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La notion de barbarie peut être aujourd'hui pensée sans équivoque ?

Publié le 04/10/2005

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Selon l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, la barbarie était une « grande contrée d'Afrique, enfermée entre l'océan Atlantique, la mer Méditerranée, l'Egypte, la Nigritie et la Guinée ». Hegel lui-même se fera prendre par le piège ethnocentriste quand il écrit ceci : « Le nègre représente l'homme naturel dans toute sa sauvagerie et sa pétulance ; il faut faire abstraction de tout respect et de toute moralité, de ce que l'on nomme sentiment, si on veut bien le comprendre ; on ne peut rien trouver dans ce caractère qui rappelle l'homme » (Leçons sur la philosophie de l'histoire). Il est surprenant de voir aujourd'hui comme le génie d'un homme peut s'effondrer à la lumière d'une telle ineptie.       II. L'ethnocentrisme et sa critique        a. L'ethnocentrisme est la tendance à répudier toutes les manifestations culturelles et les comportements éloignés de ceux auxquels nous nous identifions. Claude Lévi-Strauss précise que cette attitude de rejet est ancrée au plus profond de nous et réapparaît chaque fois que nous sommes placés dans des situations dérangeantes de perte de repères. Cette attitude individuelle est de tout temps, et Lévi-Strauss souligne qu'elle a eu des traductions historiques et dramatiques. Pour l'antiquité grecque, tout ce qui n'est pas grec est barbare. Des siècles plus tard, tout ce qui n'était pas européen est sauvage et donc, dans la mesure du possible, à civiliser.

La barbarie a toujours eu un sens axiologique négatif, et ce depuis la Grèce antique. De fait, et principalement, le barbare est caractérisé comme celui qui en est resté à un état naturel, un état où la pulsion prime sur la réflexion. Au fil des siècles, la notion plastique de barbare s’est confondue dans tout type d’argument, dans tout type de rapport. Cette notion ne va ainsi pas de soi, puisqu’en tant qu’elle permet une désignation péjorative d’autrui, tous peuvent être qualifiés de « barbare «. Ce n’est qu’en se penchant sur l’histoire de cette désignation brutale qu’on sera à même d’éclairer ce qu’est un barbare, et aussi s’il y a oui ou non effectivement barbarie au sein des usages de différentes cultures. Car cette qualification (plus souvent émise par ignorance que par intelligence) fait-elle bien resurgir un ordre de valeur dominant, ou n’est-elle que l’arbitraire d’une tendance toujours guidée par des égarés ?      

« barbares ? Lévi-Strauss, grand anthropologue français, souligne, dans Race et Histoire, d'où est extrait notrecitation, ce trait propre à toute société, qu'est l'ethnocentrisme : chaque ethnie, c'est-à-dire chaque peuple, atendance à se penser comme étant au centre du monde, à considérer ses coutumes, ses mœurs, ses règles, sescroyances, ses modes de penser,...

comme meilleurs que ceux ethnies ou des peuples différents, comme si sa tribu,son village, son clan, son pays, sa culture étaient plus représentatifs de l'humanité que tous les autres.

Ainsi lebarbare, le non civilisé c'est toujours l'autre; l'autre au sujet duquel on raconte toute sorte d'horreurs ou d'atrocitésainsi des Vikings, des Huns, des Goths, des Tartares, Mongols, des Chinois..., sans parler de tribus sauvages au finfond de l'Afrique ou de l'Amazonie, etc.

Or, peut-être commence-t-on à ne plus être un barbare, ou commence-t-onà être un homme civilisé, le jour où l'on reconnaît qu'on est le premier, peut-être, à être capable de se comporter enbarbare.Le mot "barbare" - barbaros en grec- signifie à l'origine "l'étranger qui ne parle pas grec" : on pouvait être étranger àAthènes, venir de Corinthe ou de Thèbes, on était alors un xénos, un étranger certes, mais un étranger qui parlaitgrec; en revanche les Egyptiens, les Perses, etc.

étaient appelés "barbares".

Pour les Romains, de même, lesbarbares étaient ceux qui ne parlaient pas latin, ou ceux qui, malgré la colonisation et la construction de l'empireromain, n'avaient pas été latinisés, et qui se situaient donc au-delà des frontières de l'empire.

Or ces peuplesextérieurs ont fini par envahir l'empire romain et renversé son ordre : c'est ainsi qu'on parle encore dans les livresd'histoire de l'invasion des barbares.

La phrase de Lévi-Strauss est quelque peu dérangeante: car elle revient àcondamner l'usage de mot barbare.

Celui qui accuse l'autre de barbarie est lui-même un barbare.

Mieux, c'est celui-là même qui est réellement un barbare.

Pourquoi ? Parce qu'accuser autrui de violences et d'atrocités, de cruauté,de sauvagerie...

croire que l'autre est un barbare, c'est supposer que soi-même on ne serait pas capable de mauxsemblables.

Est civilisé celui qui admet bien plutôt que tout homme, à commencer par soi, est capable du pire.

c. C.

Lévi-Strauss cite un cas patent de discrimination en miroir : « Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique.

Dans les Grandes Antilles, quelques années après ladécouverte de l'Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si lesindigènes possédaient ou non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des blancs prisonniers afin de vérifierpar une surveillance prolongée si leur cadavre était ou non, sujet à la putréfaction (ce qui devait prouver qu'ilsétaient bien des hommes et non des démons).

Cette anecdote à la fois baroque et tragique illustre bien le paradoxedu relativisme culturel : c'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et lescoutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celle qu'on essaye de nier.

En refusant l'humanité à ceux quiapparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter unede leurs attitudes typiques.

Le barbare, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie ».

III.

La barbarie aujourd'hui a.

Le barbare est souvent considéré, comme on l'a vu, comme l'individu non civilisé, non éduqué.

Mais il s'avère qu'il existe des barbares bien policés, selon ce qu'en dit toujours C.

Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques .

De fait, la violence, la férocité, reste des attitudes relatives, en tant qu'elles s'expriment différemment selon les peuples.L'auteur nous dit que la police des indiens anthropophages d'Amérique du nord se met en dette lorsqu'elle punit unindigène en détruisant ses biens.

Au fil d'une longue « série de cadeaux et de contre-cadeaux » (théorie del'échange), le désordre antérieur (issu du forfait commis par un individu) s'efface afin que l'ordre initial se réinstaure.Lévi-Strauss montre ainsi que de tels usages sont plus humains que les nôtres (occidentaux).

De surcroît, dans cetype de système il n'y a pas d'infantilisation du coupable, comme on peut le voir dans nos sociétés où « le comblede l'absurdité » est qu'on traite « simultanément le coupable comme un enfant pour nous autoriser à le punir, etcomme un adulte afin de lui refuser la consolation », mais aussi qu'on pense avoir « accompli un progrès spirituelparce que, plutôt que de consommer quelques-uns de nos semblables, nous préférons les mutiler physiquement etmoralement ».

b.

Il reste indéfiniment une pointe de barbarisme au regard de certaines attitudes le plus souvent gratuites.

Par rapport à l'exemple précédent, on comprend que le terme de barbare ne peut être attribué relativement à desmœurs ou une culture.

Il semble plus aujourd'hui adéquat de parler des atrocités qu'engendrent délibérémentcertains qui abusent de leur pouvoir.

N'est-elle pas là véritablement, la barbarie, quand un gouvernement s'engage àéliminer la totalité des juifs, ou encore quand des dirigeants européens aident frauduleusement deux groupes d'unemême ethnie africaine à se haïr et à favoriser un nouveau génocide (cf.

conflit du Rwanda) ? Conclusion Ce qui ressort de tout cela en premier lieu, c'est que la barbarie est un concept ancien comme les hommes, entant qu'ils ont eu à s'affronter, se découvrir, se comparer.

Depuis les théories ethnocentriques, il reste des résidusmanifestes d'égocentrisme, en ce que beaucoup considèrent l'autre négativement, puisqu'il ne répond pas à l'imagepour laquelle on s'identifie.

On comprend aussi non par gentillesse, mais par connaissance des civilisations, que labarbarie s'applique plus à des attitudes absolument déviantes et menaçantes pour le genre humain, qu'à des règlesde conduites originales certes, mais qui n'ont pas moins d'intelligibilité que toutes les autres.. »

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