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ANALYSE DE BRITANNICUS DE RACINE

Publié le 06/06/2011

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Mais rivaliser, pour un homme comme Racine, ce n'est pas copier, ni même imiter. Racine a voulu traiter un sujet cornélien, développer même certaines passions cornéliennes non parce qu'ils ont été découverts par Corneille, mais parce qu'ils sont dans la vie, parce qu'ils sont humains, parce qu'ils sont le bien de tous. Et ce bien commun, il l'a exploité à sa manière. Il a d'abord, et très consciemment, laissé à Corneille ses défauts. La première Préface le rappelle aux défenseurs de Corneille avec une cinglante ironie. Les actions des pièces que Corneille fait jouer après 1650 sont le plus souvent invraisemblables, remplies de « quantité d'incidents qui ne se pourraient passer qu'en un mois, d'un grand nombre de jeux de théâtre, d'autant plus surprenants qu'ils seraient moins vraisemblables «. Au contraire, l'action de Britannicus sera « simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour et qui s'avançant par degrés vers sa fin n'est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages «. A cet égard, Britannicus est même en progrès sur Andromaque, car chargée de peu de matière d'événements, l'action d'Andromaque repose sur un imbroglio sentimental qui a bien quelque chose de surprenant. Britannicus, au contraire, commence à dégager cette conception de la simplicité extérieure et intérieure de l'action tragique que Bérénice poussera jusqu'à sa limite. Une grande crise politique, lentement, sourdement préparée et qui va éclater d'un seul coup, justement parce que les acteurs ne peuvent manoeuvrer que dans l'ombre, jusqu'au coup d'éclat : Néron régnera-t-il par lui-même ou comme le prête-nom d'Agrippine ?



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« En même temps que la vraisemblance de l'action, Racine veut la vraisemblance des caractères.

La première Préfaceraille aussi bien les personnages absurdes de Corneille, un « héros ivre qui se voudrait faire haïr de sa maîtresse degaieté de coeur, un Lacédémonien grand parleur, un conquérant qui ne débiterait que des maximes d'amour, unefemme qui donnerait des leçons de fierté à des conquérants ».

Ce que Racine ne dit pas, peut-être parce qu'il l'amoins clairement conçu, c'est que ses caractères ne sont pas moins différents des caractères les plus humains deCorneille, d'un Curiace, d'une Chimène, d'un Auguste, d'une Pauline.

Ces caractères de Corneille sont des « généreux», c'est-à-dire qu'ils ont de grands desseins, qu'ils conçoivent clairement et qu'ils veulent d'une volonté forte.Quand quelque passion, quelque « faiblesse » s'élève en eux contre cette volonté, ils conçoivent aussi clairement etl'obstacle et le moyen de le surmonter.

Chez Racine, au contraire, les âmes sont infiniment plus complexes, plusinstinctives, plus mêlées d'inconscience.

En eux se heurtent des forces souvent obscures, souvent contradictoiresdont Racine a su pénétrer et exprimer les remous pathétiques, plus tragiques peut-être que les volontés tendues deCorneille.

C'est le cas évidemment pour Néron.

Néron est le « monstre naissant ».

Or il y a beaucoup de monstreschez Corneille, mais ils sont des monstres définitifs et même, pour ainsi dire, par définition.

Ils ont une volontéassurée et clairvoyante du mal comme d'autres ont celle du devoir.

Le Néron de Racine n'est pas seulement lecommencement d'un monstre, ce qui serait assez banal, c'est un monstre complexe où se mêlent quelques qualités,toutes prêtes à se faire complices des vices, et des vices tortueux.

Il n'est pas sans intelligence ; il n'est pas sanscuriosité, il n'est pas sans goût ; il a des timidités et une certaine habitude de respecter la vertu.

Mais il est surtoutvaniteux et sensuel.

Il a eu quelque temps la vanité d'être un prince vertueux.

Mais il prendra vite celle d'être craintet celle d'être inimitable dans ses plaisirs.

Junie lui plaît ; il ne peut supporter qu'elle lui préfère un rival obscur,timide, désarmé ; il ira, pour obtenir Junie et pour se venger, jusqu'au crime, Même complexité chez Agrippine.

Elleest fort intelligente ; elle est femme de tête ; elle a même toute la finesse et toute la rouerie d'une femme ; on nesait jamais jusqu'où ses emportements mêmes sont impulsifs ou calculés.

Elle a fort bien conduit une tâche difficileet, n'étaient Junie et la sensualité de Néron, elle triompherait peut-être encore et de Burrhus et de Narcisse.

Maisen même temps elle est réellement impulsive ; elle a des sursauts de colère, des accès de franchise imprudente ;elle ne sait agir que par volonté et par violence non par patience, par détours et par persuasion ; elle estraisonneuse plus que séductrice.

Même complexité, même originalité dans le caractère de Narcisse.

Les traîtres,avant Racine, sont des traîtres artificieux mais combattifs et violents.

Narcisse est le traître insinuant et subtil quicherche à s'emparer non d'un pouvoir par un coup de force mais d'une âme, et non pas par des raisons mais par dessuggestions. III.

— Britannicus, TRAGÉDIE PITTORESQUE. Entre les tragédies politiques de Corneille et Britannicus il y a une autre différence beaucoup moins évidente maisaussi profonde.

Les tragédies politiques de Corneille sont en quelque sorte des tragédies d'école.

Elles sont toutesproches de ces discours et de ces controverses scolaires dans lesquels les élèves des collèges s'efforçaientinterminablement, par la bouche des consuls, des tribuns, des sénateurs, des généraux, à mettre en haranguesraisonnées les problèmes de la paix ou de la guerre, des traités, des lois, des révolutions.

Il y a certes, dans lespièces de Corneille, une atmosphère romaine, mais c'est celle du Conciones, des discours de Cicéron, de Tite-Live,de Sénèque.

Tout s'y passe, soit en actions rejetées hors de la scène, soit en discussions abstraites.

Lespersonnages ont toujours l'air de parler devant une assemblée délibérante ou un congrès d'ambassadeurs.

Il en esttout autrement dans la pièce de Racine.

Il y a autour de Britannicus une atmosphère.

L'anxiété tragique ne naît passeulement des événements directement préparés et réalisés mais aussi de tout ce qui les dépasse et qu'onpressent.

Ce n'est pas seulement une tragédie intérieure.

Il y a un pittoresque tragique, qui n'est pas romantique,qui n'est qu'ébauché, mais qui était une grande nouveauté. Racine le doit évidemment, en grande partie, à son modèle, qui est Tacite.

Il a lui-même avoué sa dette dans laseconde Préface.

« A la vérité, j'avais travaillé sur des modèles qui m'avaient extrêmement soutenu dans la peintureque je voulais faire de la cour d'Agrippine et de Néron.

J'avais copié mes personnages d'après le plus grand peintrede l'antiquité, je veux dire d'après Tacite.

Et j'étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien qu'il n'y apresque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m'ait donné l'idée ».

Puis, Racine montre que ses peinturesde Néron, de Narcisse, de Burrhus, d'Agrippine sont fidèles au dessin incisif de Tacite.

On peut ajouter à cettePréface, que maints discours sont en partie des centons de Tacite, que leur vigueur est faite, souvent, des phrasesde Tacite qui y sont traduites ou adaptées.Mais il y a bien autre chose que ces inspirations directes.

Racine était tout plein de la lecture de Tacite, c'est-à-dire de tableaux âpres, heurtés, tragiques où s'évoquent quelques-uns des drames les plus grandioses, les plusfrénétiques de l'histoire humaine.

Que Néron ait été ou non un monstre ce n'était pas seulement une aventuredynastique, quelques sanglantes fantaisies de despote oriental.

Ce sont toutes les destinées du monde civilisé quiétaient en jeu.

C'était le commencement, la première péripétie d'un drame bien plus vaste qui allait faire du règne deNéron une sorte d'immense bouffonnerie tragique, C'était même l'évocation de toutes les bouffonneries analogues qui avaient ensanglanté et devaient ensanglanterRome et qui précipitaient l'Empire vers une ruine retentissante.

C'est de tout cela que l'imagination de Racine étaitpleine lorsqu'il lisait Tacite et lorsqu'il écrivait Britannicus.

C'est tout cela qui vivait et qui vit nécessairement dans lamémoire des spectateurs cultivés ; c'est tout cela qui, par la suggestion de Racine, ressuscite, s'anime tandis que,seuls, le sort de Britannicus et celui d'Agrippine, semblent se décider.

Et c'est pour cela que Racine, dans sadeuxième Préface, s'appuie surtout sur l'estime des « connaisseurs » et qu'on a pu disserter depuis trois ou quatregénérations pour expliquer que c'était bien « la pièce des connaisseurs ».

Pour ceux-là surtout, si l'on veut, maistrès fortement, Britannicus a des prolongements, des sortes de retentissements qui en répercutent l'anxiété. »

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