Autrui me connaît-il mieux que moi-même ?
Publié le 01/02/2004
Extrait du document
Les autres sont pour nous comme des miroirs, des révélateurs. Si je me sais jaloux, c'est du fait du regard d'autrui. Mais, les autres sont plutôt un obstacle à la connaissance de soi. ils nous obligent à n'être pas nous-mêmes.
«
« Imaginons que j'en sois venu, parjalousie, par intérêt, à coller mon oreillecontre une porte, à regarder par le troud'une serrure.
Je suis seul [...] Celasignifie d'abord qu'il n'y a pas de moi pourhabiter ma conscience.
Rien donc, à quoije puisse rapporter mes actes pour lesqualifier.
Ils ne sont nullement connus,mais je les suis et, de ce seul fait, ilsportent en eux-mêmes leur totalejustification.
Je suis pure conscience deschoses [...].
Cela signifie que, derrièrecette porte, un spectacle se proposecomme « à voir », une conversationcomme « à entendre ».
La porte, la serruresont à la fois des instruments et desobstacles : ils se présentent comme « àmanier avec précaution » ; la serrure sedonne comme « à regarder de près et unpeu de côté », etc.
Dès lors « je fais ceque j'ai à faire » ; aucune vuetranscendante ne vient conférer à mes actions un caractère de donné sur quoi puisse s'exercer un jugement : maconscience colle à mes actes, elle est mes actes ; ils sont seulement commandéspar les fins à atteindre et par les instruments à employer.
Mon attitude, parexemple, n'a aucun « dehors », elle est pure mise en rapport de l'instrument (troude la serrure) avec la fin à atteindre (spectacle à voir), pure manière de meperdre dans le monde, de me faire boire par les choses comme l'encre par unbuvard [...].
Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que je suis soudain atteint dans mon être etque des modifications essentielles apparaissent dans mes structures [...].
D'abord, voici que j'existe en tant que moi pour ma conscienceirréfléchie.
C'est même cette irruption du moi qu'on a le plus souvent décrite : jeme vois parce qu'on me voit, a-t-on pu écrire [...] ; pour l'autre je suis penchésur le trou de la serrure, comme cet arbre est incliné par le vent.
[...] S'il y a unAutre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sansmême qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'aiun dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.
»
Sartre , « L'Etre et le Néant », Gallimard, pp.
305-306.
Le texte de Sartre décrit clairement deux états de la conscience.
Dans le premier, une conscience solitaire est occupée, par jalousie, à regarder par le troud'une serrure ce qui se passe derrière la porte.
Cette conscience est alorsentièrement livrée à la contemplation du spectacle jusqu'à s'y fondre; elle esttout entière ce spectacle qu'elle regarde, elle est la série des actes motivés parla jalousie (se pencher, ne pas faire de bruit, regarder).
Cette conscience ne seconnaît même pas comme jalouse (ce qui supposerait un recul réflexif): elle estrapport au monde sur la mode de la jalousie.
La conscience n'a pas deconsistance propre qui lui permette de s'appréhender comme moi; elle se confondimmédiatement avec toutes ces choses sur lesquelles elle s'ouvre.
Brusquement surgit un autre (j'entends des pas, on me regarde): je suis surpris, ilva penser que moi, je suis jamoux.
C'est alors (dans le cadre d'une expérience dela honte d'avoir été surpris) que ma jalousie prend consistance (et par là-mêmeaussi mon être comme jaloux); elle n'est plus seulement une manière diffuse d'agirdans ce monde: elle est cette qualification de ma personne, ce jugement sur moiporté par un tiers.
Je suis quelqu'un, je ne suis plus une pure ouverture sur lemonde: on me détermine comme un homme jaloux (on me donne une " nature ”, je deviens " quelque chose ” sous le regard de l'autre (autrui me chosifie).
Mais au moment où je deviens quelqu'un, je suis dépossédé de moi-même: c'est à.
»
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