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PERCEPTION

Publié le 02/04/2015

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perception

PERCEPTION

Traditionnellement on pose le problème philosophique de la perception (1) lorsqu'on met en question cette croyance naïve en l'existence d'objets hors de nous, dont Descartes dit qu'elle correspond à une « tendance naturelle «. En nous attaquant à l'exis­tence des objets dont nos sens semblent témoigner, nous sommes

conduits à mettre en cause celle de notre propre corps, conçu comme un élément du monde extérieur et comme l'intermédiaire

entre ce monde et nous qui percevons. Nous atteignons ainsi notre connaissance dont il nous faut dire d'où elle vient, ce qui la fonde et sur quoi elle porte.

La philosophie part souvent de l'expérience immédiate de l'individu qui perçoit ; toute appréhension ne respecte pas nécessairement cette orientation initiale. On peut se placer du point de vue de l'extério­rité : le sujet qui perçoit et le monde extérieur sont considérés comme deux objets observables, la perception est une certaine relation entre les deux, qu'il s'agit de décrire en faisant varier les conditions dans lesquelles on l'observe. Ainsi Weber et Fechner ont pu montrer (1860) que l'intensité de la sensation est proportionnelle

au logarithme de l'excitation. Bergson critique cette loi ; pour lui la sensation est une donnée immédiate de la conscience, un observateur

extérieur ne peut l'atteindre, et comme elle diffère qualitativement de ce dont elle est sensation, son rapport à l'extériorité ne peut se réduire à l'homogénéité d'une fonction numérique.

1.     Les différents problèmes de la perception

On peut résumer ainsi les différents problèmes posés par la perception :

1— Où se passe la perception ?

Est-ce au niveau de l'appareil corporel, ou bien est-ce au niveau réflexif d'une conscience (âme, pensée ...) dont on pose l'existence afin d'expliquer que non seulement on perçoit, mais qu'on perçoit qu on perçoit, ou bien est-ce au niveau des deux ? Il resterait alors à déterminer le rôle respectif de l'appareil corporel et de la conscience. Dans une étude de la perception, peut-on soit négliger l'étude positive de l'appareil corporel, soit à l'inverse dénier à la conscience toute valeur explicative ?

2 — Qui perçoit ?

Si on privilégie l'appareil corporel, la question est alors de savoir comment sont unifiées les données sensorielles liées à la diversité des organes des sens. Si on privilégie la conscience, on se donne d'emblée une unité ; reste alors une question : comment cette unité a-t-elle rapport à la diversité du monde sensible ?

3 — Qu'est-ce qui est perçu ?

Quand je dis que je perçois quelque chose, quelle est cette chose ? Est-ce une affection corporelle, une image mentale, ou l'objet lui-même ? Si percevoir un objet c'est s'en former une image mentale ou corporelle, comment concevoir le rapport de l'un à l'autre, sans former sinon une image de mon image (on peut admettre que la perception d'une perception est identique à celle-ci), du moins une autre image de l'objet, qui elle-même devra être comparée à une autre image, et ainsi à l'infini ? Dans les mêmes conditions, comment puis-je inférer à partir d'une perception qu'il y a hors de moi quelque chose qui en est la cause ? Si cette inférence est impossible, comment puis-je savoir seulement qu'il y a un monde ? En outre, comment passer de ma perception à des objets, voire à des images, qui soient les mêmes pour tous (problème du solipsisme) ? Si cela est impossible, n'est-ce pas la science qui est impossible ?

4 — Connaît-on quelque chose quand on perçoit ?

Une perception est-elle un degré inférieur de la connaissance, un élément à partir duquel on puisse construire cette dernière (2) ? Donne-t-elle à la connaissance ses objets (3) ? Dans ce cas, quelle est la place des erreurs perceptives ?

2.   Les problématiques de la perception

C'est à partir de la notion de sujet qu'on peut organiser les différentes réponses possibles à ces questions et montrer comment se présentent les problématiques de la perception.

1 — On peut mettre l'accent sur la passivité, la réceptivité d'un être plus ou moins organisé (sujet, âme sensitive, corps, appareil sensoriel) que sa nature limite à accepter des données élémentaires (sensations) qui s'emparent de lui et commandent son adhésion, et à partir desquelles se construit toute connaissance du monde. Selon le role de l'extériorité et la forme de la réceptivité, on peut distinguer trois atti­tudes :

a — Passivité absolue du sujet et réalité du monde externe : La source de la perception réside dans l'activité de la réalité qui informe totalement celui qui perçoit, telle la diffusion continuelle des simulacres d'Epicure.

b — Passivité absolue du sujet et immanentisme : On s'en tient à ce que notre propre conscience nous présente sans supposer l'activité d'un sujet, ni aller au-delà de ce qui résulte de cette présentation. Ainsi Berkeley adopte une position solipsiste, et refuse de distinguer la perception et son objet. Hume va dans le même sens : nos impressions sensibles sont des données absolues qui ne témoignent à proprement parler de rien d'externe.

c Activité seconde du sujet et réalité du monde externe : Pour Locke comme pour Condillac, notre réceptivité se traduit comme un certain témoignage des sens concernant

« les objets extérieurs qui agissent sur nous «. Ce témoignage n'est qu'un premier moment à partir duquel la genèse d'autres idées se fait par voie de réflexion, grâce à des opérations de l'âme.

Les deux dernières attitudes ne posant aucune organisation préalable du sujet percevant, ne font aucune hypothèse physiologique sur le mécanisme perceptif. En posant le paral­lélisme psycho-physique, la psychologie expérimentale du XIXe siècle n'ajoutait rien de plus, sinon la possibilité d'une observation externe. Le behaviorisme (4) par contre rejoint la première attitude et fonde la correspondance entre perception et monde physique sur le mécanisme physiolo­gique du réflexe ; la perception n'est qu'une modification du comportement sous l'action de causes externes, on n'a pas besoin de poser l'existence d'une conscience pour en rendre compte. Dans ce cas, l'organisation de l'objet perçu est toujours déjà donnée au niveau des stimuli, et on est confronté à des problèmes délicats lorsqu'on découvre une inadéquation entre l'objet perçu et les stimulations objec­tives. (Si on présente, par exemple, à différentes personnes des images représentant des visages humains que l'on a systématiquement déformés, en majorité les sujets recon­naissent qu'il s'agit de visages.)

2 — On peut insister sur l'activité d'un sujet logique portant son attention sur un objet qui n'est objet que parce qu'il peut être constitué par un sujet (5). Considérée en elle-même, « la sensation n'est qu'un être abstrait « (Lagneau), et la nécessité d'une activité apparaît lorsqu'on interprète le donné sensible comme expression d'une multiplicité chaotique incompatible avec la cohérence du perçu. Dans ce cas, percevoir quelque chose nécessite non seulement le rapport de l'appareil perceptif à des objets (sensation), mais une activité fondatrice de la pensée pure (jugement) ; d'où le nom d'intellectualisme que l'on a donné à des doctrines qui, de Platon à Alain, vont chercher dans l'unité d'une âme, d'une raison ou d'un sujet transcendantal la possibilité de la perception. La critique de cette appréhension du percevoir repose sur la reconnaissance d'une organisation propre à celui-ci et irréductible à la pensée abstraite.

3 — On peut mettre en lumière le rôle d'un sujet sensible qui pose d'emblée la croyance en la réalité de l'objet hors de nous, en traitant de façon spécifique les informations externes. La mise en évidence de cette activité interne au sentir lui-même a son origine dans une critique de la psycho­logie expérimentale du XIXe siècle que Brentano et Husserl ont inaugurée en créant la notion d'intentionnalité. Elle s'est développée par l'étude de la structure interne de la perception effectuée par la psychologie de la forme (Kôhler) puis dans, l'interaction des recherches phénoménologiques et psychologiques : les philosophes (Merleau-Ponty, Phenomé-nologie de la perception) utilisent les résultats et les concepts

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de la psychologie, les psychologues (Goldstein, Buytendijk, Ey) n'hésitent pas à employer des concepts tels que conscience, vécu, perceptif, etc.

Cela aboutit à remettre en question la relation du sentir aux organes des sens. On montre que :

a — Les organes de l'appareil sensoriel ne sont pas indé­pendants bien qu'ils le paraissent anatomiquement (par exemple, Goldstein a montré qu'à la vision d'une certaine couleur correspond une certaine posture : le vert s'accom­pagne de flexion, le rouge d'extension).

b — L'organisme n'est pas un simple appareil enregistreur conduisant l'information de la périphérie aux centres nerveux car, dès le départ, il y a mise en forme (le processus est global dès la périphérie). La forme de la perception lui est propre, elle n'est pas réductible aux éléments perçus, c'est-à-dire décomposable en sensations élémentaires (ainsi dans un dessin complexe, on distingue diverses figures, dont la recon­naissance dépend de la perception de l'ensemble), ni aux propriétés organiques (ainsi on croirait expliquer la diffé­rence entre la perception du haut et du bas, par le renver­sement des objets sur la rétine, mais en faisant porter à certains sujets des lunettes inversant l'image, Stratton a montré qu'il n'en était rien puisque ces sujets s'accoutument à ce nouveau renversement). Pour rendre compte de ce caractère global, les psychologues, à la suite de Kiihler, parlent de champ perceptif.

c — Il faut écarter l'idée d'un parallélisme entre les éléments d'un processus organique et l'organisation ou la constitution du sentir (ainsi dans la vision binoculaire : deux images rétiniennes différentes mais perception d'un seul objet).

C'est d'une véritable transformation de la conception des sensqu'il s'agit. Le sentir doit être défini de façon complexe par (i) une certaine utilisation des organes des sens ; (ii) un « projet « vital qui relie le sujet à la réalité ; on comprend ainsi le caractère contraignant des perceptions et leur rapport à l'action ; (iii) la saisie des significations qui permettent aux qualités sensibles de se coordonner, de se relayer, d'être interprétées, et qui sont vécues à la fois comme inhérentes au sensible et comme déployées par le sujet, (iiii) une saisie représentative de la réalité à partir d'un critère de référence qui est le corps propre du sujet.

·            La nouvelle façon de poser les problèmes classiques

Cette nouvelle appréhension de la perception conduit à poser de façon neuve les problèmes classiques, voire à en poser de nouveaux.

L'activité perceptive concerne la totalité perceptive d'un sujet incarné et engagé dans un monde. Ce qui distingue la perception humaine de la perception animale, c'est ce monde de significations, inhérent au vécu perceptif, et qui n'est pas

le même en chacun (cf. Buytendijk, L'Homme et l'animal, 19 58 ). La signification que prend un objet dans la perception dépend du contexte où il se rencontre (un pavé enchâssé dans une chaussée, ou utilisé comme arme de jet, peut être le même objet, mais n'a pas la même signifi­cation) ; elle dépend aussi de la nature physique de l'animal, n'importe quel trait de la réalité externe n'est pas un signal déclenchant une réaction pour n'importe quel animal (la tique ou ixode perçoit seulement la chaleur et une odeur, celle de l'acide butyrique que dégagent les follicules sébacés

de tous les mammifères). Comment se constituent les signifi­cations ? Quels éléments y sont intégrés pour constituer le monde que déploie l'acte de sentir ? Puisqu'il y a des formes internes au sentir, d'où proviennent ces formes ? La tentation est grande de les interpréter en termes biologiques (et plus seulement physiologiques) ; mais si la perception humaine est dépendante d'un univers de significations, peut-elle être indépendante de l'univers social ? Il y a des peuples qui ne disposent pas de noms pour certaines couleurs que nous désignons, peut-on dire qu'ils les perçoivent ? Quel est le rôle du langage dans la perception ? Si on fait de l'orga­nisation perceptive un univers de formes fixes données a priori (K ôhler), comment expliquer le « changement perceptif «, c'est-à-dire la variation des perceptions avec l'âge, les changements sociaux, les situations, etc. On remarque que la richesse de la connaissance dépend de celle de la perception, mais quel est le rapport exact de l'une à l'autre, y a-t-il continuité entre la perception et la science ? Piaget propose une genèse des structures perceptives, selon des processus qui aboutissent à une équilibration terminale ; s'il pose une continuité dans la connaissance, entre les structures perceptives et les structures opératoires abstraites de l'intelligence, il différencie les deux par certaines propriétés formelles (par exemple, réversibilité des secondes). A quoi correspondent exactement cette genèse et cette conti‑

nuité ?

La complexité des problèmes afférents à la perception provient justement de son caractère de processus global ; à

chaque fois, ce qui est en question, c'est tout le rapport de l'homme au monde, voire la problématique définition d'une nature humaine ; c'est pourquoi en dépit d'une appréhension positive dont les acquis s'accroissent sans cesse, elle demeure un thème philosophique.

1.  La langue classique entend par perception toute connaissance immédiate (on perçoit une idée), il serait donc plus correct de préciser : « Le problème philosophique de la perception sensible «, afin de ne pas confondre perception et sensation.

2.  Voir empirisme.

3.  Voir expérience/expérimentation.

4.  Watson (1870-1958) réduit la psychologie à l'étude du comportement (behaviour) observable.

5.  Voir Kant.

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