Devoir de Philosophie

Je l'ai regardée, sidéré.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

Je l'ai regardée, sidéré. Farvuss nisht ? ai-je dit. Pourquoi pas ? Elle m'a jeté un regard dur. Farvuss ? Vayl er geveyn in di yiddisheh Militz. Je pensais avoir bien entendu et la traduction de Shlomo n'a laissé planer aucun doute. Son mari était un Yiddish poliziant, a-t-il dit en me regardant avec un air sévère. Elle a dit qu'elle ne voulait pas parler de lui parce qu'il était dans la police juive. Et une Akcja, une Aktion, a été menée par la police juive. Matt et moi nous regardions fixement. Je savais que nous avions la même pensée en tête : c'était comme une répétition de Haïfa. A présent, pendant que mon esprit repassait tout à grande vitesse, certaines choses qu'avait dites Klara - et certaines autres, je m'en rendais compte à présent, qu'elle n'avait pas dites - commençaient à me revenir en mémoire. Par exemple, le fait qu'ils étaient partis pour se cacher particulièrement tard, bien après tous les autres. Par exemple, le fait que pendant tout son récit des années de guerre, lors du dernier rendez-vous, elle n'avait jamais véritablement parlé de son mari décédé, avait seulement laissé supposer que ce qui était arrivé à elle était aussi arrivé à lui. L'angoisse atroce dans le camp de travail, l'attente intolérable de la nuit de leur fuite. Tout en fouillant dans mes souvenirs, j'ai dit, Alors quand la police juive participait à ces actions, elle faisait... tout ce que... ? Shlomo a dit, avec une emphase surprenante, Ils venaient, ils vous arrêtaient, si vous aviez de l'argent, vous le leur donniez, ils vous emmenaient. Ils croyaient que tout le monde serait tué, mais que, eux, ils seraient épargnés. J'ai pensé à ce que Marek avait dit de son père, combien il avait été généreux et bon. Je me suis souvenu de ce qu'avait dit Josef Adler, la veille : certains étaient bons, d'autres ne l'étaient pas. C'était compliqué. A cet instant précis, j'ai choisi de croire que Yankel Freilich avait été un des bons. Avec cette pensée en tête, je me suis tourné vers Shlomo. Laissez-moi vous poser une question, ai-je dit. Comment faisait-on partie de la police juive ? Je veux dire, est-ce qu'on pouvait refuser ? Shlomo m'a adressé un sourire emprunté, réprobateur. On ne pouvait pas dire non, non. Certains étaient volontaires et d'autres étaient forcés. Mais qui était « forcé » ? J'ai dit, Qui sait ? Mais je disais que... (ce que je voulais dire, c'était ceci : si j'avais pensé pouvoir sauver ma jeune épouse et moimême en faisant partie de la police juive, en profitant de je ne sais quels avantages minables pour faire partie de ceux qui arrêtaient les Juifs, l'aurais-je fait ? Oui, peut-être) Shlomo m'a interrompu. Mais nous avions deux dirigeants du Judenrat à Bolechow et ils se sont pendus. J'ai hoché la tête. Je sais, ai-je dit. Reifeisen... Reifeisen et Schindler, a dit Shlomo. Son argument, je le voyais bien, c'était qu'il y avait des gens qui étaient tellement dégoûtés moralement par ce qu'on les obligeait à faire qu'ils préféraient faire d'autres choix. Mais qui étais-je pour juger ? En tout cas, Yankel était depuis longtemps mort et enterré, et sa générosité à l'égard des Juifs après la guerre, au moins, était un fait établi. A cet instant précis, j'éprouvais un sentiment de protection à l'égard de Klara, qui, je le savais désormais, avait été contrainte d'endurer des horreurs inimaginables et dont la coquetterie presque adolescente, les danseuses en porcelaine, les tableaux bucoliques, l'élégance affectée et le goût pour les jolis vêtements et les bijoux étaient peut-être, me disais-je à présent, une sorte de récompense superficielle, de réparation futile pour les choses horribles qui la hantaient encore. J'ai donc choisi de croire que son Yankel avait été un des bons policiers juifs. Anna a dit quelque chose à Shlomo, qui s'est tourné vers moi et a traduit. Elle dit, Il peut avoir honte de la façon dont ils se sont comportés, du traitement. Puis Shlomo a dit, J'ai une histoire pour vous, une histoire privée, mais elle ne peut pas figurer dans votre livre, il faut que vous arrêtiez votre magnétophone. J'ai éteint le magnétophone. Il a commencé à parler.     C'est peu de temps après, juste au moment où nous nous apprêtions à quitter l'appartement d'Anna, qu'un souvenir particulier est revenu en mémoire à Shlomo et a tout changé. Nous avions parlé de Dusia Zimmerman, la fille dont le frère avait été, du moins selon Meg Grossbard, le petit ami de Lorka pendant l'Occupation... même si, maintenant que nous avions entendu parler d'un certain Halpern, maintenant que nous avions entendu dire que Lorka avait été plus « facile » que ne s'en étaient souvenus les autres, il était bien difficile de savoir. Yulek Zimmerman avait péri, disait Shlomo, mais sa soeur avait survécu. Il m'a raconté une histoire remarquable. Après la guerre, elle s'était mariée avec un Belge à qui elle n'avait révélé qu'elle était juive que bien des années après le mariage. Mais tout le monde savait qu'elle refusait de parler à qui que ce soit, qu'elle défendait sa vie privée avec ténacité. Hé bien, ai-je plaisanté, comme ça nous n'aurons pas besoin d'aller en Belgique. C'était bien assez que nous soyons allés en Suède, que nous ayons fait ce voyage de folie de New York à Londres, de Londres à Stockholm, et retour de Stockholm à Londres, de Londres à Tel-Aviv ! Et je me suis dit que ça suffisait comme ça, cette course-poursuite après Dyzia Lew, jusqu'en Israël. C'est à cet instant précis que Shlomo s'est littéralement frappé le front du plat de la main. Oooooh ! s'est-il exclamé, Oh ! ! ! J'ai oublié ! ! ! Vous étiez en Scandinavie ! Il y a un habitant de Bolechow qui vit à Copenhague. Aïe, aïe, aïe, aïe ! J'ai dit, Qui ? J'ai pensé, Peut-être qu'il n'est pas important. Mais Shlomo, reprenant ses esprits, a dit simplement, Vous savez quoi ? Nous allons lui parler. Nous allons l'appeler plus tard de chez moi. Après cette séance de photo avec Anna, nous étions censés aller chez Shlomo pour un déjeuner de fête préparé par sa femme, Ester, une femme solide, au visage rond, qui parlait peu l'anglais, mais dont la chaleur et la générosité, en dépit de la barrière du langage, remplissaient chacun de ses mots, de la même manière que les odeurs des mets délicieux qu'elle avait rôtis, frits et cuits, chaque fois que je lui avais rendu visite, emplissaient sa petite cuisine. C'était Ester qui m'avait dit, en inclinant la tête vers son mari, alors que nous étions assis tous les trois devant le déjeuner gigantesque qu'elle avait préparé pour ma première visite en Israël, Bolechow, Bolechow, Bolechow ! et avait fait une grimace d'exaspération affectueuse pendant qu'elle servait le kneydlakh à la louche. A présent, dans la salle de séjour d'Anna Stern, je demandais de nouveau, Qui est-ce ? Qui vit à Copenhague ? Shlomo a parlé en yiddish, sur un ton excité, à Anna. J'ai entendu Malcia Lewenwirths onkel. J'ai entendu, Akegn der DK DK : le Dom Katolicki. En face du DK. Der haus akegn die DK. La maison en face du DK. J'écoutais, de plus en plus impatient. Alors qui est cet homme de Copenhague, Shlomo ? Il m'a dit qu'il y avait un autre habitant de Bolechow dont il avait complètement oublié de me parler, un homme très âgé du nom d'Adam Külberg, qui avait vécu dans le quartier du Dom Katolicki. Il n'avait pas pensé à m'en parler plus tôt, parce que Kulberg était parti en Union soviétique juste avant l'arrivée des Allemands. Pour cette raison, il ne serait pas en mesure de nous dire quoi que ce soit sur ce qui était arrivé aux Jäger. Il n'était plus là. Il ne saurait rien. J'ai pensé, Personne d'autre n'était vraiment « là », personne d'autre n'avait réellement vu ce qui leur était arrivé ; mais tous avaient des histoires. Je me suis dit, Nous étions en Suède, pour l'amour de Dieu : il aurait été tellement facile de passer par le Danemark. Mais j'ai regardé Shlomo et vu à quel point il était mortifié, et j'ai pensé, Qui suis-je pour me plaindre auprès de ces gens à propos d'un contretemps au cours de ce voyage ? J'ai donc dit, Hé bien, peut-être que nous pourrons lui parler de chez vous et nous verrons bien s'il sait quelque chose, peutêtre que ça ne vaut même pas la peine de faire le déplacement. Shlomo a eu l'air soulagé. Je vais lui téléphoner, a-t-il dit. Dans cinq, dix minutes, vous pourrez lui poser vos questions. J'ai dit, Quel âge a-t-il ? Peut-être qu'il a perdu la mémoire, ai-je pensé. Peut-être qu'il n'y a pas la moindre raison d'être contrarié. Shlomo a dit, Oh, plus vieux qu'elle. Il a hoché la tête en direction d'Anna - elle était assise sur le sofa, posant pour Matt - et puis il a ajouté, Oh, comment j'ai pu oublier, comment j'ai oublié ?    

« j'éprouvais unsentiment deprotection àl'égard deKlara, qui,jelesavais désormais, avaitété contrainte d'endurerdeshorreurs inimaginables etdont lacoquetterie presqueadolescente, les danseuses enporcelaine, lestableaux bucoliques, l'éléganceaffectéeetlegoût pour lesjolis vêtements etles bijoux étaient peut-être, medisais-je àprésent, unesorte derécompense superficielle, deréparation futilepourleschoses horribles quilahantaient encore.J'aidonc choisi decroire quesonYankel avaitétéundes bons policiers juifs. Anna adit quelque choseàShlomo, quis'est tourné versmoietatraduit.

Elledit,Ilpeut avoir honte delafaçon dontilsse sont comportés, du traitement. Puis Shlomo adit, J'aiune histoire pourvous, unehistoire privée,maisellenepeut pasfigurer dans votre livre,ilfaut quevous arrêtiez votremagnétophone. J'ai éteint lemagnétophone.

Ilacommencé àparler.     C 'est peu detemps après,justeaumoment oùnous nousapprêtions àquitter l'appartement d'Anna, qu'unsouvenir particulier estrevenu enmémoire àShlomo etatout changé. Nous avions parlédeDusia Zimmerman, lafille dont lefrère avaitété,dumoins selonMeg Grossbard, lepetit amideLorka pendant l'Occupation...

mêmesi,maintenant quenous avions entendu parlerd'uncertain Halpern, maintenant quenous avions entendu direqueLorka avait été plus « facile » quenes'en étaient souvenus lesautres, ilétait biendifficile desavoir.

Yulek Zimmerman avaitpéri,disait Shlomo, maissasœur avaitsurvécu.

Ilm'a raconté unehistoire remarquable.

Aprèslaguerre, elles'était mariée avecunBelge àqui elle n'avait révéléqu'elle était juive quebien desannées aprèslemariage.

Maistoutlemonde savaitqu'elle refusait de parler àqui que cesoit, qu'elle défendait savie privée avecténacité. Hé bien, ai-jeplaisanté, commeçanous n'aurons pasbesoin d'allerenBelgique.

C'étaitbien assez quenous soyons allésenSuède, quenous ayons faitcevoyage defolie deNew Yorkà Londres, deLondres àStockholm, etretour deStockholm àLondres, deLondres àTel-Aviv ! Et jeme suis ditque çasuffisait commeça,cette course-poursuite aprèsDyziaLew,jusqu'en Israël. C'est àcet instant précisqueShlomo s'estlittéralement frappélefront duplat delamain. Oooooh ! s'est-ilexclamé, Oh ! ! !J'aioublié ! ! ! VousétiezenScandinavie ! Ilya un habitant de Bolechow quivitàCopenhague.

Aïe,aïe,aïe,aïe ! J'ai dit, Qui ? J'ai pensé, Peut-être qu'iln'est pasimportant. Mais Shlomo, reprenant sesesprits, adit simplement, Voussavez quoi?Nous allons luiparler. Nous allons l'appeler plustard dechez moi. Après cetteséance dephoto avecAnna, nousétions censés allerchez Shlomo pourundéjeuner de fête préparé parsafemme, Ester,unefemme solide,auvisage rond,quiparlait peul'anglais, mais dont lachaleur etlagénérosité, endépit delabarrière dulangage, remplissaient chacun de ses mots, delamême manière quelesodeurs desmets délicieux qu'elleavaitrôtis, fritset cuits, chaque foisque jelui avais rendu visite,emplissaient sapetite cuisine.

C'étaitEsterqui. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles