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Alain: Opinion publique et citoyenneté

Publié le 18/04/2009

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alain
Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit ; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c'est à peine s'il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu'il pourrait être seul de son avis. Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays au lieu de s'interroger eux-mêmes. Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s'imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D'où il résulte qu'un État formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord, et devant les autres aussi. Alain

La problématique s'élabore à partir de la notion d'opinion publique. Celle-ci est-elle l'opinion de tous les citoyens?  D'une majorité d'entre eux ? Quel est donc le "public" qui serait l'auteur d'une opinion générale ?    Ce problème débouche, dans le dernier paragraphe, sur un autre, concernant directement la pratique du pouvoir politique.  Qui gouverne ? Les gouvernants ou cette opinion publique dont personne n'est véritablement l'auteur ?    On en vient même à se demander, avec ALAIN, si l'Etat peut être tenu pour une entité responsable. Ne risque-t-il pas toujours, au contraire de sombrer dans la folie de la "dictature d'opinion" ?  

HTML clipboard Dès le début de ce texte, Alain annonce clairement qu'il écrit ces quelques lignes pour attirer notre attention « au sujet des opinions communes «. Le sens de cette formule est en effet plus problématique qu'on pourrait le croire. Dans son usage le plus courant, elle désigne le système des opinions qui circulent dans la société. Mais si l'on interroge l'adjectif « communes «, on comprend qu'il peut tout autant être entendu en un sens objectif et en un sens subjectif. Autrement dit , la société est à la fois le sujet et l'objet de ces opinions qui circulent en son sein. Les « opinions communes «, ce serait ainsi les opinions que la société forme et entretient elle-même, en elle-même, et sur elle-même ...  A mesure qu'il progresse, le texte expose l'aspect effectivement problématique de ce que cette formule signifie, le caractère énigmatique de la réalité qu'elle désigne, et, ce faisant, il contribue à en proposer une détermination plus précise.

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« La première est que l'opinion publique n'est l'opinion de personne.

C'est une pensée anonyme sans sujet.

Aussi,ALAIN la nommera t-il un "être fantastique", au second paragraphe.

Voilà en effet une pensée qui existe, mais quenul ne "forme".

Aucun individu n'en est l'auteur; pas davantage un groupe d'individus. La seconde idée vise à expliquer cet état de choses.

Personne n'ose émettre une opinion concernant les affairespubliques, c'est-à-dire ce qui concerne tous.

Personne n'ose s'en remettre à son jugement propre.

Tous, aucontraire, adoptent une attitude passive et consentent à suivre l'avis général. Chacun agit ainsi, passivement, de bonne foi, et, ajoute ALAIN, par une "espèce de sagesse".

Il est en effetraisonnable de penser que, concernant les affaires publiques, l'individu seul ne soit pas le plus avisé, ni le plusclairvoyant. ARISTOTE notait déjà qu'en matière politique, l'avis collectif était plus raisonnable que l'avis d'un seul, fût-il unexpert.

C'est donc fort raisonnablement que chacun se laisse imposer une pensée dont il n'est pas personnellementl'auteur. 2 - Une illustration de l'analyseprécédente. Le second paragraphe illustre, sur le mode descriptif, le contenu conceptuel du premier, en nous montrant un paysentier consultant cette fantomatique opinion publique.ALAIN, au passage, laisse entendre que la presse nourrit en grande partie cette illusion qu'est l'opinion publique.Ainsi, tous interrogent le pays, c'est-à-dire personne, et ne font pas confiance en leur jugement. 3 - L'enjeu politique d'une telledescription. Le dernier paragraphe est le plus inquiétant, puisqu'il nous brosse le tableau d'un état-fantôme, gouverné follementpar l'opinion publique. En effet, les gouvernants eux-mêmes, en tant qu'individus, se tournent aussi vers l'opinion publique.

Dans ce jeu demiroir entre le public anonyme et les gouvernants, les plus folles conceptions peuvent naître, comme la décision defaire la guerre, sans que personne puisse en répondre. Le paradoxe final est effrayant : l'Etat peut agir follement, sans que personne individuellement n'ait cessé d'êtreraisonnable. ALAIN conclut fortement sur ce qui lui semble être la cause d'un si grand mal :le manque de fermeté ; l'absence ou l'insuffisance de courage qu'il faut pour penser et juger par soi-même en toutecirconstance. B - UNE REFLEXION CRITIQUE SUR LEPOUVOIR EN DEMOCRATIE 1 - La responsabilité du citoyen Ce texte ne manque pas d'intéresser le citoyen que nous sommes.

Il nous rappelle d'abord tous à notreresponsabilité individuelle : même en politique, surtout en politique, ne renonçons jamais à notre propre faculté dejuger. Dans le cas inverse, l'Etat se retrouve sans rênes, pris dans la logique folle de la "dictature d'opinion". Point de dictature plus douce : car chacun consent à s'en remettre à elle ; pas de plus dangereuse aussi, car cesuivisme est en politique le meilleur allié des projets les plus aberrants, voire, des plus barbares. 2 - Un problème crucial pour ladémocratie Le problème intéresse au plus haut point une réflexion sur la démocratie.Ce type de pouvoir doit en effet consulter le peuple, et recourir en conséquence au débat public.. »

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