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ÉTAT

Publié le 02/04/2015

Extrait du document

 

Le mot État est apparu à l'époque moderne pour traduire le mot latin civitas (employé de préférence à ris publica) ou l'expression societas civilis ; jusqu'au XVIlle siècle, société civile, corps politique et État restent synonymes, parce que la notion d'État est d'abord une notion juridique. Rousseau (Contrat social, I, VI) indique parfai­tement le lieu où la notion est d'abord pensable : « Cette personne publique, qui se forme par l'union de tous les autres, prenait autrefois

le nom de cité, et prend maintenant celui de république ou de corps politique, lequel est appelé par ses membres État quand il est passif, souverain quand il est actif, puissance en le comparant à ses

semblables «(1).

L'Etat désigne d'abord cette entité formée par l'union des volontés individuelles (c'est-à-dire pour Rousseau par le contrat social) et en même temps il désigne l'instance qui matérialise ou personnifie cette union, et se trouve au-dessus des volontés individuelles (2). Personne juridique, l'Etat agit par une administration et des fonctionnaires.

La critique hegelienne des théories du contrat a une triple conséquence :

1 — La volonté individuelle n'est qu'un moment abstrait qui trouve sa réalité dans la famille, la société civile et l'Etat.

2 — L'Etat est une réalité en soi.

3 — L'Etat est distinct de la société civile, c'est-à-dire du système des besoins où les volontés individuelles produisent leur vie matérielle. En séparant Etat et représentation de l'individu, Etat et société, on peut dire que Hegel donne une expression théorique à ce sentiment confus que l'on a en identifiant l'Etat à l'administration (police, Justice, etc.).

Cette rupture entre Etat et volonté individuelle (que Hegel en fait refuse, puisque l'Etat est pour lui la réalité de cette volonté) a été par la suite diversement thématisée : le libéra­lisme tente de maintenir au maximum la distinction entre l'État et l'individu, en réduisant le rôle du premier, l'anar­chisme, dans la mesure où l'Etat, distinct des volontés individuelles, leur impose des contraintes, propose de le supprimer. Marx et Engels, pour avoir mis en lumière le rôle de la lutte des classes dans la société civile, ne verront, dans la conception d'un Etat unificateur des volontés, que la marque idéologique de l'idéalisme juridique ; l'Etat conçu comme cette réalité qu'est l'appareil d'Etat (3)— adminis­tration, éducation, justice, armée, etc.— n'est qu'un instrument dans la lutte des classes, par lequel la classe domi­nante assure sa suprématie : la lutte revolutionnaire doit permettre au prolétariat de s'emparer de l'appareil d'Etat, de supprimer l'appareil d'Etat bourgeois, en faisant des moyens de production une propriété d'Etat ; par là il se supprime lui-même en tant que prolétariat, et supprime l'Etat en tant qu'Etat, c'est-à-dire qu'il fait de ce « pouvoir spécial de répression « exercé contre le prolétariat un « pouvoir spécial de répression « exercé contre la bourgeoisie (phase socialiste et dictature du prolétariat). L'abolition de la lutte des classes, seule, peut faire que l'Etat devienne le représentant de la société tout entière, mais alors il perd son rôle répressif, et s'éteint : « Le gouvernement des personnes fait place à l'administration des choses et à la direction des opérations de production « (passage du socialisme au communisme).

Après l'abandon des théories du contrat, la discussion moderne du rôle de l'Etat, conçu dans sa matérialité adminis­trative et institutionnelle, prend son impact politique d'une

référence au marxisme : l'État peut-il être l'instrument de l'harmonie sociale en assurant l'unification et la conciliation des volontés individuelles, ou est-il nécessairement l'instrument de la lutte des classes ?

1.  Le dernier sens correspond au sens courant du terme Etat dans le langage diplomatique ou le droit international.

2.  Cette dualité est quelque peu effacée par Rousseau pour qui l'institution du souverain (la volonté générale) n'est pas distincte de l'union des volontés ; mais elle est claire chez Pufendorf pour qui le contrat d'association est distinct du contrat de soumission au souverain, ou chez Hobbes.

 

3. Cf. Lénine, L'État et la révolution, 1917.