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Aimé CESAIRE, « Discours sur la négritude »

Publié le 29/10/2014

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Aimé CESAIRE, « Discours sur la négritude » in Discours sur le colonialisme, prononcé à la faculté de Miami, Floride, en 1987. Introduction : Aimé Césaire, grand ami de L. Senghor et compagnon de route de celui-ci dans le combat pour défendre la Négritude, prononce le discours qui suit il y a à peine plus de vingt-cinq ans lors d'un colloque à Miami, en Floride. La Négritude, dans son acception la plus commune, est un mouvement né chez les intellectuels d'origine africaine, descendants d'esclaves ou non, ayant pour but de condamner la colonisation d'une part, et de revaloriser la culture africaine d'autre part. Souvent sujette à controverse, la Négritude est une notion qui a évolué au fil du temps, pour s'affirmer comme une attitude résolument ouverte au monde en dépit de ses revendications parfois véhémentes. Dans l'extrait étudié, Césaire entreprend de redéfinir la Négritude afin d'en affirmer la légitimité et la noblesse. Nous commencerons par observer que ce discours s'inscrit dans la tradition héritée des Lumières et de L'Encyclopédie en proposant une définition engagée de la Négritude. Nous verrons dans un deuxième temps que Césaire transmet sa parole grâce à un langage poétique ciselé. 1er axe : (Re) définir la négritude. Césaire, en précisant « à mes yeux » l.1, affiche que le propos qu'il va tenir sur la Négritude est le fruit de sa propre réflexion, et de son propre engagement. Il indique aussi que cette notion revêt de multiples facettes et qu'il n'est pas forcément évident d'en proposer une définition définitive. a)L'affirmation de ce qu'elle n'est pas. Césaire utilise le présentatif + forme négative à plusieurs reprises ds le passage, et cela de façon très rythmée (rythme ternaire lignes 1à 3, mais aussi 28 à30, mi-parcours du texte, plus condensé), comme pour répondre à des détracteurs du mouvement (et il y en avait à ses débuts, de même qu'à l'époque contemporaine) qui entreprendraient de la discréditer, de minimiser sa portée, son sérieux. Ainsi, la Négritude désigne une attitude, une manière de voir le monde et les autres qui est ancrée dans la réalité, qui n'est pas de l'ordre du concept (« ce n'est pas une philosophie ») ; ce n'est pas non plus une nouvelle religion, menée par quelques illuminés sans crédit (« ce n'est pas une métaphysique »), ni un postulat en quête de reconnaissance désespérée. Enfin, en rendant hommage à la fin de ce premier mouvement à son ami Senghor lorsqu'il profère que la Négritude « n'est pas une prétentieuse conception de l'univers », Césaire rappelle qu'elle est un nouvel humanisme en ce qu'elle place l'homme noir au centre de la pensée du monde, non comme un point de convergence, mais comme une pièce singulière et complémentaire d'un ensemble plus vaste -et universel. Le deuxième mouvement (lignes 28 à 30), s'articule de la même façon, (rythme ternaire + présentatif) et combat un deuxième préjugé : celui que la Négritude ancre avec complaisance le peuple noir dans une humiliation soumise qui ne demanderait qu'à se plaindre, et à être plaint. En employant la négation « pas seulement », Césaire admet cet aspect de la Négritude, qui se perçoit très nettement par exemple dans le courant musical du Blues (musique née dans les champs de coton, et qui traduit tout le désespoir des esclaves). Ainsi s'explique sans doute les deux phrases négatives très concises qui suivent, et qui, de façon redondante (=répétitive), évoquent le lamento perpétuel et la pitié que l'on chercher à susciter : « pâtir » et « subir » ont, en latin, une traduction commune : « patior », racine qui évoque la passion, et notamment celle du Christ. Employer ces termes, c'est affirmer justement que la Négritude refuse toute pitié, toute compassion, qu'il n'est pas question en quelque sorte de ressasser le passé dans le simple but de larmoyer et de se lamenter dans une plainte/ complainte qui ne serait pas constructive. « pathétisme » et « dolorisme » sont des néologismes, des mots fabriqués par Césaire pour souligner cette idée que nous venons d'avancer : « pathos »/ « dolor » : un nom grec et un autre latin pour désigner là encore la même chose : la souffrance, ici poussée à son paroxysme (=son point culminant) grâce à l'ajout des suffixes en -isme : Césaire rejette totalement toute attitude qui consisterait à se poser en éternelle victime à qui l'on devrait une éterne...
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« autre latin pour désigner là encore la même chose : la souffrance, ici poussée à son paroxysme (=son point culminant) grâce à l’ajout des suffixes en –isme : Césaire rejette totalement toute attitude qui consisterait à se poser en éternelle victime à qui l’on devrait une éternelle reconnaissance, et qui serait autorisée, en retour, à maintenir l’autre dans un état de culpabilité insupportable. Césaire entame donc son discours (et le poursuit), de manière offensive, en commençant par battre en brèche certains préjugés tenaces et qui risqueraient de discréditer la Négritude.

Il peut à présent proposer une définition par l’affirmative… b) L’affirmation de ce qu’elle est… Césaire emploie à nouveau le présentatif (mais à la forme affirmative cette fois-ci) : « C’est une manière de vivre » l.

4, « C’est dire que… » ligne 25, ainsi que la reprise anaphorique de « Elle est », lignes 32 à 35.

Mais contrairement à l’usage que nous venons d’observer en a), le rythme dans les phrases affirmatives est beaucoup plus ample, car les périodes sont bien plus longues, donnant un souffle lyrique au discours, mais nous reviendrons sur ce point. La Négritude, aux « yeux » de Césaire, est donc pour commencer une « mémoire collective » pour le citer ligne 12.

Cette thématique revient à plusieurs reprises dans cet extrait, lignes 16-17 par exemple (citer), ou encore ligne 26 (« mémoire »).

Celle-ci unit une « communauté »l.4 d’hommes et de femmes unit par la monstruosité de « la traite négrière »l.19.

Mais la Négritude ne peut se réduire à un devoir légitime et indispensable de mémoire.

Elle est aussi revendication : il s’agit pour ce mouvement de faire reconnaître l’esclavage des noirs et le commerce triangulaire comme un crime contre l’humanité .

Cette revendication est implicite, mais non moins frappante.

Dès les premières lignes du texte (lignes 4 à 7), le lecteur attentif tissera des liens entre le commerce triangulaire et la Shoah (= extermination des juifs pendant la 2 Nde guerre mondiale) : Césaire emploie les mots « communauté » (on parle de « communauté juive »), de « déportations » (référence aux trains de la mort qui acheminaient les juifs vers les camps de concentration), de « transferts d’hommes » (cela a été le cas aux premières heures du Reich, en Pologne par exemple, lors de l’édification du ghetto de Varsovie), de « croyances lointaines » (le Judaïsme est la plus ancienne religion monothéïste), de « cultures assassinées » (les Juifs ont payé le plus lourd tribut aux camps de concentration, avec plus de 6 millions de morts…) Le même écho retentit à la fin du passage, ligne 48, quand Césaire écrit : « On n’a que trop vu les conséquences [du réductionnisme] » : comment ne pas voir se profiler derrière cet « orgueil suicidaire » et cette « forme rationnelle et scientifique de la barbarie » le visage d’Hitler et du nazisme ? Cela est d’autant plus frappant que, rappelons-le, Hitler puisa chez Arthur de Gobineau, diplomate français du XIXème siècle, l’essentiel de ses théories racistes.

Gobineau, farouche opposant à l’abolition de l’esclavage, est en effet l’auteur d’un essai sur la hiérarchie entre les races (voir extrait distribué en classe) qui a malheureusement fait des émules et continue même d’alimenter certaines idéologies fascisantes actuelles en Europe.

Césaire connaît Gobineau et l’influence qu’il eut sur Hitler mais aussi sur la ténacité du préjugé racial en France notamment (voir lecture complémentaire : « Boitelle » de Maupassant, que vous pouvez compléter par le film « La couleur des sentiments » et dont l’action se passe dans l’Amérique des années 50-60, disponible au CDI) ; ces allusions sont certes savantes (rien d’étonnant : C.

s’adresse à un public d’érudits –c’est « un congrès culturel », ligne 36), mais non moins limpides pour un public averti (elles le sont donc désormais pour vous !) Cette allusion à l’héritage sinistre de Gobineau se repère aussi d’ailleurs dans l’emploi des termes « préjugés » l.40, ou «très stricte hiérarchie »l.41.

En associant ainsi traite négrière et Shoah, Césaire sait qu’il va frapper les esprits par cette comparaison audacieuse mais très pertinente car oui, la traite des noirs peut être assimilée à une déportation et les champs de coton ou de canne à sucre aux camps mis en place par le régime nazi et ce sans forcer le trait.

L’association est très efficace tout simplement parce que le souvenir du génocide juif est encore très présent dans. »

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