimètre. Renonçant à la sortir du fossé, il dégaina son arme. Trop tard : les deux hommes avaient été plus rapides. La première balle lui fit atrocement mal quand elle lui transperça le poumon, mais la douleur ne dura qu'une seconde : la deuxième balle l'effaça en pénétrant dans son cerveau et en éteignant toutes les lumières d'un coup. Il n'y avait donc personne pour voir les deux types sortir le blessé de la voiture et le porter à l'arrière de leur SUV, ni pour les voir s'éloigner, le plus tranquillement du monde. 27 Nous étions de retour à la case départ. La Mouche - pardon, Scrape, ou Torres, ou Tête de Noeud, comme vous voudrez - avait disparu. La Torche - en réalité Billy Noyes, dit Booster - était en réanimation à Scripps Mercy avec un gros tube dans le osier. Le reste des frères motards gisait en hibernation définitive sur des plateaux d'aluminium de la morgue. Nous avions aussi un shérif adjoint mort qui n'avait sûrement pas imaginé au réveil que cette journée serait a dernière. Et surtout, nous avions un tas de questions sans réponses. Questions qui me harcelèrent tandis que la nuit tombait et que je regagnais finalement l'hôtel, prêt à alancer le souvenir de cette journée de merde dans la partie incinérateur de mon esprit et à passer au plus vite u lendemain. J'étais épuisé, de mauvais poil, et retrouver Tess me réconforta. Elle avait réussi à endormir Alex, ce qui tait bon signe, même si je savais que ça ne durerait pas toute la nuit. J'allai le voir, pelotonné sous ses draps 'enfant, entouré de ses peluches et jouets en plastique, et il me parut plus paisible que la veille. Tess faisait cet effet à tout le monde. Je renvoyai Julia chez elle pour lui permettre de renouer avec sa vie privée après avoir été réquisitionnée tout le week-end. Je commandai un sandwich mixte au room service, soulageai le minibar de deux bières, en tendis une à Tess et m'assis avec elle sur le canapé. Je lui livrai la version courte de ma journée en dévorant le sandwich, l'informai de ce que nous avions découvert au club-house en omettant les détails les plus sanglants. Lui raconter ma journée m'aidait toujours parce que cela me donnait l'occasion d'opérer un retour en arrière et de considérer la situation avec un recul souvent bienvenu. Cela mettait aussi en relief les questions essentielles. Du genre : pourquoi me suivait-on ? Pourquoi avait-on enlevé Scrape au lieu de l'abattre sur-le-champ ? Et celle qui les surpassait toutes, naturellement : qui a tué les motards ? Quelqu'un qui les avait embauchés pour s'occuper de Michelle ou des prisonniers du sous-sol ? Ou les deux choses n'avaient-elles aucun rapport ? La succession des événements et mon instinct me faisaient pencher pour la première hypothèse, que je retins comme base de réflexion. Du coup, au-delà du « qui ? » se posait la question du « pourquoi ? ». Les motards, trop cupides, s'étaient-ils bagarrés pour l'argent ? Etaient-ils devenus un risque pour celui qui les employait et pourquoi ? Avaient-ils salopé le boulot - auquel cas, tuer Michelle aurait été une erreur ? Mais peut-être ignoraient-ils sa mort. Je me demandai ensuite si leur employeur n'avait pas estimé qu'ils ne lui servaient plus à rien : puisqu'ils me filaient hier encore, ils n'avaient manifestement pas réussi à trouver ce qu'on leur avait demandé de chercher. Et leur employeur avait peut-être décidé de prendre lui-même les choses en main. Ce qui, étant donné le sort d'Eli Walker, n'avait rien de rassurant. Quand, à son tour, Tess me raconta sa journée, je laissai mon esprit réduire l'allure et passer au ralenti tandis que j'écoutais sa voix et que je regardais son visage s'animer. Puis ses traits se plissèrent pour prendre cette expression inquisitrice avec laquelle j'avais une véritable relation amour-haine : amour parce que le fait qu'elle soit tenacement curieuse faisait partie du charme de Tess ; haine parce que, généralement, cela annonçait des ennuis. Elle se leva du canapé, passa dans la chambre et revint avec un dessin qu'elle avait trouvé sur le bureau de Michelle, parmi ses papiers, et qu'elle me montra. -- C'est Alex qui l'a fait ? demandai-je. -- Sûrement. Il ressemble à ceux qui sont disséminés dans la maison. Je l'examinai. D'accord, c'était pas mal mais en ce qui me concernait, ça s'arrêtait là. Puis une Tess de plus en plus animée repartit à l'assaut : -- Qu'est-ce que tu vois ? Je pataugeai un moment avant de répondre : -- Deux formes vaguement humaines. Ou des extraterrestres, peut-être ? Elle me lança son regard accablant. -- Des personnes, idiot. Deux personnes. Et je crois que là, c'est Alex, dit-elle en tendant le doigt vers celle de droite. Le jouet, dans sa main. C'est Ben, sa figurine préférée. Il m'a demandé de la lui rapporter de la maison. Je ne voyais toujours pas de quoi il s'agissait. -- Tu lui as posé la question ? -- Non. -- Pourquoi ? Elle plissa le nez. Là encore, cela faisait partie de son charme. -- Ce n'est pas un dessin très gai. -- « Pas un dessin très gai »... répétai-je. Pourquoi ? Parce que ça manque d'arc-en-ciel et de papillons ? J'adore l'asticoter. -- Regarde son visage, m'enjoignit-elle. La bouche bée, les yeux écarquillés. Moi, j'ai l'impression qu'il a peur. Et le type, en face de lui. Vêtements sombres. Un objet à la main. -- Voldemort ? Houps. Non, j'ai rien dit. Le même regard, dix crans au-dessus. -- Je suis sérieuse. C'est peut-être un pistolet qu'il tient. Je regardai de nouveau. Ça pouvait être un pistolet, de fait. En même temps, ça pouvait être à peu près tout ce qu'on voulait étant donné que le personnage était aussi éloigné d'un véritable être humain qu'un Picasso d'un Norman Rockwell. -- Les gosses jouent aux soldats, aux cow-boys, aux chasseurs d'extraterrestres, ils font ça tout le temps, arguai-je. Alors, même si c'est Alex... C'est peut-être lui avec un personnage de dessin animé, ou un de ses copains. Ça peut être n'importe quoi. -- Alors pourquoi ce dessin était sur le bureau de Michelle, parmi ses papiers, et pas sur les murs de la cuisine ou de la chambre d'Alex, comme les autres ? Je n'avais pas de réponse à ça - ou plutôt, j'en avais trop. De plus, mon cerveau était assez pris comme ça par la vie réelle. Les envolées fantasques de l'imagination d'Alex, aussi charmantes soient-elles, devraient attendre. -- Aucune idée, répondis-je simplement. Je pris le dessin de la main de Tess et le posai sur la table basse. Puis je me retournai et acculai Tess ontre le dossier du canapé, l'embrassai avidement. Me souvenant tout à coup de l'endroit où nous étions, je m'écartai d'elle, me levai et lui tendis la main. -- Si nous passions dans mon bureau pour en discuter ?   En suivant Reilly dans la chambre, Tess ne pouvait s'empêcher de continuer à penser au dessin. Reilly avait peut-être raison, elle imaginait des choses. Le problème, c'était que l'agaçant petit démon de la curiosité tapi dans les recoins obscurs de son esprit 'agitait et réclamait à grands cris son attention. Le démon bondissait encore en elle quand, après qu'elle eut fermé la porte derrière elle, Reilly se retourna t la plaqua contre lui. Le démon cessa totalement de l'importuner pendant l'heure qui suivit mais après, alors qu'elle s'endormait dans les bras de Reilly, il surgit de nouveau au premier plan de ses pensées, déchaîné et réclamant une audience.

« 27 Nous étions deretour àla case départ. La Mouche –pardon, Scrape, ouTorres, ouTête deNœud, comme vousvoudrez –avait disparu.

La Torche –en réalité BillyNoyes, ditBooster –était enréanimation àScripps Mercyavecungros tube dans le gosier.

Lereste desfrères motards gisaitenhibernation définitivesurdes plateaux d’aluminium delamorgue. Nous avions aussiunshérif adjoint mortquin’avait sûrement pasimaginé auréveil quecette journée serait sa dernière. Et surtout, nousavions untas dequestions sansréponses. Questions quime harcelèrent tandisquelanuit tombait etque jeregagnais finalement l’hôtel,prêtà balancer lesouvenir decette journée demerde danslapartie incinérateur demon esprit etàpasser auplus vite au lendemain. J’étais épuisé, demauvais poil,etretrouver Tessmeréconforta.

Elleavait réussi àendormir Alex,cequi était bonsigne, même sije savais queçane durerait pastoute lanuit.

J’allai levoir, pelotonné soussesdraps d’enfant, entourédeses peluches etjouets enplastique, etilme parut pluspaisible quelaveille. Tess faisait ceteffet àtout lemonde. Je renvoyai Juliachez ellepour luipermettre derenouer avecsavie privée aprèsavoirétéréquisitionnée tout leweek-end.

Jecommandai unsandwich mixteauroom service, soulageai leminibar dedeux bières, en tendis uneàTess etm’assis avecellesurlecanapé. Je luilivrai laversion courtedema journée endévorant lesandwich, l’informaideceque nous avions découvert auclub-house enomettant lesdétails lesplus sanglants.

Luiraconter majournée m’aidait toujours parce quecela medonnait l’occasion d’opérerunretour enarrière etde considérer lasituation avecunrecul souvent bienvenu.

Celamettait aussienrelief lesquestions essentielles. Du genre :pourquoi mesuivait-on ?Pourquoi avait-onenlevéScrape aulieu del’abattre sur-le-champ ?Et celle quilessurpassait toutes,naturellement :qui atué lesmotards ?Quelqu’un quilesavait embauchés pour s’occuper deMichelle oudes prisonniers dusous-sol ?Ou lesdeux choses n’avaient-elles aucunrapport ?La succession desévénements etmon instinct mefaisaient pencherpourlapremière hypothèse, quejeretins comme basederéflexion.

Ducoup, au-delà du«qui ?»se posait laquestion du«pourquoi ?».

Les motards, trop cupides, s’étaient-ils bagarréspourl’argent ?Etaient-ils devenusunrisque pourcelui quilesemployait et pourquoi ?Avaient-ils salopéleboulot –auquel cas,tuerMichelle auraitétéune erreur ?Mais peut-être ignoraient-ils samort.

Jeme demandai ensuitesileur employeur n’avaitpasestimé qu’ilsneluiservaient plusà rien :puisqu’ils mefilaient hierencore, ilsn’avaient manifestement pasréussi àtrouver cequ’on leuravait demandé dechercher.

Etleur employeur avaitpeut-être décidédeprendre lui-même leschoses enmain.

Ce qui, étant donné lesort d’Eli Walker, n’avaitrienderassurant. Quand, àson tour, Tess meraconta sajournée, jelaissai monesprit réduire l’allureetpasser auralenti tandis quej’écoutais savoix etque jeregardais sonvisage s’animer.

Puissestraits seplissèrent pourprendre cette expression inquisitriceaveclaquelle j’avaisunevéritable relationamour-haine :amour parcequelefait qu’elle soittenacement curieusefaisaitpartieducharme deTess ;haine parce que,généralement, cela annonçait desennuis.

Elleseleva ducanapé, passadanslachambre etrevint avecundessin qu’elle avait trouvé surlebureau deMichelle, parmisespapiers, etqu’elle memontra. — C’est Alexquil’afait ?demandai-je. — Sûrement.

Ilressemble àceux quisont disséminés danslamaison. Je l’examinai.

D’accord,c’étaitpasmalmais encequi me concernait, ças’arrêtait là.Puis uneTess deplus en plus animée repartitàl’assaut :— Qu’est-ce quetuvois ? Je pataugeai unmoment avantderépondre : — Deux formes vaguement humaines.Oudes extraterrestres, peut-être? Elle melança sonregard accablant. — Des personnes, idiot.Deux personnes.

Etjecrois quelà,c’est Alex, dit-elle entendant ledoigt verscelle de droite.

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C’estBen,safigurine préférée.

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Jene voyais toujours pasdequoi ils’agissait. — Tu luias posé laquestion ? — Non. — Pourquoi ? Elle plissa lenez.

Làencore, celafaisait partiedeson charme. — Ce n’est pasundessin trèsgai. — «Pas undessin trèsgai»… répétai-je.

Pourquoi?Parce queçamanque d’arc-en-ciel etde papillons ? J’adore l’asticoter. — Regarde sonvisage, m’enjoignit-elle.

Labouche bée,lesyeux écarquillés.

Moi,j’ail’impression qu’ila peur.

Etletype, enface delui.

Vêtements sombres.Unobjet àla main. — Voldemort ?Houps.

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