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III ANTILLES Sur le coup de deux heures après midi, Fort-de-France était

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

III ANTILLES Sur le coup de deux heures après midi, Fort-de-France était une ville morte ; on aurait cru inhabitées les masures bordant une longue place plantée de palmiers et couverte d'herbes folles, qui paraissait un terrain vague au milieu duquel aurait été oubliée la statue verdie de Joséphine Tascher de La Pagerie, plus tard Beauharnais. À peine installés dans un ôtel désert, le Tunisien et moi-même, encore bouleversés par les événements de la matinée, nous jetâmes dans une voiture de louage en direction du Lazaret, pour aller réconforter nos compagnons et plus particulièrement deux jeunes femmes allemandes qui, pendant la traversée, avaient su nous donner l'impression qu'elles étaient en grande hâte de tromper leurs maris aussitôt qu'il leur aurait été possible de se laver. De ce point de vue, l'affaire du Lazaret aggravait otre déception. Tandis que la vieille Ford se hissait en première au long de pistes accidentées et que je retrouvais avec ravissement ant d'espèces végétales qui m'étaient familières depuis l'Amazonie, mais que j'allais apprendre ici à désigner de ouveaux noms : caïmite pour fruta do conde - idée de l'artichaut enclose dans la poire - corrosol et non plus graviola, papaye pour mammão, sapotille pour mangabeira, j'évoquais les scènes pénibles qui venaient de se produire et 'essayais de les relier à d'autres expériences du même type. Car, pour mes compagnons lancés dans l'aventure après une xistence souvent paisible, ce mélange de méchanceté et de bêtise apparaissait comme un phénomène inouï, unique, exceptionnel, l'incidence sur leur personne individuelle et sur celle de leurs geôliers d'une catastrophe internationale omme il ne s'en était encore jamais produit dans l'histoire. Mais moi, qui avais vu le monde et qui, au cours des années précédentes, m'étais trouvé placé dans des situations peu banales, ce genre d'expériences ne m'était pas complètement étranger. Je savais que, de façon lente et progressive, elles se mettaient à sourdre comme une eau perfide d'une humanité saturée de son propre nombre et de la complexité chaque jour plus grande de ses problèmes, comme si son épiderme eût été irrité par le frottement résultant d'échanges matériels et intellectuels accrus par l'intensité des ommunications. Sur cette terre française, la guerre et la défaite n'avaient pas fait autre chose que hâter la marche d'un rocessus universel, faciliter l'installation d'une infection durable, et qui ne disparaîtrait jamais complètement de la face u monde, renaissante en un point quand elle s'affaiblirait ailleurs. Toutes ces manifestations stupides, haineuses et rédules que les groupements sociaux sécrètent comme un pus quand la distance commence à leur manquer, je ne les encontrais pas aujourd'hui pour la première fois. C'est hier encore, quelques mois avant la déclaration de guerre et sur la route du retour en France, à Bahia où je me romène dans la ville haute allant de l'une à l'autre de ces églises qu'on dit être au nombre de trois cent soixante-cinq, ne pour chaque jour de l'année, et variées par le style et la décoration intérieure à l'image même des jours et des aisons. Je suis tout occupé à photographier des détails d'architecture, poursuivi de place en place par une bande de égrillons à demi nus qui me supplient : tira o retrato ! tira o retrato ! « Fais-nous une photo ! » À la fin, touché par une mendicité si gracieuse - une photo qu'ils ne verraient jamais plutôt que quelques sous - j'accepte d'exposer un cliché pour contenter les enfants. Je n'ai pas marché cent mètres qu'une main s'abat sur mon épaule : deux inspecteurs en civil, qui m'ont suivi pas à pas depuis le début de ma promenade, m'informent que je viens de me livrer à un acte hostile au résil : cette photo, utilisée en Europe, pouvant sans doute accréditer la légende qu'il y a des Brésiliens à peau noire et ue les gamins de Bahia vont nu-pieds. Je suis mis en état d'arrestation, pour peu de temps heureusement, car le bateau va partir. Ce bateau me portait décidément malheur ; peu de jours auparavant j'avais rencontré semblable aventure ; cette fois à l'embarquement, et encore à quai dans le port de Santos : à peine monté à bord, un commandant de la marine résilienne en grand uniforme accompagné de deux fusiliers marins baïonnette au canon me fait prisonnier dans ma cabine. Là, il faut quatre ou cinq heures pour élucider le mystère : l'expédition franco-brésilienne, que je venais de diriger pendant un an, avait été soumise à la règle du partage des collections entre les deux pays. Ce partage devait être fait sous le contrôle du Musée national de Rio de Janeiro qui avait aussitôt notifié à tous les ports du pays : au cas où, nourrissant de ténébreux desseins, je tenterais de m'échapper du pays avec une cargaison d'arcs, de flèches et de coiffures de plumes xcédant la part attribuée à la France, on devrait à tout prix s'assurer de ma personne. Seulement, au retour de l'expédition, le Musée de Rio avait changé d'avis et décidé de céder la part brésilienne à un institut scientifique de São Paulo ; on m'avait bien informé qu'en conséquence l'exportation de la part française devrait se faire par Santos et non par Rio, mais comme on avait oublié que la question avait fait l'objet d'une réglementation différente un an auparavant, j'étais décrété criminel en vertu d'instructions anciennes dont les auteurs avaient perdu le souvenir, mais non point ceux chargés de les exécuter. Heureusement qu'à cette époque il y avait encore au coeur de tout fonctionnaire brésilien un anarchiste sommeillant, tenu vivant par ces bribes de Voltaire et d'Anatole France qui, même au plus profond de la brousse, restaient en suspension dans la culture nationale (« Ah, Monsieur, vous êtes français ! Ah, la France ! Anatole, Anatole ! » s'écriait bouleversé, en me serrant dans ses bras, un vieillard d'une bourgade de l'intérieur et qui, jamais encore, n'avait rencontré un de mes compatriotes). Aussi, suffisamment expérimenté pour accorder tout le temps nécessaire à la démonstration de mes sentiments de déférence envers l'État brésilien en général et l'autorité maritime en particulier, je m'employai à faire résonner certaines cordes sensibles ; non sans succès, puisque après quelques heures passées en sueurs froides (les ollections ethnographiques étant mélangées dans les caisses avec mon mobilier et ma bibliothèque, car je quittais le résil de façon définitive, j'avais à certain moment la crainte qu'on les mît en pièces sur les quais pendant que le bateau èverait l'ancre), c'est moi-même qui dictai à mon interlocuteur les termes cinglants d'un rapport où il s'attribuait la gloire 'avoir, en permettant mon départ et celui de mes bagages, sauvé son pays d'un conflit international et de l'humiliation ubséquente. Peut-être, d'ailleurs, n'aurais-je pas agi avec tant d'audace si je ne m'étais encore trouvé sous l'influence d'un souvenir ui dépouillait de tout leur sérieux les polices sud-américaines. Deux mois auparavant, devant changer d'avion dans un ros village de basse Bolivie, j'y fus bloqué pendant quelques jours avec un compagnon, le Dr J. A. Vellard, pour attendre ne correspondance qui n'arrivait pas. En 1938, l'aviation ressemblait peu à ce qu'elle est aujourd'hui. Sautant, dans des égions reculées de l'Amérique du Sud, certaines étapes du progrès, elle s'était installée de plain-pied dans le rôle de patache pour des villageois qui jusqu'alors, en l'absence de route, perdaient plusieurs jours pour se rendre à la foire voisine, à pied ou à cheval. Maintenant, un vol de quelques minutes (mais, à dire vrai, souvent en retard d'un nombre très supérieur de jours) leur permettait de transporter leurs poules et leurs canards entre lesquels on voyageait le plus souvent accroupi, car les petits avions étaient bourrés d'un mélange bigarré de paysans nu-pieds, d'animaux de bassecour et de caisses trop lourdes ou trop volumineuses pour passer dans les pistes de forêt. Nous traînions donc notre désoeuvrement dans les rues de Santa Cruz de la Sierra, transformées par la saison des pluies en torrents boueux qu'on passait à gué sur de grosses pierres placées à intervalles réguliers comme des passages cloutés vraiment infranchissables aux véhicules, quand une patrouille remarqua nos visages peu familiers ; raison suffisante pour nous arrêter et, en attendant l'heure des explications, nous enfermer dans une pièce d'un luxe désuet : ncien palais de gouverneur provincial aux murs couverts de boiseries encadrant des bibliothèques vitrées dont de gros olumes richement reliés garnissaient les rayons, interrompus seulement par un panneau, vitré lui aussi et encadré, résentant l'étonnante inscription calligraphiée que je traduis ici de l'espagnol : « Sous peine de sévères sanctions, il est igoureusement interdit d'arracher des pages des archives pour s'en servir à des fins particulières ou hygiéniques. Toute ersonne qui contreviendra à cette interdiction sera punie. » Je dois à la vérité de reconnaître que ma situation à la Martinique s'améliora grâce à l'intervention d'un haut fonctionnaire des Ponts et Chaussées qui dissimulait derrière une réserve un peu froide des sentiments éloignés de ceux des milieux officiels ; peut-être aussi à cause de mes visites fréquentes à un journal religieux, dans les bureaux duquel des ères de je ne sais quel ordre avaient accumulé des caisses pleines de vestiges archéologiques remontant à l'occupation ndienne, et que j'employais mes loisirs à inventorier. Un jour, je suis entré dans la salle de la Cour d'assises qui était alors en session ; c'était ma première visite à un ribunal, et c'est demeuré la seule. On jugeait un paysan qui, au cours d'une querelle, avait emporté d'un coup de dent un morceau d'oreille de son adversaire. Accusé, plaignant et témoins s'exprimaient en un créole volubile dont, en un tel lieu, la cristalline fraîcheur offrait quelque chose de surnaturel. On traduisait à trois juges qui supportaient mal, sous la chaleur, des toges rouges et des fourrures à quoi l'humidité ambiante avait enlevé leur apprêt. Ces défroques pendaient autour de leurs corps comme des pansements ensanglantés. En cinq minutes exactement, l'irascible noir s'entendit ondamner à huit ans de prison. La justice était et reste toujours associée dans ma pensée au doute, au scrupule, au espect. Qu'on puisse, avec cette désinvolture, disposer en un temps si bref d'un être humain me frappa de stupeur. Je ne ouvais admettre que je venais d'assister à un événement réel. Aujourd'hui encore, nul rêve, si fantastique ou grotesque u'il puisse être, ne parvient à me pénétrer d'un tel sentiment d'incrédulité. Quant à mes compagnons de bord, ils durent leur libération à un conflit entre l'autorité maritime et les commerçants. i l'une les considérait comme des espions et des traîtres, les autres voyaient en eux une source de profits que 'internement au Lazaret, même payant, ne permettait pas d'exploiter. Ces considérations l'emportèrent sur les autres et, endant une quinzaine de jours, tout le monde fut libre de dépenser les derniers billets français, sous une surveillance ort active de la police qui tissait autour de chacun, et particulièrement des femmes, un réseau de tentations, rovocations, séductions et représailles. En même temps, on implorait des visas au consulat dominicain, on collectionnait es faux bruits sur l'arrivée des bateaux hypothétiques qui devaient tous nous tirer de là. La situation changea à nouveau uand le commerce villageois, jaloux de la préfecture, fit valoir qu'il avait lui aussi droit à sa part de réfugiés. Du jour au endemain, on mit tout le monde en résidence forcée dans les villages de l'intérieur ; j'y échappai encore, mais anxieux de uivre mes belles amies dans leur nouvelle résidence au pied du mont Pelé, je dus à cette dernière machination policière 'inoubliables promenades dans cette île d'un exotisme tellement plus classique que le continent sud-américain : sombre gate herborisée enclose dans une auréole de plages en sable noir pailleté d'argent, tandis que les vallées englouties dans ne brume laiteuse laissent à peine deviner - et, par un égouttement continuel, à l'ouïe plus encore qu'à la vue - la éante, plumeuse et tendre mousse des fougères arborescentes au-dessus des fossiles vivants de leurs troncs. Si j'avais été jusqu'alors favorisé par rapport à mes compagnons, je n'en restais pas moins préoccupé d'un problème u'il faut bien que j'évoque ici puisque la rédaction même de ce livre devait dépendre de sa solution, laquelle, on va le oir, n'alla pas sans difficulté. Je transportais pour seule fortune une malle remplie de mes documents d'expédition : fichiers linguistiques et technologiques, journal de route, notes prises sur le terrain, cartes, plans et négatifs photographiques - des milliers de feuillets, de fiches et de clichés. Un ensemble aussi suspect avait franchi la ligne de démarcation au prix d'un considérable risque pour le passeur qui s'en était chargé. De l'accueil reçu à la Martinique, j'avais déduit que je ne pouvais laisser la douane, la police et le 2e Bureau de l'Amirauté jeter, ne fût-ce qu'un coup d'oeil, sur ce qui ne manquerait pas de leur apparaître comme des instructions en code (en ce qui concerne les vocabulaires indigènes) et des relevés de dispositifs stratégiques ou des plans d'invasion pour les cartes, les schémas et les photos. Je décidai donc de déclarer ma malle en transit, et on l'envoya plombée dans les magasins de la douane. En conséquence, comme on me le signifia par la suite, il me faudrait quitter la Martinique sur un bateau étranger où la malle serait directement transbordée (encore m'a-t-il fallu déployer des efforts pour faire accepter ce compromis). Si je prétendais me rendre à New York à bord du D'Aumale (véritable bateau fantôme que mes ompagnons attendirent pendant un mois avant qu'il se matérialisât un beau matin comme un gros jouet d'un autre iècle, peint à neuf) la malle devrait d'abord entrer à la Martinique, puis en ressortir. Il n'en était pas question. Et c'est insi que j'embarquai pour Porto Rico sur un bananier suédois d'une blancheur immaculée où, pendant quatre jours, je avourai, comme un arrière-goût des temps révolus, une traversée paisible et presque solitaire, car nous étions huit assagers à bord. Je faisais bien d'en profiter. Après la police française, la police américaine. En mettant le pied à Porto Rico, je découvris deux choses : pendant le ouple de mois qui s'étaient écoulés depuis le départ de Marseille, la législation d'immigration aux États-Unis avait hangé, et les documents que je tenais de la New School for Social Research ne correspondaient plus aux nouveaux règlements ; ensuite et surtout les soupçons que j'avais prêtés à la police martiniquaise relativement à mes documents ethnographiques, et dont je m'étais si judicieusement protégé, la police américaine les partageait au plus haut point. Car, après avoir été traité de judéo-maçon à la solde des Américains à Fort-de-France, j'avais la compensation plutôt amère de constater que, du point de vue des U. S. A., il y avait toute chance pour que je fusse un émissaire de Vichy, sinon même des Allemands. En attendant que la New School (à qui je télégraphiai d'urgence) eût satisfait aux exigences de la loi, et urtout qu'un spécialiste du F. B. I. capable de lire le français arrivât à Porto Rico (sachant que mes fiches comprenaient our les trois quarts des termes non pas français, mais provenant de dialectes à peu près inconnus du Brésil central, je rémissais à la pensée du temps qu'il faudrait pour découvrir un expert), les services d'immigration résolurent de 'interner, d'ailleurs aux frais de la compagnie de navigation, dans un hôtel austère, dans la tradition espagnole, où 'étais nourri de boeuf bouilli et de pois chiches, tandis que deux policiers indigènes, fort sales et mal rasés, se relayaient à a porte aussi bien de jour que de nuit. C'est, je m'en souviens, dans le patio de cet hôtel que Bertrand Goldschmidt, arrivé par le même bateau et devenu epuis lors directeur au Commissariat de l'Énergie atomique, m'expliqua un soir le principe de la bombe atomique et me évéla (on était en mai 1941) que les principaux pays étaient engagés dans une course scientifique qui garantirait la ictoire à celui qui se classerait premier. Au bout de quelques jours, mes derniers compagnons de voyage ont réglé leurs difficultés personnelles et sont partis our New York. Je reste seul à San Juan, flanqué de mes deux policiers qui, sur ma demande, m'accompagnent aussi ouvent que je le désire aux trois points autorisés : le consulat de France, la banque, l'immigration. Pour tout autre éplacement je dois solliciter une autorisation spéciale. Un jour j'en obtiens une pour aller à l'Université où mon gardien e service a la délicatesse de ne pas pénétrer avec moi ; pour ne pas m'humilier, il m'attend à la porte. Et comme luiême et son compagnon s'ennuient, ils violent parfois le règlement et me permettent, de leur propre initiative, de les mmener au cinéma. C'est seulement dans les quarante-huit heures qui s'écoulèrent entre ma libération et mon mbarquement que je pus visiter l'île, sous l'aimable conduite de M. Christian Belle, alors consul général et en qui je etrouvai, non sans étonnement dans des circonstances aussi insolites, un collègue américaniste, plein de récits de abotages en voilier le long des côtes sud-américaines. Peu de temps auparavant, la presse matinale m'apprit l'arrivée de acques Soustelle qui faisait la tournée des Antilles pour rallier les résidents français au général de Gaulle : il me fallut une utre autorisation pour le rencontrer. À Porto Rico, j'ai donc pris contact avec les États-Unis ; pour la première fois, j'ai respiré le vernis tiède et le wintergreen (autrement nommé thé du Canada), pôles olfactifs entre lesquels s'échelonne la gamme du confort méricain : de l'automobile aux toilettes en passant par le poste de radio, la confiserie et la pâte dentifrice ; et j'ai cherché à déchiffrer, derrière le masque du fard, les pensées des demoiselles des drugstores en robe mauve et à chevelure acajou. C'est là aussi que, dans la perspective assez particulière des Grandes Antilles, j'ai d'abord perçu ces spects typiques de la ville américaine : toujours semblable, par la légèreté de la construction, le souci de l'effet et la ollicitation du passant, à quelque exposition universelle devenue permanente, sauf qu'ici on se croyait plutôt dans la ection espagnole. Le hasard des voyages offre souvent de telles ambiguïtés. D'avoir passé à Porto Rico mes premières semaines sur le ol des États-Unis me fera, dorénavant, retrouver l'Amérique en Espagne. Comme aussi, pas mal d'années plus tard, 'avoir visité ma première université anglaise sur le campus aux édifices néo-gothiques de Dacca, dans le Bengale riental, m'incite maintenant à considérer Oxford comme une Inde qui aurait réussi à contrôler la boue, la moisissure et

« résonner certaines cordessensibles ; nonsans succès, puisque aprèsquelques heurespassées ensueurs froides (les collections ethnographiques étantmélangées danslescaisses avecmon mobilier etma bibliothèque, carjequittais le Brésil defaçon définitive, j’avaisàcertain moment lacrainte qu’onlesmît enpièces surlesquais pendant quelebateau lèverait l’ancre), c’estmoi-même quidictai àmon interlocuteur lestermes cinglants d’unrapport oùils’attribuait lagloire d’avoir, enpermettant mondépart etcelui demes bagages, sauvésonpays d’unconflit international etde l’humiliation subséquente.

Peut-être, d’ailleurs,n’aurais-je pasagiavec tantd’audace sije ne m’étais encoretrouvésousl’influence d’unsouvenir qui dépouillait detout leursérieux lespolices sud-américaines.

Deuxmoisauparavant, devantchanger d’aviondansun gros village debasse Bolivie, j’yfus bloqué pendant quelques joursavecuncompagnon, leDr J.A.

Vellard, pourattendre une correspondance quin’arrivait pas.En1938, l’aviation ressemblait peuàce qu’elle estaujourd’hui.

Sautant,dansdes régions reculées del’Amérique duSud, certaines étapesduprogrès, elles’était installée deplain-pied danslerôle de patache pourdesvillageois quijusqu’alors, enl’absence deroute, perdaient plusieursjourspourserendre àla foire voisine, àpied ouàcheval.

Maintenant, unvol dequelques minutes(mais,àdire vrai, souvent enretard d’unnombre très supérieur dejours) leurpermettait detransporter leurspoules etleurs canards entrelesquels onvoyageait leplus souvent accroupi, carlespetits avions étaient bourrés d’unmélange bigarrédepaysans nu-pieds, d’animaux debasse- cour etde caisses troplourdes outrop volumineuses pourpasser danslespistes deforêt. Nous tranions doncnotre désœuvrement danslesrues deSanta CruzdelaSierra, transformées parlasaison des pluies entorrents boueuxqu’onpassait àgué surdegrosses pierresplacées àintervalles régulierscommedespassages cloutés vraiment infranchissables auxvéhicules, quandunepatrouille remarqua nosvisages peufamiliers ; raison suffisante pournous arrêter et,enattendant l’heuredesexplications, nousenfermer dansunepièce d’unluxedésuet : ancien palaisdegouverneur provincialauxmurs couverts deboiseries encadrant desbibliothèques vitréesdontdegros volumes richement reliésgarnissaient lesrayons, interrompus seulementparunpanneau, vitréluiaussi etencadré, présentant l’étonnante inscriptioncalligraphiée quejetraduis icide l’espagnol : « Souspeinedesévères sanctions, ilest rigoureusement interditd’arracher despages desarchives pours’enservir àdes fins particulières ouhygiéniques.

Toute personne quicontreviendra àcette interdiction serapunie. » Je dois àla vérité dereconnaître quemasituation àla Martinique s’amélioragrâceàl’intervention d’unhaut fonctionnaire desPonts etChaussées quidissimulait derrièreuneréserve unpeu froide dessentiments éloignésdeceux des milieux officiels ; peut-être aussiàcause demes visites fréquentes àun journal religieux, danslesbureaux duqueldes Pères dejene sais quel ordre avaient accumulé descaisses pleines devestiges archéologiques remontantàl’occupation indienne, etque j’employais mesloisirs àinventorier. Un jour, jesuis entré danslasalle delaCour d’assises quiétait alors ensession ; c’étaitmapremière visiteàun tribunal, etc’est demeuré laseule.

Onjugeait unpaysan qui,aucours d’une querelle, avaitemporté d’uncoup dedent un morceau d’oreilledeson adversaire.

Accusé,plaignant ettémoins s’exprimaient enun créole volubile dont,enun tel lieu, la cristalline fraîcheuroffraitquelque chosedesurnaturel.

Ontraduisait àtrois juges quisupportaient mal,sous la chaleur, destoges rouges etdes fourrures àquoi l’humidité ambianteavaitenlevé leurapprêt.

Cesdéfroques pendaient autour deleurs corps comme despansements ensanglantés.

Encinq minutes exactement, l’irasciblenoirs’entendit condamner àhuit ansdeprison.

Lajustice étaitetreste toujours associée dansmapensée audoute, auscrupule, au respect.

Qu’onpuisse, aveccette désinvolture, disposerenun temps sibref d’un êtrehumain mefrappa destupeur.

Jene pouvais admettre quejevenais d’assister àun événement réel.Aujourd’hui encore,nulrêve, sifantastique ougrotesque qu’il puisse être,neparvient àme pénétrer d’untelsentiment d’incrédulité. Quant àmes compagnons debord, ilsdurent leurlibération àun conflit entrel’autorité maritimeetles commerçants. Si l’une lesconsidérait commedesespions etdes traîtres, lesautres voyaient eneux une source deprofits que l’internement auLazaret, mêmepayant, nepermettait pasd’exploiter.

Cesconsidérations l’emportèrentsurlesautres et, pendant unequinzaine dejours, toutlemonde futlibre dedépenser lesderniers billetsfrançais, sousunesurveillance fort active delapolice quitissait autour dechacun, etparticulièrement desfemmes, unréseau detentations, provocations, séductionsetreprésailles.

Enmême temps, onimplorait desvisas auconsulat dominicain, oncollectionnait les faux bruits surl’arrivée desbateaux hypothétiques quidevaient tousnous tirerdelà.Lasituation changeaànouveau quand lecommerce villageois,jalouxdelapréfecture, fitvaloir qu’ilavait luiaussi droitàsa part deréfugiés.

Dujour au lendemain, onmit tout lemonde enrésidence forcéedanslesvillages del’intérieur ; j’yéchappai encore,maisanxieux de suivre mesbelles amies dansleurnouvelle résidence aupied dumont Pelé,jedus àcette dernière machination policière d’inoubliables promenadesdanscette îled’un exotisme tellement plusclassique quelecontinent sud-américain : sombre agate herborisée enclosedansuneauréole deplages ensable noirpailleté d’argent, tandisquelesvallées englouties dans une brume laiteuse laissentàpeine deviner –et, par unégouttement continuel,àl’ouïe plusencore qu’àlavue –la géante, plumeuse ettendre mousse desfougères arborescentes au-dessusdesfossiles vivantsdeleurs troncs. Si j’avais étéjusqu’alors favoriséparrapport àmes compagnons, jen’en restais pasmoins préoccupé d’unproblème qu’il fautbien quej’évoque icipuisque larédaction mêmedecelivre devait dépendre desasolution, laquelle,onvale voir, n’alla passans difficulté.

Jetransportais pourseule fortune unemalle remplie demes documents d’expédition :. »

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