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Albert EINSTEIN: Logique et mathématique

Publié le 13/06/2011

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« Le grand prestige de la mathématique repose... sur le fait que c'est elle qui confère aux sciences strictes un certain degré de certitude qu'elles ne pourraient pas atteindre autrement. « Ici surgit une énigme qui a fortement troublé les chercheurs de tous les temps. Comment se fait-il que la mathématique, qui est un produit de la pensée humaine et indépendante de toute expérience, s'adapte d'une si admirable manière aux objets de la réalité ? La raison humaine serait-elle donc capable, sans avoir recours à l'expérience, de découvrir par son activité seule les propriétés des objets réels ? « À cette question il faut, à mon avis, répondre de la façon suivante : pour autant que les propositions de la mathématique réfèrent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et pour autant qu'elles soient certaines, elles ne réfèrent pas à la réalité. La parfaite clarté sur ce sujet n'a pu devenir bien commun que grâce à cette tendance en mathématique qui est connue sous le nom d'axiomatique. Le progrès réalisé par cette dernière consiste en ceci que la partie logique et formelle est soigneusement séparée du contenu objectif ou intuitif. D'après l'axiomatique, la partie logique et formelle constitue seule l'objet de la mathématique, mais non pas le contenu intuitif ou autre qui lui est associé. « Examinons de ce point de vue un axiome quelconque de la géométrie, par exemple le suivant : par deux points de l'espace on peut toujours tracer une ligne droite, et l'on n'en peut tracer qu'une seule. Comment cet axiome doit-il être interprété dans le sens ancien et comment dans le sens moderne ? « Interprétation ancienne. Chacun sait ce qu'est une droite et ce qu'est un point. Que cette connaissance provienne de la faculté de l'esprit humain ou de l'expérience, de la coopération des deux ou d'ailleurs, le mathématicien n'est pas obligé d'en décider ; il abandonne cette décision au philosophe. Fondé sur cette connaissance, qui est donnée avant toute mathématique, l'axiome susnommé (comme tous les autres axiomes) est évident, c'est-à-dire qu'il est l'expression de celte connaissance "a priori". Interprétation moderne. La géométrie traite d'objets qui sont désignés par les termes de point, droite, etc. Une connaissance quelconque ou intuition de ces objets n'est pas supposée ; la seule chose qu'on suppose est la validité des axiomes (dont celui mentionné plus haut est un exemple), qui doivent être également conçus comme purement formels, c'est-à-dire dépourvus de tout contenu intuitif ou accessible à l'expérience. « Ces axiomes sont des créations libres de l'esprit humain. Toutes les autres propositions géométriques sont des déductions logiques des axiomes (qui doivent être conçus seulement au point de vue nominaliste). Ce sont les axiomes qui définissent en premier lieu les objets dont traite la géométrie. Et c'est pourquoi Schlick, dans son livre sur la Théorie de la connaissance, a très justement regardé les axiomes comme des définitions implicites. « Cette conception des axiomes, qui est représentée par l'axiomatique moderne, débarrasse la mathématique de tous les éléments qui ne lui appartiennent pas, et dissipe ainsi l'obscurité mystique qui enveloppait jadis ses fondements. Une telle exposition épurée rend de même évident que la mathématique comme telle est incapable d'énoncer quoi que ce soit, ni sur les objets de la représentation intuitive, ni sur les objets de la réalité. Par les termes de point, droite, etc., il ne faut entendre dans la géométrie axiomatique que des concepts schématiques vides de contenu. Ce qui leur confère un contenu n'appartient pas à la mathématique. Mais il est d'autre part certain que la mathématique en général et la géométrie en particulier doivent leur existence à notre besoin de savoir quelque chose sur le comportement des objets réels. Le terme de géométrie, qui signifie "mesure du terrain", le prouve déjà. Car la mesure du terrain traite des positions relatives possibles de certains corps de la nature, c'est-à-dire des parties du corps terrestre, de cordeaux, de jalons, etc. [...] « La question de savoir si la géométrie pratique du monde est euclidienne ou non a un sens précis et la réponse ne peut être fournie que par l'expérience. Toute mesure de longueur en physique est de la géométrie pratique en ce sens ; de même encore la mesure de longueur géodésique et astronomique, si l'on ajoute la proposition expérimentale que la lumière se propage en ligne droite dans le sens de la géométrie pratique. « J'accorde d'autant plus d'importance à la conception de la géométrie ainsi caractérisée qu'il m'aurait été impossible sans elle de construire ma théorie de la relativité. «

Albert EINSTEIN, La Géométrie et l'expérience, Gauthier-Villars.   

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