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Ailleurs. Gilbert Cesbron

Publié le 24/02/2011

Extrait du document

   La grande affaire de nos contemporains est de vivre ailleurs. S'ils sont milliardaires, ils embarquent sur le plus grand paquebot du monde pour boucler, pour bâcler en quatre-vingt-huit jours le tour du globe. Ils n'y trouveront «rien que la terre«, comme l'écrivait Paul Morand il y a presque un quart de siècle. D'ailleurs, la tempête (c'est-à-dire la vraie vie) les a rejoints dès la première étape de leur fuite - quel symbole! (1).    S'ils sont moins riches, Us recherchent leur Ailleurs dans ces clubs de vacances dont « les gentils organisateurs « commencent par leur retirer tout maniement d'argent. Quel symbole, là encore! C'est ce qu'avaient découvert, il y a longtemps, les créateurs des «cures de détente« : que la suppression de son portefeuille et celle de son carnet de chèques purifient un millionnaire plus efficacement que n'importe quelle eau minérale.    S'ils ne sont pas riches, nos contemporains attendent leur Ailleurs de ce petit écran où les fictions oblitèrent chaque soir les documentaires et où les problèmes essentiels doivent, sous peine d'être relégués, prendre l'apparence d'un duel. A âmes égales, les téléspectateurs rejoignent le guignol de leur enfance, laquelle demeure, pour tous les hommes, le grand Ailleurs perdu.    Chez les jeunes, cette quête est plus pathétique. Elle les mène sur les routes du monde, de stop en stop. Ils la poursuivent en se déguisant chaque jour. Ces Indiens, ces Hindous, ces Apôtres, ces Habsbourg : ce musée Grévin du temps et de l'espace dans les rues transies de nos villes, tout cela qui prête à sourire devrait donner à réfléchir. Car on ne se déguise jamais qu'en soi-même ; un jeune qui se travestit de la sorte nous révèle seulement son rêve, et aussi son immense dégoût de tout ce qui nous ressemble. C'est nous autres, c'est nous seuls que son ridicule tue.    Mais ils s'aperçoivent un jour qu'errance ou déguisements ne rassasient pas cette grande faim d'Ailleurs. Alors, voyageurs imprudents, ils en arrivent à la drogue. Dépaysement passager et coûteux : au terme de ce chemin-là, on rencontre assez vite la mort, celle qui n'ose pas dire son nom, ou bien l'autre, la vraie, l'Ailleurs définitif.    Faut-il donc avoir pénétré dans les eaux profondes, avoir atteint le désespoir allègre qui confine à l'espérance pour comprendre enfin que cette soif d'Ailleurs, qui est écrite en nous, ne pourra jamais se satisfaire de pareils artifices? Au regard de cette soif-là, l'errance, le carnaval, l'érotisme, la drogue, l'utopie ne sont que des sirops empoisonnés ou insipides. C'est d'eau vive qu'elle veut s'étancher.    Oui, faut-il attendre qu'il soit juste un peu trop tard pour comprendre que le véritable Ailleurs est en nous : au fond de soi, au fond de l'autre. Selon les uns, on doit l'appeler Dieu; selon les autres, l'Amour. Mais voici le grand secret : c'est la même chose.    Gilbert Cesbron.    (1) Allusion à une croisière récente.    QUESTIONS    1) Résumez ce texte en une dizaine de lignes.    2) Expliquez les mots soulignés :    — oblitèrent;    — quête;    — insipides.    3) Comment pensez-vous que les jeunes puissent apaiser leur « soif d'Ailleurs« autrement que par les

« Les lignes qui concernent les milliardaires ne traitent au premier abord que du déplacement géographique.

Pourtantune critique perce par l'intermédiaire d'une citation de Paul Morand.

Signalons qu'il est inutile de reproduire, dans lerésumé, ce nom et cette citation.

Le jeu de mot «bouclant, bâclant» introduit, discrètement il est vrai, le jugementde G.

Cesbron.

Enfin la tempête, symbole de la «vraie vie» qui rompt avec la monotonie quotidienne, élargit le sensdu texte. Dans le deuxième paragraphe, le déplacement est plus modéré.

L'auteur met l'accent sur le dépaysement : sansargent, les vacanciers se libèrent de leurs soucis financiers, matériels.

L'ailleurs représente alors l'oubli.

A la fin deces lignes le rappel des milliardaires ne fait qu'appuyer cette idée, mais n'ajoute rien.

Aussi pourra-t-on le négligerdans le résumé. La troisième catégorie : ceux qui ne peuvent partir en vacances.

Ces hommes disposent aussi d'une sourced'évasion : le petit écran.

Du premier paragraphe au troisième, l'auteur est donc insensiblement passé du voyage àl'évasion apportée par l'image.

Regard sur le monde, la télévision voile le sérieux par le spectaculaire.

La comparaisonavec l'enfant ne sera pas reprise dans le texte, pourtant l'idée que l'on retrouve dans l'attitude des spectateurs, leregret fondamental des jeunes années, est intéressante.

A ce titre, il est bon, sans insister, de conserver cettecomparaison.

Vient alors l'étude d'une quatrième catégorie qui se divise en deux paragraphes.

Il faut remarquer que l'auteurtémoigne de beaucoup plus d'indulgence pour ces jeunes que pour les adultes précédemment envisagés. Les termes de «quête», de «rêve», donnent plus de noblesse, plus de sens à leur recherche.

Les reprochess'adressent à la société que veulent fuir ces jeunes gens.

Puis, l'auteur marque l'échec tragique de ces tentatives. Avec l'avant-dernier paragraphe commence la conclusion.

G.

Cesbron condamne, tout d'abord, formellement les «artifices » considérés ci-dessus.

Puis, sous une forme imagée et énigmatique, il tente d'apporter une réponse à cesdifférentes demandes : «l'eau vive».

Les dernières lignes précisent la signification de cette formule.

C'est en soi quese trouve la solution.

Le texte s'articule alors nettement sur une opposition : les cinq premiers paragraphesdécrivaient des fuites.

L'homme se tournait futilement ou désespérément vers l'extérieur.

Ici l'intérieur prime.L'écrivain conserve partout le mot «ailleurs», mais au début du texte il était écrit avec une minuscule, à la fin avecune majuscule.

Le maintien du terme écarte le repliement égoïste sur soi-même.

L'approfondissement, la recherchese résout dans l'Amour qui nous découvre Dieu ou l'autre. REMARQUES Avant de lire la correction l'élève peut essayer de rédiger un résumé.

Il confrontera, seulement après, son travail àce qui va suivre. | RÉSUMÉ Un désir d'évasion, telle est l'aspiration fondamentale de notre temps.

Les riches échouent dans une croisière.

Lesvacanciers plus modestes croient oublier les contraintes matérielles et sociales dans les loisirs collectifs.

Lesspectacles télévisés distraient les plus pauvres qui retrouvent momentanément une âme d'enfant, cette enfancetant regrettée.

Enfin les divers mouvements de jeunes témoignent du refus de vivre dans le monde tel qu'il est.

Maisleurs tentatives conduisent souvent au voyage sans retour. Tous ces procédés sont vains.

Ce n'est pas en fuyant que l'on trouve le véritable Ailleurs.

La réponse est en soiavec Dieu, avec l'amour. VOCABULAIRE Oblitèrent.

Le candidat connaît certainement le sens de ce verbe dans un emploi spécialisé : oblitérer un timbre, lecourrier d'une marque.

Le texte utilise le mot dans un sens a priori fort différent.

Il demeure toutefois l'idée de«couvrir», donc de masquer.

Les fictions, œuvres d'imagination, masquent et effacent les documentaires; ceux-cireflètent en effet, assez souvent, une réalité pénible ; les films, les feuilletons effacent l'impression douloureuse quinaît de ces actualités. Quête.

Le mot désigne le fait de rechercher.

Le mot est porteur toutefois d'une tonalité mystique.

Il permet doncd'orienter le texte vers une recherche de l'absolu. Insipide.

L'adjectif signifie fade, sans goût.

Il qualifie les artifices par lesquels l'homme cherche un sens à sa vie.On peut penser tout d'abord que ce mot s'oppose à «empoisonnés ».

La conjonction « ou » serait alors exclusive etG.

Cesbron désignerait ainsi les croisières, les loisirs, la télévision, l'errance et le carnaval.

Il est possible aussi que,paradoxalement, l'adjectif renvoie à toutes les recherches dangereuses qui sont en même temps sans saveur.

Elleslaissent en effet l'individu insatisfait, elles ne le rafraîchissent pas, comme seule pourrait le faire « l'eau vive». RECHERCHE DES IDÉES. »

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