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Admettriez-vous que dire c'est faire ?

Publié le 10/03/2004

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Une telle doctrine semble d'abord étrange, sinon désinvolte ; mais pourvue de garanties suffisantes, elle peut en venir à perdre toute étrangeté." AUSTIN in "Quand dire, c'est faire", 1ère conférence, Paris, Editions du Seuil, 1970.

C) La parole littéraire et poétique : dire, c'est faire

Ici, nous atteignons le dernier niveau d'analyse : car la parole, c'est aussi l'expression du poète ou de l'écrivain. Dire, c'est exprimer, par le langage écrit ou oral, c'est faire connaître et manifester par le livre, par la publication, par l'oeuvre littéraire. Or, parvenus à ce stade, nous trouvons un « faire «, un acte qui exprime une véritable démiurgie : le poète crée un monde nouveau. En disant les choses, il les fait, il inaugure un nouvel univers plus vrai que le premier. D'ailleurs Poésie vient du grec poiêsis, création. Cela est tout à fait exact. Dans la poésie, par delà les évanescentes apparences, se crée - par l'opération de la parole et des mots - une autre réalité qui nous donne la clef de l'énigme et des choses. Ici, la parole poétique constitue une nouvelle essence du réel, plus vraie que le réel lui-même.

• En adaptant vos connaissances à l'intitulé du sujet et en réfléchissant soigneusement, vous devez être en mesure d'élaborer un plan soit dialectique, soit progressif. Nous avons préféré ce dernier, mais une structure dialectique était possible :

  • A — Dire, c'est faire (thèse).
  • B — Néanmoins, «dire« représente essentiellement une constatation, non point un acte (antithèse).
  • C — Synthèse : la parole est, simultanément, expression d'un sens (énonciation théorique) et production de quelque chose, action.

« qui, d'une certaine manière, défigure ou « abîme » le cadre de vie ou le vêtement de mon interlocuteur.Inversement, si je veux flatter mes « amis » et si je m'exclame « Quelle demeure spacieuse et divine ! », mes motsflatteurs métamorphosent le cadre existant et le « transfigurent ».

En somme, quoi que l'on dise, il en reste toujoursquelque chose ! Dire, c'est faire, c'est envoûter son interlocuteur : tout parleur est un sorcier.• Que « dire » soit « faire », on pourrait le montrer d'une seconde manière, avec le penseur anglais Austin, qui futprofesseur de philosophie morale à Oxford et qui a remarquablement souligné les puissances actives de la parole.Aux yeux de Austin, énoncer certaines phrases, c'est les faire et, d'une manière générale, toute énonciation tend àaccomplir quelque chose.

Austin nous donne un certain nombre d'exemples, où il est clair qu'énoncer la phrase,c'est, tout simplement, la faire ; voici ces exemples :E.a — « Oui (je le veux) (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » — ce « oui » étant prononcéau cours de la cérémonie du mariage.E.b — « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth » — comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque.E.c - « Je donne et lègue ma montre à mon frère » — comme on peut lire dans un testament.E.d — « Je vous parie six pence qu'il pleuvra demain » (cité in Austin, Quand dire, c'est faire, p.

41).Ici, le « dire », la parole, entendue et comprise comme réalisation et mise en oeuvre individuelle de la langue,peuvent apparaître explicitement comme des actes ou des actions.

Dans certaines circonstances appropriées,énoncer la phrase n'est pas décrire ce que je fais, mais le faire.

Le « dire » va donc bien au-delà de l'affirmation queje fais : il s'identifie à un « faire ».

Austin a baptisé « performatives » ces affirmations qui, loin de constaterpurement et simplement, sont réellement des actes.

La perspective d'Austin est, d'ailleurs, tout à fait radicale : enfait, à ses yeux, toute énonciation tend à accomplir quelque chose et, dès lors, il est impossible de maintenir uneopposition du « constatif» (la sphère de ce qui constate) et du « performatif» (le « dire-acte »).

Cette thèsed'Austin peut nous étonner, mais, à vrai dire, déjà, dans l'Antiquité, certains penseurs virent dans la parole unepuissance universelle d'illusion, détenant des effets pratiques : nous voulons parler ici des Sophistes, ces maîtres èsfausseté, qui parcouraient la Grèce en donnant des leçons de « parole pratique » aux jeunes gens riches, lesquelssavaient fort bien que les mots sont véritablement des actes et que leur maîtrise donne le pouvoir.

Le succès desSophistes s'alimentait à la conviction (dont nous ne prenons pas toujours conscience) que toute parole est acte.D'une manière générale, la politique est la mise en oeuvre d'un « dire, c'est faire » décisif.

Prendre le pouvoirpolitique, c'est le saisir par les mots et par la parole.

D'ailleurs, dire quelque chose, c'est le faire, même si on ne lefait pas...

O puissance de la parole ! Ce qui n'a pas été fait est rapidement oublié, mais ce qui a été dit demeuredans la mémoire des hommes comme l'Acte par excellence.

En somme, il suffit de bien énoncer le réel.

Les hommespolitiques connaissent évidemment l'importance de l'Art de la parole ; le bon politique est d'abord un avocat, il prenddans le filet flatteur et séduisant de ses mots les foules médusées : son « dire » est un « faire ».

Les exemples tirésde la politique confirment donc la justesse des analyses d'Austin.Ainsi, dire est un pouvoir et une puissance.

Dans le « dire », il y a, en effet, comme l'a si bien noté Pierre Bourdieu,tout un ensemble de signes sociaux, tout un capital symbolique accumulé.

Dès lors, la parole exprime un faire, nonpoint en elle-même, mais parce qu'elle concentre des positions et des statuts sociaux.

La position de Bourdieu etcelle d'Austin ne sont évidemment pas identiques.

Pour le second, la parole est puissance en elle-même, alors que,pour le premier, ce sont des forces sociales extérieures qui se manifestent dans le langage.

Quand un professeur deSorbonne s'exprime en un discours « puissant », ses titres et son cursus universitaire lui permettent précisément de« prendre la parole ».Les deux thèses d'Austin et de Bourdieu convergent, néanmoins, en ce que toutes deux mettent l'accent sur la«parole-action », sur le dire comme instrument de pouvoir.

En définitive, que la force qui agit à travers les mots soitdans les paroles (Austin) ou dans les porte-parole (Bourdieu) importe peu pour nous : dans les deux cas, la paroleest un acte, un moyen de domination des hommes et un faire.

Les paroles sont bel et bien des actes et même desactes tout à fait essentiels et très efficaces. "Nous prendrons donc comme premiers exemples quelques énonciations qui ne peuvent tomber sous aucunecatégorie grammaticale reconnue jusqu'ici, hors celle de l'« affirmation » ; des énonciations qui ne sont pas, nonplus, des non-sens, et qui ne contiennent aucun de ces avertisseurs verbaux que les philosophes ont enfin réussi àdétecter, ou croient avoir détectés : mots bizarres comme « bon » ou « tous » auxiliaires suspects comme« devoir » ou « pouvoir » constructions douteuses telles que la forme hypothétique.

Toutes les énonciations quenous allons voir présenteront, comme par hasard, des verbes bien ordinaires, à la première personne du singulier del'indicatif présent, voix active.

Car on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui, pourtant, A)ne « décrivent », ne « rapportent », ne constatent absolument rien, ne sont pas « vraies ou fausses » ; et sonttelles quen B) l'énonciation de la phrase est l'exécution d'une action (ou une partie de cette exécution) qu'on nesaurait, répétons-le, décrire tout bonnement comme étant l'acte de dire quelque chose.

(...)Exemples :(E.a) « Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » — ce « oui » étant prononcéau cours de la cérémonie du mariage.(E.b) « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth — comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque.(E.c) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » — comme on peut le lire dans un testament.(E.d) « Je vous parie six pences qu'il pleuvra demain ».Pour ces exemples, il semble clair qu'énoncer la phrase (dans les circonstances appropriées, évidemment), ce n'estni décrire ce qu'il faut bien reconnaître que je suis en train de faire en parlant ainsi, ni affirmer que je le fais : c'estle faire.

Aucune des énonciations citées n'est vraie ou fausse : j'affirme la chose comme allant de soi et ne ladiscute pas.

On n'a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu'il n'y a à prouver que « damnation ! » n'est nivrai ni faux : il se peut que l'énonciation « serve à mettre au courant » — mais c'est là tout autre chose.

Baptiserun bateau, c'est dire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise...

» etc.

Quand je dis, à la mairieou à l'autel, etc.

« Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d'un mariage : je me marie.. »

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