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Acte I, scène 3 : Huis-Clos de Sartre

Publié le 20/09/2010

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Inès a fait son entrée au début de cette scène 3. Après que s'est dissipé le quiproquo qui lui faisait prendre Garcin pour le bourreau, leur cohabitation commence et leurs caractères se révèlent. GARCIN Je comprends très bien que ma présence vous importune. Et personnellement, je préférerais rester seul : il faut que je mette ma vie en ordre et j'ai besoin de me recueillir. Mais je suis sûr que nous pourrons nous accommoder l'un de l'autre : je ne parle pas, je ne remue guère et je fais peu de bruit. Seulement, si je peux me permettre un conseil, il faudra conserver entre nous une extrême politesse. Ce sera notre meilleure défense. INÈS Je ne suis pas polie. GARCIN Je le serai donc pour deux. Un silence. Garcin est assis sur le canapé. Inès se promène de long en large. INÈS, le regardant. Votre bouche.

GARCIN, tiré de son rêve. Plaît-il?

INÈS Vous ne pourriez pas arrêter votre bouche? Elle tourne comme une toupie sous votre nez.

GARCIN Je vous demande pardon : je ne m'en rendais pas compte.

INÈS C'est ce que je vous reproche. (Tic de Garcin.) Encore ! Vous prétendez être poli et vous laissez votre visage à l'abandon. Vous n'êtes pas seul et vous n'avez pas le droit de m'infliger le spectacle de votre peur. Garcin se lève et va vers elle.

GARCIN Vous n'avez pas peur, vous?

INÈS Pour quoi faire? La peur, c'était bon avant? quand nous gardions de l'espoir.

GARCIN, doucement. Il n'y a plus d'espoir, mais nous sommes toujours avant. Nous n'avons pas commencé de souffrir, mademoiselle.

INÈS Je sais. (Un temps.) Alors? Qu'est-ce qui va venir?

GARCIN Je ne sais pas. J'attends. Un silence. Garcin va se rasseoir. Inès reprend sa marche. Garcin a un tic de la bouche, puis, après un regard à Inès, il enfouit son visage dans ses mains. Entrent Estelle et le garçon. (I, 3)

 

 

Cette page est extraite de la scène 3, qui commence avec l'arrivée d'Inès et se termine par l'entrée d'Estelle. C'est un bref face-à-face entre deux personnages qui se découvrent et commencent à percevoir la nature infernale de leur situation. Pour Garcin comme pour Inès, la scène marque le début de la relation avec autrui telle qu'elle se présente en enfer, c'est-à-dire sous la forme d'une «situation fausse« dont on s'apercevra peu à peu qu'elle est sans progrès ni solution possible.

 

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« scène des personnages qui vont tenter, jusqu'au vertige final, de trouver des réponses à cette problématique.

Enl'espace de ces quelques répliques, nous assistons à l'échec de l'impossible duo entre Garcin et Inès et bientôt à lamise en place d'un duel dont on soupçonne déjà qu'il sera sans vainqueur.Les stratégies retenues par chacun des personnages sont, en effet, inconciliables et donnent de l'enfer l'image,somme toute conventionnelle, d'un lieu où ne règnent jamais que le conflit, la dysharmonie, le désaccord.Ayant fait le choix de la politesse, Garcin va s'ingénier à effacer sa présence en limitant les manifestations de soncorps.

Lui qui «ne parle pas» et «ne remue guère» achèvera la scène en enfouissant «son visage dans ses mains»,réinventant pour l'occasion une politique qui le définit bien : celle de l'autruche.Mais la politesse, autrement dit la volonté de disparaître au regard d'Inès, n'est pas la seule motivation de sonchoix.

Garcin, en effet, a «besoin de se recueillir» pour «mettre sa vie en ordre».

Comme s'il n'avait pas encore prisconscience du caractère achevé de son existence, l'homme de lettres qu'il est va tenter d'en rejouer les épisodes etd'en réorganiser le sens.

Il va s'adonner à une sorte de réécriture qui pourrait opérer cette réconciliation avec lui-même dont l'enfer est précisément la négation.On verra plus loin Estelle s'essayer au même mensonge autobiographique.

Inès, en revanche, semble n'avoir aucunremords.

«Femme déjà damnée», ainsi qu'elle se définira plus tard, la mort ne constitue pour elle aucune rupture :l'enfer n'est à ses yeux que la continuation d'une damnation dont elle a toujours été à la fois la victime etl'instrument.Son problème est d'un autre ordre : poursuivie par l'horreur des hommes et de leur corps, la présence de Garcin luiest de toute façon insupportable et la politesse ne lui semble qu'un moyen hypocrite d'éluder un conflit auquel elleaspire.

Inès n'est pas polie, et cela suffit à faire échouer la tentative de Garcin.

Ce dernier a beau plaisanter, ous'acharner : on n'est pas poli pour deux.Ne reste alors que le seul mode relationnel qui ne suppose pas la réciprocité : l'agressivité. Le temps arrêté : ni avant ni après Décrire l'enfer, c'est donner le sentiment de l'éternité.

C'est, peu à peu, faire prendre conscience aux personnages— et aux spectateurs — du temps inhumain qui est désormais le leur.

Aussi Sartre commence-t-il par nous montrerGarcin dans l'illusion d'un temps inchangé, croyant pouvoir remettre sa vie en ordre, c'est-à-dire maîtriser sonpassé, et confiant dans le futur.

«Mais je suis sûr que nous pourrons nous accommoder l'un de l'autre», dit-il à Inès,comme si le temps se déroulait encore et qu'il y eût quelque progrès à attendre de son déroulement.Or, le sujet même de la pièce réside dans l'abandon de tout espoir auquel l'éternité condamne les damnés.

Sansdoute Sartre se souvient-il de la formule que Dante, dans la Divine Comédie, inscrit au seuil du « vestibule deslâches » (« Laissez toute espérance, vous qui entrez»), lorsqu'il fait dire à Inès : «La peur, c'était bon avant, quandnous gardions de l'espoir.» Nous reviendrons sur le thème de la lâcheté que cette réplique évoque et que la scèneenvisage en posant la question de la peur.

Du point de vue de la représentation du temps, il s'agit bien de donner àsentir une durée qui n'est plus une succession repérable d'instants, mais bien un magma indifférencié où la notiond'avant, dont les italiques soulignent le caractère désormais désuet, n'a plus aucun sens.Dans le temps infernal, la peur n'aura pas davantage de fin que l'attente avec laquelle elle se confond.

La peur et l'attente «Vous n'avez pas le droit de m'infliger le spectacle de votre peur», lance Inès à Garcin, dont les grimacesinvolontaires trahissent l'anxiété.

Lorsqu'il passera aux aveux, l'homme de lettres confiera sa défaillance au momentde son exécution.

Estelle, de même, avouera ses dérobades, sa crainte des responsabilités et du jugement d'autrui.La question de la peur, que la scène 3 pose ici explicitement, est au centre de l'oeuvre, et c'est bien à sonspectacle que Sartre nous convie.Objet de la représentation, la peur est également celui d'une dialectique dont le personnage d'Inès assumel'antithèse.

Par son caractère révolté ou parce qu'elle a peut-être plus que les deux autres l'intuition de l'éternité,Inès a compris la vanité d'un tel sentiment dans un monde qui ne permet plus l'espoir, son double et son contraire.Comme l'espoir, en effet, la peur suppose un futur dont elle postule l'imminence.

La progression de la pièce et leurprise de conscience vont bientôt délivrer les personnages de toute peur comme de tout espoir.

De ces deuxattitudes mentales ne va plus demeurer que la coquille vide : l'attente.Encore s'agit-il d'une attente sans objet, dont l'arrivée d'Estelle ne constituera qu'une diversion.

Le châtiment,c'est-à-dire la douleur physique que semble attendre encore Garcin en ce début du drame, n'arrivera pas.

Ou plusexactement, ce châtiment a déjà commencé et ne sera rien d'autre que cette lente déception, que cetinassouvissement, ce manque de solution qui fait la damnation.«Je ne sais pas.

J'attends», dit tout simplement Garcin à l'issue de la scène.

Ignorance et attente, cela s'appellel'enfer. Conclusion Parmi les nombreuses problématiques qu'amorce cette fin de la scène 3, la question de l'attente considérée commesujet de la représentation est sans doute la plus remarquable.

En effet, elle situe Sartre parmi les initiateurs d'unethématique qui va traverser le théâtre et le roman de la moitié du XXe siècle et faire l'originalité et le succèsd'oeuvres telles que Le Désert des Tartares (1940) de Dino Buzzati, Le Rivage des Syrtes (1951) de Julien Gracq ou. »

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