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TRAVAIL

Publié le 02/04/2015

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travail

TRAVAIL____________________________________

Le paradoxe du travail est d'être conçu à la fois comme nécessité de la nature humaine et comme violence faite à cette nature (l'étymo­logie rattache le mot au supplice latin du tripalium). Le problème philosophique qu'il pose est celui de son sens : qui travaille, comment, pourquoi, et dans quels rapports cette activité spécifiée

engage-t-elle les individus au sein d'une société ?

1.     Une réflexion sur le sens et la valeur du travail est présente dans les mythes fondateurs de toute société. Pour Homère, le travail revêt la valeur négative d'être l'activité forcée à laquelle doit se livrer une humanité parvenue au terme de l'âge d'or (époque mythique où la nature fournit tout en abondance). Si Hésiode admet que la richesse provient de l'activité concrète qui transforme la matière, il oppose le travail à la fécondité. Les philosophes grecs (Platon, Aristote) en font la fonction des gens de metier, voire des esclaves ; par là ils le dévalorisent au profit de l'activité intellectuelle ou morale dans laquelle la perfection de l'agent est le but même de l'action. Pour l'homme grec, le travail est une nécessité générale dans la mesure où il a pour but d'approprier la nature à son usage ; il n'est pas une nécessité interne à chacun puisque la société esclavagiste en dispense certains. Ce n'est que bien plus tard, à la Renais­sance, avec la généralisation du salariat, que devenu lui-même une marchandise, le travail rompt sa liaison avec la production des valeurs d'usage de ces marchandises, pour revêtir l'universalité d'une valeur d'échange. C'est à ce moment seulement qu'il devient l'objet d'une réflexion positive.

2.     Avec le développement de la société industrielle, le travail est pensé comme source de valeur. Au XVIIIe siècle encore, les physiocrates voient dans la nature (c.-à-d. l'agri­culture) la seule source de richesse, mais l'industrie implique qu'on lui ajoute le travail humain. Les économistes du XIXe siècle en font la mesure des richesses (Malthus : l'étalon invariable de la valeur des marchandises est la quantité de travail qu'elles peuvent acheter) et leur source (Ricardo : la valeur d'une marchandise est le nombre d'heures de travail qui s'y est réalisé). C'est pourquoi Hegel, dans la Phénomé­nologie de l'esprit en fait un stade essentiel de la formation de la conscience : l'homme se réalise dans le travail. Mais c'est Marx qui pose le plus clairement les problèmes essentiels en montrant que la fonction libératrice et abstraite accordée à un travail qui permet de dominer la nature cache bien autre chose :

1 — Dans les Manuscrits de 44 où il est fait directement référence à une nature humaine qui se réalise dans l'appro­priation du monde, l'accent est mis sur l'aliénation du

travail sous sa forme salariée. L'ouvrier est étranger à sa force de travail (échangée contre sa subsistance), au produit de son travail (sa production ne lui appartient pas) et finalement à lui même (puisqu'il est sous la domination d'un produit de son travail : le capital) ; par là l'essence générique de l'homme qui consiste en une activité vitale libre et consciente qui le reproduit dans son genre, est aliénée car en devenant le simple moyen de son existence, elle devient étrangère à son essence individuelle. L'aliénation du travail a pour corollaire la domination de celui qui ne produit pas, du capitaliste, sur la production, le producteur et le produit c'est-à-dire l'exploitation de l'homme par l'homme.

2 — Dans les travaux ultérieurs où Marx renonce à une inter­prétation humaniste (Contribution à la critique de l'éco­nomie politique, Le Capital) les marchandises s'échangeant selon la quantité de travail social moyen nécessaire à leur production, il élabore la notion de plus-value comme surtravail afin d'çxpliquer l'origine du profit : celui-ci n'existe que dans la mesure où une partie du travail effectué par l'ouvrier n'est pas payée (cf. l'article Marx).

3. Tout invite à concevoir le travail comme essence de l'homme.

C'est pourquoi on utilise aujourd'hui largement le terme pour désigner toute activité spécifiquement humaine. On peut cependant refuser cette essentialité : d'une part l'éco­nomie moderne ne fait plus du travail la cause principale de la valeur des marchandises, d'autre part il est clair que dans la satisfaction des besoins, le travail n'est qu'un moyen. Ce n'est peut-être pas dans le travail que l'homme se réalise, mais dans le plaisir. En posant que « la civilisation est fondée sur l'assujettissement permanent des instincts humains «. Freud ouvre la voie à une nouvelle analyse que Marcuse (Eros et civilisation) développera. Dans la société, progrès et répression sont associés, le principe de plaisir est soumis au principe de réalité ; l'aliénation qui correspond au travail provient, non seulement de ce que nous sommes spoliés du produit de notre travail, ou que pour satisfaire nos besoins, il nous faut toujours travailler plus (et par conséquent renoncer à notre plaisir), mais de ce que la société crée des besoins (gadgets, automobiles, etc.) qui nous enchaînent. Même si le travail n'est pas conçu comme essence spécifique de l'homme, il est toujours saisi en rapport à un processus d'aliénation ou de domination. On peut alors définir grossiè­rement trois attitudes :

1 — Dans une perspective humaniste (qui est aussi celle des penseurs libéraux, cf. G. Friedmann, Le Travail en miettes, trad. franç. 1964), il s'agit de concevoir une forme de travail qui ne soit pas aliénante ; cette perspective est la plus large, puisque ses débouchés dépendent essentiellement de ce qu'on entend par « nature humaine « (concrètement elle peut

aboutir au réformisme qui réclame une amélioration des conditions de l'emploi, comme au refus d'une certaine société).

2 — Si le travail n'est pas l'essence de l'homme, mais un moyen de parvenir à satisfaire ses désirs, refuser le travail peut être un moyen de libération, puisque cela suppose qu'on considère comme fondamentaux des besoins qui ne dépendent pas de la société.

3 — Dans une perspective plus conforme à celle du second Marx, il s'agit de saisir les contradictions du mode de production capitaliste, et par une pratique révolutionnaire, de créer les conditions d'une société où, par l'abolition de la division du travail, serait supprimée la lutte de classe et l'Etat.

 

·     Dans la critique concrète que les contemporains font du travail, c'est toujours un travail socialement déterminé qui est visé, et, par conséquent, une certaine forme de société. L'apparition d'un nouveau sens du travail (qu'il s'agisse d'un travail dont le produit n'échappe pas à son auteur, ou d'un travail qui ne soit pas vécu comme répression d'un désir) ne peut s'accomplir sans que ne se réalise l'adéquation des besoins et des produits. Elle suppose donc soit l'abondance illimitée des biens, soit la limitation de la consommation. La première hypothèse se rattache au mythe de l'âge d'or ; la seconde paraît plus plausible : mais comment pourrait-elle se réaliser sans réintroduire la répression qu'on s'efforce d:éviter, en dehors d'une société qui ne crée pas de besoins autres que ceux naturels à l'homme (à supposer qu'ils existent) ? Cette société nécessite la triple harmonie de l'individu à autrui, à la société et à la nature. A quelles conditions pouvons-nous en penser la possibilité sans tomber dans le mythe ?

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