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Affirme-t-on sa liberté en refusant d'admettre une vérité évidente ?

Publié le 14/03/2004

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Lorsque je connais véritablement le bien, je le choisis. Mais j'ai pourtant la possibilité de choisir le mal puisque je suis infiniment libre. Descartes garde la vision classique du mal : « nul n'est méchant volontairement » disait Socrate. Lorsque je choisis le mal, c'est par ignorance. La connaissance me fait accéder à la vérité, au bien. Sartre écrit : « Descartes a parfaitement compris que le concept de liberté renfermait l'exigence d'une autonomie absolue, qu'un acte libre était une production absolument neuve dont le germe ne pouvait être contenu dans un état antérieur du monde et que, par suite, liberté et création ne faisaient qu'un. »* La liberté d'indifférence est le plus bas degré de la liberté pour Descartes. «Car afin que je sois libre, il n'est pas nécessaire que je sois indifférent à choisir l'un ou l'autre des deux contraires, mais plutôt d'autant plus que je penche vers l'un, soit que je connaisse évidemment que le bien et le vrai s'y rencontrent, soit que Dieu dispose ainsi l'intérieur de ma pensée, d'autant plus librement j'en fais choix et je l'embrasse : et certes la grâce divine et la connaissance naturelle, bien loin de diminuer ma liberté, l'augmentent plutôt et la fortifient. De façon que cette indifférence que je sens, lorsque je ne suis point emporté vers un côté plutôt que vers un autre par le poids d'aucune raison, est le plus bas degré de la liberté, et fait plutôt paraître un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté ; car si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai, et ce qui est bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre, sans jamais être indifférent », (4" méditation métaphysique). L'homme est ainsi doué d'un pouvoir qui ressemble un peu à celui de Dieu : affirmer infiniment, renoncer infiniment.

« [1.

Nier l'évidence, c'est nier sa liberté. ] Être libre ne signifie pas faire n'importe quoi.

Nier une vérité évidente paraît un acte fou ou absurde.

On ne voit pas pourquoi il y aurait làune manifestation particulièrement lumineuse de la liberté.

On peut au contraire montrer, en s'appuyant sur la critique cartésienne de laliberté d'indifférence, qu'être libre, c'est adhérer aux évidences.

C'est lorsque j'affirme ce qui me paraît indubitablement vrai, ou lorsque jefais ce qui me paraît franchement préférable, que je suis le plus libre : je suis tout entier dans mon acte, j'agis conformément à mavolonté.

On peut même aller plus loin et estimer que seule l'évidence de la vérité pourra nous libérer du prestige des apparencesfallacieuses : pour s'affranchir de la tyrannie du désir et de son cortège d'illusions, quelle autre voie y a-t-il que la recherche lucide de cequi est véritablement le meilleur pour moi? La règle de conduite la plus sage est donc de rechercher en toute circonstance ce qui est vraiou bon et de l'appliquer dans son existence.

Comme le dit Descartes, « moralement parlant », il n'y a aucun sens à nier l'évidence. Refuser d'admettre une vérité évidente ne serait que le signe d'un aveuglement par l'irrationnel : seule l'emprise de la passion peut priverainsi un homme de son bon sens.

Certes, l'acte de celui qui nie l'évidence est libre, mais il y a des degrés dans la liberté : si ne passavoir quoi choisir est le plus bas degré de la liberté, le savoir et ne pas le faire paraît cependant pire encore! On éclairera cela par lanotion d'autonomie telle qu'elle est développée par Rousseau dans le domaine politique et par Kant dans le domaine moral.

Si être libre,c'est faire ce que je veux quoique je veuille, je serai néanmoins plus libre en obéissant aux prescriptions de la raison.

En respectant leslois civiles qu'il a accepté dans un « contrat social » et à l'élaboration desquelles il a participé, ou en se soumettant à la loi morale quiretentit dans le cœur de chacun, l'homme affirme sa liberté.

En effet, se soumettre à la voix de la raison n'est pas s'assujettir à un maîtreextérieur, mais c'est obéir à soi, au meilleur de soi.

Obéir à la raison, c'est obéir à sa propre loi, c'est être autonome.

Or comme le ditRousseau (Du contrat social, livre I, chapitre vin), la liberté est « l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite ». La négation de la vérité n'est qu'une forme particulière de la négation de la raison : cela ne manifeste que mon esclavage à l'égard del'irrationnel.

Descartes a certes incontestablement raison de dire que la liberté suppose le pouvoir d'affirmer ou de nier.

C'est du resteseulement parce que je peux nier la raison, que l'affirmer a quelque valeur morale.

Mais cela n'implique pas qu'il faille effectivement nierce que la raison affirme ou affirmer ce qu'elle nie.

La liberté n'est pas le caprice.

Être libre n'est pas être hors de toute contrainte, maissubstituer à une contrainte subie (la passion) une loi pleinement reconnue, celle de la raison.

La tyrannie de la vérité est liberté. LA PRATIQUE ET LES FINS [2.

Nier l'évidence, c'est affirmer sa liberté. ] On objectera qu'il peut être nécessaire de nier la vérité pour se prouver que l'on est libre.

Je ne serais plus aveuglément mû parl'irrationnel, mais je proclamerais ma liberté comme un absolu qui surpasse la raison elle-même.

Cependant mon refus en lui-même neprouve rien.

Établir l'existence de la liberté reviendrait à prouver que les deux contraires sont possibles.

Or l'acte que j'accomplis, qu'il soitaffirmation ou négation, empêche la réalisation de son contraire.

On ne peut vérifier qu'un possible, celui que l'on rend réel, l'autre esttoujours l'objet d'une croyance.

Mon refus de l'évidence ne prouve donc pas ma liberté. Si l'acte en lui-même ne garantit pas la liberté, celle-ci s'éprouve cependant elle-même dans la résistance dont elle est capable à l'égardde toute évidence.

Mon pouvoir d'affirmer ou de nier ne prend conscience de lui que lorsqu'il cesse d'abonder dans le sens de l'évidence.Refuser d'admettre une vérité évidente est alors bien l'occasion d'éprouver le caractère infini, illimité de ma liberté : je peux tout nier.Cependant, quel étrange paradoxe que cette liberté qui doit se détruire elle-même — puisque être libre c'est suivre la raison — pourmieux s'éprouver! Y a-t-il donc une vertu morale de l'immoralité? Y a-t-il une rationalité de la folie? C'est pourtant le cas s'il faut résister àla raison pour éprouver ma capacité à lui obéir! C'est à Descartes qu'il faut encore revenir pour lever le paradoxe.

Le doute radical pratiqué dans la première des Méditations métaphysiques est le lieu de ce dépassement de la raison qui s'accorde cependant à elle.

Descartes doute de toute chose : il refuse l'apparence sensible,mais il nie également les évidences mathématiques.

Rien ne trouve grâce à ses yeux, pas même la plus manifeste des équationslogiques.

Ce doute n'est cependant pas déraison, car chaque étape est justifiée rationnellement : les illusions des sens et l'argument durêve légitiment le doute du sensible; il en est de même pour le doute des vérités intellectuelles à partir du problème de l'erreur et del'argument du Dieu trompeur.

Ne fait-on alors qui suivre la raison en doutant de la raison ? Il n'y aurait pas là un refus de la vérité, maisune adhésion à une vérité particulière : celle du scepticisme.

Ce serait le cas si Descartes s'en tenait à la manière du pyrrhonien, àl'impossibilité d'affirmer quoi que ce soit avec certitude.

Or Descartes va plus loin : il tient le douteux pour faux.

Ici se manifeste la liberté.Aussi évidente que puisse paraître une vérité, l'esprit y trouve non seulement une raison de douter, mais il puise en lui-même la force del'écarter, de la mettre entre parenthèses, de ne plus avoir recours à elle dans sa réflexion.

C'est dans cette capacité à faire le vide, às'affranchir des sollicitations de la plus vraisemblable des vérités que réside la liberté de l'esprit.

Du reste, dans les articles 6 et 39 de lapremière partie des Principes de la philosophie.

Descartes établit explicitement le lien entre le doute et l'épreuve que la liberté fait d'elle- même : l'homme se sait libre en résistant aux tentations les plus subtiles du « malin génie ».

Ainsi, en refusant d'admettre l'évidence,nous attestons notre liberté, mais cela ne s'oppose pas à l'exigence rationnelle d'une pensée en accord avec le vrai.

Cela ne nie pasdavantage les règles de la morale qui prescrivent de suivre la raison.

Descartes distingue en effet l'entreprise théorique de recherche d'un fondement au savoir, de la vie ordinaire.

Dans l'action et la pensée de tous les jours, je continue à me régler sur l'opinion la plusvraisemblable.

C'est à l'abri de cette morale provisoire que se développe la destruction de toute évidence.

Cette distinction entre la morale de l'action et les exigences de la philosophie rappelle du reste l'opposition développée par notre passage entre le point de vuemoral et le point de vue absolu : ce qui est moralement impensable, à un autre point de vue, devient possible et même légitime. Pour conclure, nous pouvons dire qu'il est nécessaire de se ranger à l'évidence : la liberté est l'obéissance à la raison.

Cependant, lephilosophe n'admet aucune évidence sans la discuter; c'est pourquoi tout en continuant à croire aux vérités, il s'interroge sur la source detoute vérité; en continuant à obéir à la loi morale, il met en question son fondement.

Par cette entreprise du doute, il témoigne, sans folieni passion, de sa liberté à l'égard de toute chose, y compris la raison.. »

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