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Y a-t-il contradiction entre l'état de nature et l'état de société ?

Publié le 27/02/2008

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Dans la société naissante où, suppose-t-il, foisonnaient les usurpations, les brigandages et les passions, un conflit ne manqua pas de s'élever entre   le droit du plus fort et le droit du premier occupant.  Les plus riches sentant alors «combien leur était désavantageuse une guerre perpétuelle dont ils faisaient seuls tous les frais», ils conçurent «le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain»: de leurs adversaires, faire leurs défenseurs et, puisque le droit naturel leur était contraire, inventer des institutions de justice et de paix qui leur fussent favorables. «Unissons-nous», dit donc le riche au pauvre; rassemblons nos forces en «un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l'association, repousse les ennemis communs et nous maintienne dans une concorde éternelle». Rousseau ne parle, en l'occurrence, ni de «contrat» ni de «pacte»; il décrit plutôt le modus vivendi à la faveur duquel seraient mis en évidence les avantages de la vie politique. Cependant, en croyant assurer leur liberté, tous, par cette union, dit Rousseau, « coururent au devant de leurs fers »: non seulement la liberté naturelle fut détruite mais la possession fut transformée en «droit irrévocable» et quelques ambitieux assujettirent le genre humain au travail à la servitude et à la misère. S'il est vrai que «la société ne consista d'abord qu'en quelques conventions générales», «l'assujettissement tranquille» de l'homme barbare a dû, assurément, établir un ordre, mais cet ordre devait être de ceux qui bafouent la loi naturelle en permettant à la loi du plus fort de triompher.  Ce fut donc un ordre générateur de désordres; et l'union que préconisait le riche pour établir la justice fut fondamentalement injuste. Par conséquent, le calcul d'intérêts fait par les riches n'est pas le principe sur lequel doit s'établir le droit politique.  Néanmoins, malgré son échec, il prouve, comme le dit le « Manuscrit de Genève », « la nécessité des institutions politiques» par lesquelles «l'art» - dût la raison à travers lui exiger qu'une partie de la liberté soit sacrifiée à la conservation de l'autre - doit venir au secours de la nature à la fois pour protéger la vie, les biens, la liberté en tant que véritables droits « et pour défendre l'homme non pas contre la nature, mais contre l'homme lui-même, faute de quoi le genre humain périrait». Le « Contrat social » répétera que « le droit véritable » ne vient point de la nature, qu'il est «fondé sur des conventions» et qu'il faut même « remonter à une première convention ».

« n'étaient que des engagements interindividuels par lesquels seigneurs et vassaux, en tant que personnesprivées, se promettaient mutuellement fidélité.

Or, tirant très probablement la leçon des débats au coursdesquels les penseurs de la Renaissance tels Milton , La Boétie ou Bodin , Hotman ou Suarez ...

ont défendu avec âpreté le caractère public du pouvoir politique, Hobbes entend souligner la nature fondamentalement et essentiellement publique de la société civile ou politique. En outre, fortement influencé par la science mécaniste de son temps et, surtout, par la démarche « résolutive- compositive », c'est-à-dire analytique et synthétique de la physique copernico-galiléenne, Hobbes n'hésite pas à transporter cette procédure intellectuelle de la nature physique au monde humain afin d'ouvrir la voie à « la science politique » dont il entend être le pionnier.

Il adosse son projet à une anthropologie en laquelle l'homme, tel que le révèle l'hypothèse de sa « condition naturelle » (Lév.

XIII), est un individu insulaire, égal à tout autre en ses besoins, ses forces, ses désirs, ses capacités.

Dans la fiction purement opératoire de « l'état de nature », Hobbes ne voit par conséquent qu'une multitude d'individus isolés les uns des autres, chacun se caractérisant par sa puissance (power).

La physiologie et la psychologie hobbiennes se construisent autour de ce concept depuissance (qu'il ne faut pas entendre par référence à la métaphysique d' Aristote mais par référence à la physique de Galilée ou de Mersenne ) de sorte que l'état de nature qu'imagine le philosophe est le vaste champ où se déploient, de manière purement mécanistique, toutes les manifestations de la force et de lapuissance en l'homme.

En d'autres termes, ce sont exclusivement des rapports de forces qui, dans la conditionnaturelle des hommes, s'établiraient entre eux.

Cela, selon Hobbes , s'explique aisément.

En effet, tous les hommes ayant le même désir naturel de se conserver, ont le même « droit » (power) de satisfaire ce désir.

Le résultat est clair parce qu'il est mécanique : les hommes s'entre-déchirent en une « guerre de tous contre tous », universelle et sans merci. Si les hommes ne vivaient jamais qu'en l'état de nature, leur horizon ne pourrait être par conséquent que ladestruction du genre humain.

Mais, en vertu d'une « règle générale de la raison », que Hobbes considère comme « la loi de nature fondamentale » (Lév.

XIV), selon laquelle il est impératif « de rechercher et de poursuivre la paix », les hommes refusent l'horizon de mort auquel, sous l'empire de la peur, ils seraient conduits s'ils cédaient à leurs tendances et à leurs passions.

Donc, parce que l'homme est un « homo rationalis » à qui l'irrationnel est insupportable, il lui appartient de quitter l'état de nature et, par le truchement de son « art» (c'est-à-dire grâce à un artefact) , de construire un état civil en quoi un corps politique sera substitué à la multitude des individus naturels. L'artifice que produit la raison pour faire naître la République est le contrat.

Celui-ci apparaît comme laprocédure intellectuelle grâce à laquelle l'individualisme qui régnerait en l'hypothétique état de nature en yinstallant la guerre de tous contre tous peut être surmonté.

En termes plus simples, disons que le contrat qui,en idée et non pas à titre de fait historique, est nécessaire pour instituer la société politique arrache lesindividus à leur condition naturelle; il fait que, l'homme n‘étant plus dorénavant « un loup pour l'homme », l'horrible « timor mortis »qui tenaille chaque individu en l'état de nature peut cesser tandis que se dessine un horizon de paix civile.

Hobbes trouve ainsi dans « le pas de la raison » la cause nécessaire et déterminante de la condition civile ou politique.

L'axiome sur lequel repose la génération de la « Res publica » répond à une logique contractualiste qui s'exprime en ces termes : il faut que, par un calcul téléologique d'intérêts, chacun«consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l'on pensera que celaest nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu'on a sur toute chose » (Lév.

XIV). La fonction opératoire du concept de contrat ainsi défini est cruciale: ce calcul pragmatique pose la premièrepierre de l'édifice politique: par le rationalisme et le volontarisme qui le portent, il permet le retournement desthèses naturalistes développées par la tradition aristotélico-thomiste.

Non seulement Hobbes place l'homme au principe de la politique, mais son individualisme mécaniste donne son originalité à la théorie du contratfondateur qu'il propose: le contrat, en effet, est conclu entre les hommes eux-mêmes (inter pares) et il s'opèreen faveur d'un tiers qui est l'autorité politique même du « Commonwealth » ou « Civitas ».

Le constructivisme de la démarche contractuelle est parfaitement net: chacun confiant l'exercice de son droit de nature (« power ») à l'être rationnel qui agira désormais en ses lieu et place, l'État-Léviathan se trouve édifié par ce désistementgénéralisé auquel tous consentent.

L'acte instituteur de la société politique réside ainsi dans la transmissionque chacun fait de l'exercice de son droit à l'homo rationalis qui se trouve engendré par cette transmissionmême.

« La seule façon d'ériger un pouvoir commun, apte à défendre les gens de l'attaque des étrangers et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger de telle sorte que par leurindustrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est de confier tout leurpouvoir et toute leur force à un seul homme ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutes leursvolontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté » (Lév.

XVII).

Hobbes précise: « Cela va plus loin que le consensus ou concorde : il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réaliséepar une convention de chacun avec chacun, passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun :J'autorise cet homme ou cette assemblée et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cettecondition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. » La multitude ainsi unie est une République ou État. La génération contractuelle de la société politique est donc de part en part, selon Hobbes qui appuie sa théorie sur une étude minutieuse de la nature humaine, une oeuvre de la raison.

Elle procède d'un calcul (« ratio ») qui a pour effet d'arracher tous les individus à la naturalité et de les soumettre, par leur décision volontaire, àl'immense puissance (« potestas ») qu'ils ont édifiée par la transmission de leurs forces et de leurs droits de nature (« potentiae ») à la « personne fictive » ou à l'homme artificiel qu'est le grand « Léviathan » ou Etat.

Le. »

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