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ALIÉNATION (Alienation)

Publié le 03/04/2015

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ALIÉNATION (Alienation)

Du latin « alienus « : autre, étranger. Au sens juridique, ce terme désigne le transfert d'un bien, d'un titre de propriété à une personne étrangère. En pathologie. mentale, on appelle « aliéné « le malade qui devient étranger à lui-même par la perte partielle ou complète de sa personnalité.

En philosophie, ce terme désigne l'état de la conscience. qui, en reconnaissant plus 'dans un être extérieur à elle des propriétés qui sont siennes, se trouve ainsi coupée d'elle-même. Cette déposses­sion concerne soit la conscience individuelle., soit une collecti­vité, une classe., une société. tout entière.

Pour une telle philosophie, le devenir. historique n'est pas autre chose que la récupération par la conscience, individuelle ou collective, de sa propre essence. ; elle reconnaîtra progressive­ment son être. même dans des réalités. apparemment extérieures à elle : le monde., la nature., l'Etat., etc.

Chez Hegel. C'est ainsi que dans la philosophie hégélienne la conscience, d'abord « naïve «, convaincue d'une réalité du monde, indépendante d'elle-même, devient « conscience de soi « : ce deve­nir est décrit dans la Phénoménologie de l'esprit. A partir de la croyance initiale en la réalité du monde extérieur, Hegel montre comment l'esprit humain, par un jeu de prises de conscience limitées qui le font osciller entre la croyance en la réalité de l'objet et celle de la réalité du sujet. conscient, se conquiert progressivement lui-même. Ainsi prendra fin l'aliénation qui, depuis l'origine de l'histoire, était le lot de la conscience. Il faut remarquer que, dans cette « odyssée de la conscience «, Dieu lui-même, être absolu et infini, n'est plus qu'un moment, une phase de ce développement : en effet, dans la mesure où il est conçu comme supérieur à la conscience, coupé d'elle, il réalise l'alié­nation des propriétés (infinité, perfection) que la conscience recon­naît au terme de l'histoire comme siennes.

Chez Marx. Ces thèmes seront repris par la postérité de Hegel, à ceci près que le caractère historique de ce processus recevra un sens différent. En effet, une telle philosophie de l'aliénation implique que le « salut «, si on y voit réconciliation de la créature et de Dieu, leur réunion, soit de ce monde : le chapitre sur le savoir absolu réalise cette réconciliation ; mais les criti­ques matérialistes de Hegel lui reprocheront d'avoir élaboré une théorie idéaliste, ils remarqueront qu'un tel salut ne s'opère que sur le papier, en paroles.: or, si l'humanité tout entière est aliénée, son salut historique ne peut s'opérer que dans l'histoire réelle, par une transformation radicale de la société. L'Etat, superstructure politique, est l'expression de la classe dominante et l'instrument de cette domination ; il est donc, par essence, oppres­sif et source d'aliénation. Le jeune Marx voit bien en Dieu l'aliénation de l'homme, la projection en un être imaginaire des perfections que l'humanité doit faire siennes dans l'histoire. Mais, en matérialiste, il ne conçoit la fin de l'aliénation comme possible que par une révolution sociale qui balaie les vieux mythes qui ne servaient qu'à opprimer la classe ouvrière ; ainsi la religion a un sens historique bien précis : elle est l'opium du peuple, elle retarde la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme. Car ce dernier est aliéné aussi dans son travail et il est alors possible d'analyser les diverses formes de la production humaine comme autant de types d'aliénation. Ce n'est plus simplement l'Etat ou la religion qui en sont la cause, mais aussi la marchandise. Cette dépossession de soi dans l'altérité, c'est encore ce qui caractérise le travail, en particulier le travail dans la grande industrie. Car le sujet travaillant ne se reconnaît plus dans l'objet. ouvré. Alors que l'artisan peut exprimer sa singula­rité dans son oeuvre, singularité qui s'épanouit dans le chef-d'oeuvre (au moment où le compagnon prouve sa maîtrise des techniques de son art, en même temps que sa façon personnelle de pratiquer ces techniques, c'est-à-dire son style), l'ouvrier de la grande industrie, au contraire, ne réalise jamais qu'une partie souvent infime de l'objet fini (phénomène de la parcellarisation du travail) ; de plus, ce travail, pour être acceptable, doit être parfaitement homogène, c'est-à-dire privé de tout caractère particu­lier. Le travailleur est donc aliéné dans son travail même puisqu'il ne saurait se reconnaître dans le produit de son travail. La fin (historique) de cette aliénation ne peut être que l'aboli­tion de l'exploitation dans la société sans classes. Alors, l'homme sera vraiment réconcilié avec lui-même. Cette probléma­tique, en son fond très hégélienne, « humaniste «, sera abandonnée ensuite au profit d'une conception scientifique de l'histoire exposée dans le Capital. (L. Althusser et ses collaborateurs ont défendu cette thèse dans Lire le Capital.)

Chez Sartre. Néanmoins, l'existentialisme, en particulier l'exis­tentialisme athée dont Sartre est le plus célèbre tenant, a repris le terme pour décrire l'état de la conscience déchirée et scindée

puisqu'en elle l'existence précède l'essence (voir l'article : les Existentialismes), qu'elle n'est pas le fondement de son être et qu'elle aspire vainement à réaliser en elle-même l'unité propre à Dieu de l'En-soi et du Pour-soi. D'où sa dépendance à l'égard d'autrui (le thème du regard objectivant qui me « vole mon être « dans l'Etre et le Néant, et la solidification de la praxis. humaine dans les structures pétrifiées du pratico-inerte., dans Critique de la raison dialectique).

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