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L'homme peut-il se contenter de travailler en vue du seul gain ?

Publié le 05/01/2004

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Le sujet accédant au sens et aux valeurs se bornera-t-il, légitimement, quand il transforme le réel en vue de produire un résultat utile, à privilégier ou à choisir l'unique profit matériel et pécuniaire ? Est-ce qu'à bon droit, il s'en tiendra à ce dernier ? Le travail, en d'autres termes, est-il seulement un moyen de vivre ?

  • DEFINITIONS DES TERMES:

- l'homme : voici une notion qui est loin d'être univoque et simple. L'homme désigne, soit un être faisant partie de l'espèce animale la plus évoluée, soit la personne, le sujet accédant au sens et aux valeurs, ici, ce sera l'homme comme idée et forme spirituelle, et non point comme espèce naturelle, qui retiendra notre attention. - peut-il : le verbe pouvoir possède, rappelons-le, deux acceptions fondamentales, puisqu'il renvoie à l'idée de possibilité, mais aussi à celle de légitimité, qui nous paraît ici essentielle. - travailler: ici encore, un terme polysémique et dont le sens a beaucoup évolué dans le temps. Rappelons qu'il vient du latin populaire tripalium, appareil constitué de trois pieux, servant à immobiliser les animaux. Travailler, c'est coordonner ses activités en vue de produire un résultat utile. Mais c'est aussi, du point de vue philosophique, exercer une activité consciente et volontaire, extérioriser, dans le monde, des fins destinées à le modifier, de manière à produire des valeurs et des biens socialement utiles. - en vue de : de manière à permettre ; dans l'intention de ; afin de ; pour, ici, c'est l'idée de but et de fin qui importe. - seul : ici, unique. - se contenter de: ne rien demander de plus ni de mieux, se borner à. - gain : ici, profit pécuniaire et matériel ; ce qu'on gagne du point de vue économique. Termes voisins : profit, rémunération, rendement, revenu, salaire, etc.

« animalité. • L'homme est le seul être vivant à transformer la réalité naturelle en réalité artificielle : le travail est une spécificitéhumaine.

« Le travail est la voie de la conscience, par laquelle l'homme est sortie de l'animalité » écrit Georges Bataille dans L'Érotisme. • L'homme se créé des interdits (cf.

Claude Lévi-Strauss : la prohibition de l'inceste est le passage de la nature à laculture).

Ainsi, l'éducation va imposer des interdits, essentiellement concernant la sexualité et la mort.L'homme cherche donc à échapper à l'animalité par l'éducation qui étymologiquement signifie « faire sortir de, tirerde » du latin educo.

L'éducation permet à l'homme de sortir de l'état de nature.

C'est ce qu'affirme G.

Bataille : « Je pose en principe un fait peu contestable : que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel,qui le nie.

Il change aussi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent unmonde nouveau, le monde humain.

L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple dedonner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apportait pas de réserve.

Il estnécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné, et, d'autrepart, de sa propre animalité, sont liées.

Ils ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, dechercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travailla conséquence d'une mutation morale.

Mais tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation parinterdits de l'animalité de l'homme.

» Il semble donc légitime de travailler en vue du seul gain, puisque l'argent et le profit donnent une forme raisonnableà notre existence.

D'ailleurs, pourquoi ne travaillerait-on pas en vue de la seule rémunération ? La question poséesous-entend un certain mépris à l'égard de l'argent, ce moyen qu'ont les hommes d'échanger entre eux leur travail.Mais, après tout, pourquoi le gain, le profit, la monnaie seraient-ils dédaignés ? Il y a de la joie dans l'argent, duplaisir dans la circulation de la monnaie.

L'argent est possibilité d'obtenir tout un monde de choses belles, utiles, quenous n'avons pas le droit de dédaigner.

S'il est raison, l'argent est aussi circulation joyeuse de valeurs.

Il estmédiation bénéfique à l'existence.Et d'ailleurs, le seul gain, l'unique profit en lui-même nous permettent de vivre, d'entretenir notre existence et notreforce de travail.

Donc, le gain est denrée précieuse puisqu'il me permet d'exister.

Oui, je puis travailler pour le seulgain, et indépendamment d'une autre finalité, puisque le gain assure la survie de l'existence.Toutefois, on peut faire ici deux remarques.

Tout d'abord, si l'on travaille en vue du seul gain, il est bien vrai que l'onintroduit dans sa vie un projet raisonnable, que l'on évacue une force violente, irrationnelle, liée au désir, à la mort,etc..

Mais travailler pour le seul argent, n'est-ce pas alors travailler pour l'accès à la raison et au projet raisonnable?L'argent lui-même se trouve finalisé par rapport à quelque chose d autre, qui est la rationalité.D'autre part, si l'homme se contente de travailler en vue du seul gain, ne se trouve-t-il pas arraché, par certainsaspects, à la réflexion et à la pensée ? Quand le travail est subordonné au seul profit, l'homme n'est-il pas conduit,comme l'a bien montré Nietzsche, à être privé de méditation, de réflexion ? Paradoxalement, la rationalitérecherchée se transmute souvent en une satisfaction médiocre et sans pensée.

« Dans les pays de la civilisation,presque tous les hommes se ressemblent maintenant en ceci qu'ils cherchent du travail à cause du salaire ; poureux, tout le travail est un moyen et non le but lui-même ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse au choix dutravail, pourvu qu'il procure un gain abondant.

» (Nietzsche, le Gai Savoir).Dès lors, il faut reprendre l'examen de la question et le problème. B.

Travailler pour s'humaniser. Travailler pour le seul argent ? pour le seul profit ? À la réflexion, cette position paraît bien réductrice, et bienpartielle.

Elle ne prend nullement en compte les données de l'anthropologie, la signification du travail dansl'élaboration de la personnalité humaine.

En vérité, on ne saurait travailler pour le seul profit ; au contraire, peut-être bien nous faut-il travailler...

pour travailler, c'est-à-dire pour nous édifier véritablement.

Ici, le travail acquiertune autre signification : il devient une construction de formes signifiantes, une édification de nous-mêmes unegenèse de la personnalité.L'homme ne saurait se contenter de travailler en vue du seul gain.

Qu'est-ce qui, en effet, le rend véritablementheureux ? C'est la contemplation objective de lui-même dans le monde.

Quand l'homme aperçoit, dans les chosesobjectives, sa propre conscience extériorisée, il expérimente une forme de liberté qui l'arrache à son immédiatetébiologique.

Il accède à la véritable humanité.

L'homme est, en effet, un être pensant.

Or, en travaillant et enchangeant les choses extérieures, il retrouve sa pensée dans le monde.

Il ôte aux choses leur caractèrefarouchement étranger et les marque du sceau de la pensée.

Travailler pour le seul gain ? Non point, mais pourcontempler la pensée inscrite dans les choses.

C'est ce que Hegel nous a magnifiquement montré, en particulierdans La Phénoménologie de l'Esprit.

L'homme, en transformant la nature et les choses, se construit et se réalise lui-même.

Il façonne la nature à son image et accède ainsi à la liberté.

Dès lors, travaille-t-il en vue du seul gain ? Nonpoint, mais pour se retrouver libre, dans un réel, qui le reflète.

C'est par le travail que l'homme se réalise en tantqu'homme et se définit : il est la structure même de la réalité humaine, non point un accident qui se surajoute à elle.. »

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