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Ne désirons-nous que ce dont nous avons besoin ?

Publié le 09/01/2004

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Il est courant de distinguer le besoin du désir. En effet, on prête au besoin une nécessité, un caractère impérieux relativement à la vie, voire à la survie, qu'on ne reconnaît pas au désir dont les objets sont jugés plus ou moins futiles pour l'existence. Ce qui invite à penser qu’il y a entre l’état de besoin et le désir une différence irréductible. Le besoin serait de l’ordre de la nécessité, essentiellement biologique, de la survie, tandis que le désir lui serait de l’ordre du superflu ou viserait des fins qui sont très au-delà de la survie, comme le plaisir ou le bonheur, choses sans lesquelles il est possible de vivre. On a besoin du nécessaire, on désire le superflu. Toutefois, il est tout aussi courant d'employer indifféremment le mot besoin et le mot désir relativement aux mêmes choses. On peut dire qu'on a besoin de manger, d'apprendre, d'être aimé, de se divertir... , tout comme on peut désirer tout cela. C'est pourquoi il est légitime de se demander si nous ne désirons que ce dont nous avons besoin. En d’autres termes, est-ce parce que nous en avons besoin, qu'ils nous sont nécessaires, que nous désirons certains objets ou certaines fins ? Il semble que oui, mais alors comment expliquer que certains de nos désirs portent sur des objets qui sont loin de nous être nécessaires ? Ne désirons-nous pas plus de choses que celles qui nous sont absolument indispensables ? Mais, d'un autre côté, est-il possible de désirer quelque chose sans en avoir besoin à un titre quelconque ? Pourrions-nous désirer quelque chose qui ne nous soit utile en rien ? Le désir est-il réductible à l'état de besoin dont il serait la manifestation ou n'est-il pas au contraire ce qui engendre l'état de besoin lui-même? A moins toutefois qu'il ne soit pas d'une autre nature que le besoin.

« Toutefois, soutenir que nous ne désirons que ce dont nous avons besoin, c'est peut-être se laisser abuser par laressemblance structurelle que l'on peut observer entre l'état de besoin et celui de désir : s'il faut bien d'une partremarquer que l'état de besoin comme le désir s'apparentent en cela qu'ils sont tous les deux l'effet d'un manque parrapport à une fin, rien n'indique d'autre part que l'apparentement soit total, rien n'assure que par-delà cetteressemblance, les fins propres à l'état de besoin coïncident avec celles propres au désir.

Ce pour quoi je désire est-ce aussi ce pour quoi je suis dans l'état de besoin? Ce qui me manque et provoque en moi l'état de besoin, est-ceaussi ce qui me manque en déterminant mon désir? Rien n'est moins sûr. Que le désir soit l'effet d'un manque par rapport à une fin n'implique nullement que le désir soit à ce titre engendrépar l'état de besoin.

Tout au contraire, on peut soutenir que ce sont nos désirs qui parce qu'ils sont l'effet d'unmanque créent un état de besoin.

Le désir, non seulement peut se distinguer de l'état de besoin, mais en outre, ilpeut aussi être premier et déterminer l'état de besoin, le provoquer.

C'est parce qu'on a des désirs qu'on a desbesoins, et non l'inverse.

C'est parce que je désire être heureux que j'ai des besoins, que j'ai besoin des belles etbonnes choses qui me rendront heureux et non l'inverse.

L'état de besoin apparaît ainsi comme la conséquence dudésir.

Ce qui signifie que ce que je désire, je n'en ai pas besoin, du moins je n'en avais pas besoin avant de ledésirer.

Ces belles et bonnes choses, je pouvais m'en passer, ne pas en avoir besoin, tant que je en les désirais pasou, ce qui revient au même, je pourrais m'en passer si je ne les désirais pas.

Elles ne me deviennent nécessaires queparce qu'il se trouve que je désire être heureux. Ce qu'il faut soutenir donc, c'est que je ne désire pas que ce dont j'ai besoin, mais à l'inverse que j'ai besoin de ceque je désire parce que je le désire et seulement pour cela.

Le désir est premier et c'est par rapport à lui que l'étatde besoin surgit.

C'est cet état qui est subordonné au désir en réalité et non l'inverse.

Paradoxalement, la confusionqu'on peut observer entre l'état de besoin et le désir en fournit une confirmation : on la comprenait comme lapreuve d'une identité entre le désir et l'état de besoin, mais confondre besoin et désir indique au moins autant quenos désirs peuvent engendrer des besoins.

Si j'ai besoin d'être aimé ou reconnu, c'est d'abord parce que je désirel'être et que ne l'étant pas ou pas assez, j'ai fini par en avoir besoin.

De plus, comment expliquer autrementl'existence de besoins dits sociaux, c'est-à-dire de besoins qui nous sont inspirés non pas par notre naturebiologique, mais par notre appartenance à la vie sociale et économique et à l'offre d'objets, si ce n'est par le désirde les posséder? Puisqu'avant de nous être offerts, on pouvaient vivre sans ces objets, c'est donc que nous n'enavions pas besoin, mais puisqu'une fois qu'ils le sont, nous nous découvrons le besoin de les posséder, c'est doncque nous les avons désirés de telle sorte qu'ils ont fini par engendrer un état de besoin.

On pourra toujours trouverde tels désirs vains, comme le fait Epicure lorsqu'il distingue les désirs nécessaires et naturels des désirs nonnécessaires et non naturels, comme le désir de faire bonne chère, ils n'en sont pas moins des désirs et des désirsqui finissent par engendrer des besoins en créant un état de manque.

L'état de besoin est l'état dans lequel nousplonge un désir exaspéré, frustré.

La nécessité de faire cesser l'état de besoin n'est pas biologique, elle estengendrée par un désir. Allons plus loin : si le désir est premier et engendre un état de besoin, c'est-à-dire un état de manque par rapport àune fin déterminée par le désir lui-même, il n'est peut-être pas exact de réduire le désir à l'effet d'un manque,comme le fait Platon.

S'il peut être pertinent de le penser de cette manière, il apparaît néanmoins qu'il déborde lecadre fixé par le couple de notion manque et finalité.

Ce qui signifie que loin d'être toujours l'effet d'un manque, ilsemble surtout être la cause d'un état de manque qui coïncide précisément avec l'état de besoin.

Mais dans ce cas,on peut expliquer le désir indépendamment d'un état de manque, on peut dire que le désir n'est pas lié à un manquepar rapport à une fin imposée par ma nature d'homme ou par des exigences sociales, mais qu'il est souverain, qu'ilfixe ou pose souverainement les fins qu'il vise.

Or, précisément, cette nouvelle définition du désir est celle qu'endonne Spinoza, dans L'Ethique.

Si je désire quelque chose, ce n'est pas parce que je juge la chose que je désirebonne en ce sens qu'elle m'est utile pour être heureux ou en ce sens qu'elle me fait défaut, mais c'est parce que jela désire que je la juge bonne.

Le désir est souverain, c'est lui qui détermine la valeur des choses : il en accorde àcelle qu'il vise et en refuse à celle qu'il dédaigne.

De ce point de vue, il est possible de radicaliser ce que noussoutenions précédemment : si le désir est souverain, il ne se définit pas comme l'effet d'un manque, mais aucontraire provoque cet état de manque qui a pour autre nom l'état de besoin.

Ce n'est que par rapport à lui qu'il y abesoin et finalité et relativement à un désir qui lui est entièrement maître des fins ou des objets qu'il vise. Qu'est-ce que cela change de déclarer le désir souverain et non déterminé par un manque? Cela implique que les finsdu désir ne sont pas nécessairement centrée sur mon être, ma personne, qu'elles peuvent être d'un tout autre ordreque des fins internes, qu'elles peuvent être externes, sans rapport avec moi.

Or, n'est-ce pas ce qu'on observe? Sile désir est bien souvent désir d'être heureux, il peut aussi bien être désir de changer le monde, de créer uneoeuvre, de conquérir de nouveaux espaces, mais aussi désir de l'impossible, de retrouver une jeunesse ou une santéqu'on a perdu pour toujours, de rencontrer un prince charmant, de gagner au loto sans jouer...

Les fins que le désirpeut poser souverainement sont libres de toute limitation au point de sembler parfois totalement folles.

Mais qu'est-ce que ce genre de fins? Quelles sens ont-elles? Ces désirs visent tous des fins qui sont au-delà du présent, du. »

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