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L'Analyse Critique De La Petite Fille Qui Aimait Trop Les Allumettes De Gaétan Soucis Selon Les Théories De La Lecture

Publié le 26/09/2010

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Introduction Les théories de la lecture sont une approche développée durant les années 1960 qui propose une méthode interprétative d'analyse critique des œuvres littéraires privilégiant la perspective du lecteur. Il ne s'agit plus de juger les œuvres en étudiant la vie de l'auteur comme le faisait Paulhan ou encore de s'en tenir uniquement au texte pour construire son jugement critique comme dans le courant formaliste. Le texte doit être envisagé en fonction de sa réception par le destinataire et des interprétations qui en découlent. Reste à savoir comment ces théories se comportent lorsqu'elles sont appliquées concrètement à l'analyse critique d'une fiction contemporaine. Est-ce que le modèle progression-cum-compréhension développé par Gervais permet de pousser plus loin l'analyse littéraire de La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy? Nous soutiendrons l'hypothèse que les « surprises narratives « résultent d'une lecture en progression. En effet, lors d'une première lecture, le lecteur se contente généralement d'une compréhension fonctionnelle, c'est-à-dire littérale. Par conséquent, le texte peut induire le lecteur en erreur en le confortant dans ses interprétations fautives. Nous procéderons en expliquant d'abord comment l'intégration spontanée des conventions des genres littéraires peut aider le lecteur à faire des inférences au cours de sa lecture. Ensuite, nous verrons comment lors d'une lecture-en-progression la mise en intrigue peut favoriser une compréhension lacunaire et fausser les interprétations du lecteur, d'où l'occurrence d'illusions cognitives. L'intégration spontanée En mode de lecture-en-progression, le lecteur fait généralement peut d'inférence, car son mandat est de progresser. Cependant, certaines conditions inhérentes aux compétences et aux habitudes de lecture peuvent permettre à certains lecteurs de passer en mode de compréhension et d'émettre des hypothèses sur les possibles scénarios actanciels et événementiels de la fiction. En fait, la capacité à faire des inférences avant et pendant la lecture dépend de l'intégration spontanée des conventions littéraires et narratives du genre par le lecteur ainsi que de ses habitudes de lecture. Comme le mentionne Gervais : [L]e déroulement du récit repose sur un ensemble de scripts enchâssés et entremêlés et […] ce fond endo-narratif sert de support de déroulement de la lecture et à la progression à travers le texte . Ainsi, les lecteurs plus expérimentés seront en mesure d'émettre des hypothèses sur les scénarios possibles en se basant sur le genre littéraire de la fiction. Cependant, ceux qui possèdent peu de connaissances en ce qui a trait aux conventions littéraires des genres feront plutôt des abductions en se basant sur le contexte de la fiction. Le titre est souvent un indice textuel permettant au lecteur d'anticiper l'univers narratif représenté dans le récit. Dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, le titre fait implicitement référence à un conte d'Henderson : La petite fille aux allumettes. Un lecteur qui connaît ce récit en particulier en plus d'avoir une certaine expertise en ce qui a trait aux schémas représentant les lieux, les actions et les différents acteurs dans un conte peut s'attendre à retrouver dans le roman de Gaétan Soucy des éléments pouvant être reliés à l'imaginaire du conte. Comme le mentionne Eco, « un terme peut être interprété différemment selon le scénario auquel il revoie «. Le fait qu'elle aimait « trop « les allumettes pique la curiosité du lecteur, car cela implique la transgression d'un interdit par un enfant, celui de ne pas jouer avec les allumettes. Cependant, au début du roman le lecteur est loin de se douter de l'horreur du drame causé par celle qui a eu le malheur de jouer avec des allumettes. On ne connaît d'ailleurs pas la véritable identité du Juste Châtiment avant la page 149 du roman lorsque l'inspecteur des mines s'exclame : « - C'est horrible…c'est atroce…c'est…c'est votre sœur jumelle? Ta sœur jumelle? « (PF – 149). L'appellation « Juste Châtiment « fait d'ailleurs référence à la punition que laisse présager le titre du conte. Quant au drame, la narratrice l'évoque sommairement lorsqu'elle tente d'expliquer à l'inspecteur des mines la présence du cadavre de sa mère dans la caisse de verre : « À ce que j'ai pu comprendre de ce que m'a dit mon père[…], le Juste aurait fait brûler ce qui est mort ici à ma gauche « (PF – 151). Les multiples références textuelles à l'imaginaire du conte dans le récit invitent le lecteur à délaisser le mode de progression pour passer en mode de lecture-en-compréhension. Ce n'est que de cette façon que ce dernier peut faire le parallèle entre le récit fait par la narratrice et les histoires de contes de fées qu'elle s'invente pour fuir l'horreur de sa condition. Par exemple, à la page 21 du roman elle nous dévoile qu'elle affectionne particulièrement l'image d'un preux chevalier venant d'un « dictionnaire «, car elle lui fait penser à son histoire favorite, celle d'une princesse « prisonnière d'un moine fou « (PF – 21) « sauvée par son chevalier « (PF – 22). Nous pouvons aisément émettre l'hypothèse que le « moine fou « désigne le père. En revanche, le rôle de preux chevalier est attribué par la narratrice à l'inspecteur des mines. Elle utilise plusieurs expressions du type « le chevalier en braquemart « (PF – 149). De plus, la description qu'elle fait de lui arrivant sur sa mobylette concorde en tous points à l'image d'un chevalier arrivant sur sa monture pour sauver sa belle : [I]l était monté par un cavalier casqué […]. Le cavalier était de cuir vêtu de pied en cap, et quand il enleva son heaume et ses lunettes, qu'il maintint sous son bras, mon cœur fit le saut que font les grenouilles en se jetant à l'eau, car c'était vous, mon bien-aimé, magnifique dans l'éclat sombre et souple de votre braquemart (PF – 145). En revanche, ces inférences exigent de la part du lecteur certaines notions quant aux éléments caractérisant l'univers imaginaire des contes. De plus, ce type d'hypothèse n'est possible que lorsque le lecteur se trouve dans un mode de lecture- en-compréhension optimale, c'est-à-dire lors d'une seconde lecture du récit. À l'opposé, lors d'une lecture-en-progression le lecteur fait généralement peu d'inférences. De plus, l'effet de suspense peut mener le lecteur à être victime d'illusions cognitives, c'est-à-dire que des stratégies textuelles peuvent l'encourager à faire des interprétations inadéquates quant aux événements et aux personnages. Les illusions cognitives Lorsqu'un lecteur lit un texte pour la première fois, il adopte généralement le mode de la lecture-en-progression, c'est-à-dire qu'il se contente d'une compréhension fonctionnelle de l'univers narratif en se limitant aux informations contenues dans le texte. En revanche, cet acte de lecture n'encourage pas le lecteur à faire des inférences. Par conséquent, sa compréhension du texte peut être faussée par des interprétations boiteuses, ce que Gervais appelle des illusions cognitives : L'illusion cognitive se présente lorsque le lecteur fait mine de comprendre la situation, le comportement ou le déroulement d'actions représentés, soit parce que le texte l'y invite par une stratégie textuelle, d'un procédé narratif ou stylistique, soit parce que les impératifs de sa lecture l'y engagent . Dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, l'ambigüité concernant le sexe de la narratrice est un exemple d'illusion cognitive de type narratif pouvant résulter d'une lecture-en-progression. Au début du roman, le texte encourage le lecteur à croire que la narration est menée par un jeune garçon qui se désigne d'ailleurs comme le « secrétarien « (PF – 13). De plus, les accords sont faits au masculin. Par exemple, lorsqu'il-elle fait une caresse au cheval après l'avoir frappé il-elle dit « je ne suis pas rancunier « (PF – 19) ou encore elle se désigne fièrement comme étant « le plus « intelligent de ses fils « (PF – 77). Ce n'est qu'à la moitié du roman, lorsque l'inspecteur des mines lui demande « - Pourquoi parles-tu toujours de toi comme si tu étais un garçon? « (PF – 78), que le lecteur se rend compte de l'ampleur de son erreur quant à l'identité de la narratrice. Si le lecteur a pu croire aussi longtemps qu'il s'agissait d'un narrateur de sexe masculin, c'est parce que la cohérence de cette hypothèse n'avait pas été véritablement remise en cause par le récit avant cette révélation. Par conséquent, le lecteur en mode de lecture-en-progression n'a pas tenu compte des indices textuels quant aux pertes de sang et aux enflures de la narratrice. Certains indices textuels auraient dû mettre la puce à l'oreille du lecteur quant à la véritable identité de la narratrice, cependant le mode de lecture-en-progression l'a incité à ne pas en prendre compte et à attendre que le récit livre ses réponses par lui-même. Par exemple, dans le roman la narratrice nous confie qu'elle « aurait aimé mettre les doigts dans [sa] culotte et […] jeter du sang « (PF – 70) au prêtre après qu'il l'eu frappée, nous aurions dû comprendre qu'il s'agissait de ses règles. De plus, lorsqu'elle dit que son frère lui disait : « Fiche-moi le camp avec tes enflures! « (PF – 101), nous aurions dû en déduire qu'elle était enceinte et de son frère de surcroît. En effet, elle nous avait confié précédemment que son père et son frère la violaient : Quand il me fonce dessus, rien à faire qu'à rentrer la tête dans les épaules et prier le temps de passer au plus vite. Mon père ne me rentrait à peu près plus dedans dans les derniers temps de son terrestre séjour, je dois même à la vérité de dire que la dernière fois remonte à lurette, si ce n'est davantage (PF – 93). Ainsi, cette nouvelle prise de conscience amène le lecteur à entrer dans un mode de lecture-en-compréhension et à prendre conscience d'éléments qui lui avaient jusqu'alors échappé. Conclusion Selon Gervais, il existe au tant d'actes de lecture qu'il y a de lectures d'un texte, car l'acte de lecture varie en fonction du mandat de progression ou de compréhension que s'est donné le lecteur et de ses compétences. Un lecteur expérimenté pourra intégrer spontanément des caractéristiques liées aux conventions de genre et ainsi être plus attentif lors des bris du contrat de lecture par l'auteur. Cependant, lors d'une lecture-en-progression, le lecteur fait généralement peu d'inférences, ce qui l'amène souvent à faire de fausses interprétations d'où la fréquence d'illusions cognitives dont il peut être victime. Bibliographie Bertrand Gervais, À l'écoute de la lecture, Montréal, ULB Éditeur, (Coll. : Essais critiques), 1993, 283 p. Umberto Eco, Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Éditions Bernard Grasset, 315 p. SOUCY, Gaétan, La petite fille qui aimait trop les allumettes, Montréal, Les Éditions du Boréal (Coll. : Boréal Compact), 2000, 181 p.

 

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« Lorsqu'un lecteur lit un texte pour la première fois, il adopte généralement le mode de la lecture-en-progression,c'est-à-dire qu'il se contente d'une compréhension fonctionnelle de l'univers narratif en se limitant aux informationscontenues dans le texte.

En revanche, cet acte de lecture n'encourage pas le lecteur à faire des inférences.

Parconséquent, sa compréhension du texte peut être faussée par des interprétations boiteuses, ce que Gervais appelledes illusions cognitives :L'illusion cognitive se présente lorsque le lecteur fait mine de comprendre la situation, le comportement ou ledéroulement d'actions représentés, soit parce que le texte l'y invite par une stratégie textuelle, d'un procédénarratif ou stylistique, soit parce que les impératifs de sa lecture l'y engagent .Dans La petite fille qui aimait trop les allumettes, l'ambigüité concernant le sexe de la narratrice est un exempled'illusion cognitive de type narratif pouvant résulter d'une lecture-en-progression.

Au début du roman, le texteencourage le lecteur à croire que la narration est menée par un jeune garçon qui se désigne d'ailleurs comme le «secrétarien » (PF – 13).

De plus, les accords sont faits au masculin.

Par exemple, lorsqu'il-elle fait une caresse aucheval après l'avoir frappé il-elle dit « je ne suis pas rancunier » (PF – 19) ou encore elle se désigne fièrementcomme étant « le plus « intelligent de ses fils » (PF – 77).

Ce n'est qu'à la moitié du roman, lorsque l'inspecteur desmines lui demande « - Pourquoi parles-tu toujours de toi comme si tu étais un garçon? » (PF – 78), que le lecteur serend compte de l'ampleur de son erreur quant à l'identité de la narratrice.

Si le lecteur a pu croire aussi longtempsqu'il s'agissait d'un narrateur de sexe masculin, c'est parce que la cohérence de cette hypothèse n'avait pas étévéritablement remise en cause par le récit avant cette révélation.

Par conséquent, le lecteur en mode de lecture-en-progression n'a pas tenu compte des indices textuels quant aux pertes de sang et aux enflures de la narratrice.Certains indices textuels auraient dû mettre la puce à l'oreille du lecteur quant à la véritable identité de lanarratrice, cependant le mode de lecture-en-progression l'a incité à ne pas en prendre compte et à attendre que lerécit livre ses réponses par lui-même.

Par exemple, dans le roman la narratrice nous confie qu'elle « aurait aimémettre les doigts dans [sa] culotte et […] jeter du sang » (PF – 70) au prêtre après qu'il l'eu frappée, nous aurionsdû comprendre qu'il s'agissait de ses règles.

De plus, lorsqu'elle dit que son frère lui disait : « Fiche-moi le campavec tes enflures! » (PF – 101), nous aurions dû en déduire qu'elle était enceinte et de son frère de surcroît.

Eneffet, elle nous avait confié précédemment que son père et son frère la violaient :Quand il me fonce dessus, rien à faire qu'à rentrer la tête dans les épaules et prier le temps de passer au plus vite.Mon père ne me rentrait à peu près plus dedans dans les derniers temps de son terrestre séjour, je dois même à lavérité de dire que la dernière fois remonte à lurette, si ce n'est davantage (PF – 93).Ainsi, cette nouvelle prise de conscience amène le lecteur à entrer dans un mode de lecture-en-compréhension et àprendre conscience d'éléments qui lui avaient jusqu'alors échappé. ConclusionSelon Gervais, il existe autant d'actes de lecture qu'il y a de lectures d'un texte, car l'acte de lecture varie enfonction du mandat de progression ou de compréhension que s'est donné le lecteur et de ses compétences.

Unlecteur expérimenté pourra intégrer spontanément des caractéristiques liées aux conventions de genre et ainsi êtreplus attentif lors des bris du contrat de lecture par l'auteur.

Cependant, lors d'une lecture-en-progression, le lecteurfait généralement peu d'inférences, ce qui l'amène souvent à faire de fausses interprétations d'où la fréquenced'illusions cognitives dont il peut être victime. BibliographieBertrand Gervais, À l'écoute de la lecture, Montréal, ULB Éditeur, (Coll.

: Essais critiques), 1993, 283 p. Umberto Eco, Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Éditions BernardGrasset, 315 p. SOUCY, Gaétan, La petite fille qui aimait trop les allumettes, Montréal, Les Éditions du Boréal (Coll.

: BoréalCompact), 2000, 181 p.. »

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