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Aristote: Les deux parties de l'âme

Publié le 17/04/2009

Extrait du document

aristote
«Antérieurement nous avons indiqué qu'il y avait deux parties de l'âme, à savoir la partie rationnelle et la partie irrationnelle. Il nous faut maintenant établir, pour la partie rationnelle elle-même, une division de même nature. Prenons pour base de discussion que les parties rationnelles sont au nombre de deux, l'une par laquelle nous contemplons ces sortes d'êtres dont les principes ne peuvent être autrement qu'ils ne sont, et l'autre par laquelle nous connaissons les choses contingentes : quand, en effet, les objets diffèrent par le genre, les parties de l'âme adaptées naturellement à la connaissance des uns et des autres doivent aussi différer par le genre, s'il est vrai que c'est sur une certaine ressemblance et affinité entre le sujet et l'objet que la connaissance repose. Appelons l'une de ces parties la partie scientifique, et l'autre la calculative, délibérer et calculer étant une seule et même chose, et on ne délibère jamais sur les choses qui ne peuvent être autrement qu'elles ne sont. Par conséquent la partie calculative est seulement une partie de la partie rationnelle de l'âme. Il faut par suite bien saisir quelle est pour chacune de ces deux parties sa meilleure disposition : on aura là la vertu de chacune d'elles, et la vertu d'une chose est relative à son oeuvre propre. Or il y a dans l'âme trois facteurs prédominants qui déterminent l'action et la vérité : sensation, intellect et désir. De ces facteurs la sensation n'est principe d'aucune action, comme on peut le voir par l'exemple des bêtes, qui possèdent bien la sensation mais non pas l'action en partage. Et ce que l'affirmation et la négation sont dans la pensée, la recherche et l'aversion le sont dans l'ordre du désir ; par conséquent puisque la vertu morale est une disposition capable de choix, et que le choix est un désir délibératif, il faut par là-même à la fois que la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu'il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que le désir poursuit. Cette pensée et cette vérité dont nous parlons ici sont de l'ordre pratique ; quant à la pensée contemplative, qui n'est ni pratique ni poétique, son bon et son mauvais état consiste dans le vrai et le faux auxquels son activité aboutit, puisque c'est là l'oeuvre de toute partie intellective, tandis que pour la partie de l'intellect pratique, son bon état consiste dans la vérité correspondant au désir, au désir correct. Le principe de l'action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d'origine du mouvement et non la fin où il tend), et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C'est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l'action n'existant pas sans pensée et sans caractère. La pensée par elle-même cependant n'imprime aucun mouvement, mais seulement la pensée dirigée vers une fin et d'ordre pratique. Cette dernière sorte de pensée commande également l'intellect poétique, puisque dans la production l'artiste agit toujours en vue d'une fin ; la production n'étant pas une fin au sens absolu, mais est quelque chose de relatif et production d'une chose déterminée. Au contraire dans l'action, ce qu'on fait < est une fin au sens absolu >, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet. Aussi peut-on dire indifféremment que le choix préférentiel est un intellect désirant ou un désir raisonnant, et le principe qui est de cette sorte est un homme.» Aristote, Aristote, Ethique à Nicomaque (VI, 2, 1139 a 3 - 1139 b 5)

Comment et pourquoi distinguer dans l’âme des parties ou des facultés ? En quoi peut-on leur assigner une fonction propre dans le procès du connaître et de quelle modalité de la connaissance s’agit-il ? Enfin comment en déduire de quoi mettre à jour la genèse de l’action authentiquement vertueuse ? C’est à ces trois questions que répond l’extrait ici proposé, qui se situe au début du Livre VI de l’Ethique à Nicomaque, et plus précisément fait suite au chapitre qui annonce l’examen de la droite règle, l’orthos logos. Or cette notion est au centre de toute l’éthique aristotélicienne, puisqu’elle va permettre d’articuler le passage de la vertu simplement éthique, c’est-à-dire au sens grec vertu du caractère, à la vertu au sens propre, c’est-à-dire la vertu intellectuelle. En effet, la vertu éthique (qui a fait l’objet d’une définition au Livre II, et dont les Livres III à V sont des applications aux divers domaines de la vie pratique) a été déterminée par un effort de tension visant un moyen terme, permettant d’éviter l’excès et le défaut dans le comportement. Or ce que met en lumière notre extrait, c’est l’espace propre de ce qu’Aristote appelle la prudence, la phronèsis, la vertu donc en sa dimension intellectuelle, et non plus simplement éthique. Plus précisément il est question de montrer que la prudence est la vertu totale, et en tant que telle l’œuvre propre d’une partie de la partie supérieure de l’âme, plus précisément celle en laquelle se détermine l’ordre intellectuel de la pratique. La thèse d’Aristote est ici que la vertu en tant que telle est l’état d’une âme préparée par la contrainte à l’action vertueuse, et ainsi devenue capable de mobiliser une réflexion sur les moyens adéquats aux fins présentées par le désir qui est en quelque sorte son moteur, désir qu’il lui convient de porter à son accomplissement ; mais réciproquement Aristote va montrer qu’il s’agit simultanément de l’état d’un désir qui n’est plus simplement contraint par l’habitude, et qui déjà est travaillé par l’intelligence.

aristote

« s'il était légitime de diviser la partie irrationnelle de l'âme en deux, il faut en faire autant de la partie rationnelle, pourainsi amener au jour la vertu propre de l'intellect pratique.

Dans un deuxième moment, le texte distingue lescomposantes qui, à partir de la vertu éthique, mettent en relief la genèse de l'activité intellectuelle pratique, enrapport avec la question de la vérité, déterminée comme finalité absolue des deux parties de l'âme, en sa dimensionrationnelle.

Enfin la troisième partie va statuer sur le point originel de cette genèse, le choix délibéré, qui vaprécisément poser le difficile problème de l'unité des deux dimensions de la vertu. Dès lors on verra que le texte est travaillé par un enjeu qui apparaît sous trois aspects.

Premièrement celui de labipolarité de la vertu en sa dimension éthique et intellectuelle.

En employant un vocabulaire kantien, en l'occurrenceparticulièrement parlant, il semblerait à première vue que le mouvement qui conduit du Livre II au Livre VI soit enquelque sorte analytique, allant du conditionné vers sa condition, c'est-à-dire de la vertu éthique vers la vertuintellectuelle, alors que le Livre VI semble entamer le mouvement proprement démonstratif ou synthétique duprincipe vers ses conséquences.

Nous verrons que ce n'est là qu'une apparence et que l'enjeu du texte est aucontraire celui d'une circularité interne et problématique entre la vertu éthique et la vertu intellectuelle, par quoi lavertu devient effectivement ce qu'elle est.

Or elle ne le devient pourtant qu'à convoquer un personnage qui sera lafigure clef de toute l'Ethique à Nicomaque, celui du phronimos, de l'homme prudent, posant cette fois le problèmed'une circularité externe à la question de la vertu, puisque pour être pleinement explicitée en définitive, elle nerequiert pas tant une démonstration que l'exemplarité.

Deuxièmement, Aristote pose la vérité comme l'œuvre proprede l'intellect.

Or si du point de vue spéculatif la thèse est somme toute assez classique, toute son originalité tient àce que, pour la première fois semble-t-il, soient affirmées les conditions de possibilité d'une vérité proprementpratique.

Troisièmement, il semble que l'on puisse dire qu'au fond, plus que dans la spéculation qui relève d'unedimension quasi divine du connaître, c'est peut être du côté de la prudence, du côté de l'agir en sa dimensioncontingente risquée et imparfaite, qu'il faut chercher non pas l'excellence mais la condition propre de l'homme, là oùsa tâche est à la fois la plus difficile et la plus incertaine.

En effet, Aristote défend dans l'Ethique à Nicomaque, lathèse de la nécessaire dissociation de deux domaines que Platon, dans la lignée de Socrate, s'évertuait à penserensemble dans une unité indivisible : l'ordre de la spéculation et celui de la pratique.

Toute la question est alors decomprendre pourquoi la théorie socratique d'une vertu-science ou d'une science vertueuse devait être écartelée, decomprendre ce que peuvent être désormais les conditions d'un nouvel être-ensemble de ces deux exigences de laraison humaine, et enfin d'amener en pleine lumière le dévoilement de l'être, qui aux yeux d'Aristote a légitimé unetelle scission. I.

L'âme et la vertu : de “ Antérieurement nous avons indiqué...

” à “ ...à son œuvre propre ” L'antériorité dont il est question dès le début de cet extrait, doit nous renvoyer au chapitre 13 du Livre I, oùexplicitement Aristote propose une division de l'âme, qui de fait s'oppose à la célèbre division platonicienne [1] .

Orpuisque cette analyse est ici convoquée par la lettre même du texte, voyons rapidement quel était son objet.Aristote a admis dans l'âme une partie rationnelle et une partie irrationnelle.

Dans la partie irrationnelle, il a distinguéla partie qui est commune à tous les êtres vivants, celle par laquelle se comprennent la nutrition et l'accroissement,c'est-à-dire l'âme végétative ou sensitive, hors d'atteinte de la raison.

Mais il existe dans l'âme une autre partie, quiest également irrationnelle, c'est le désir (orexis) ou âme désirante qui sans être raisonnable en elle-même peut-êtreexhortée par la raison.

Ces deux parties de l'âme irrationnelle ont en puissance une vertu propre.

Or la notioncapitale d'arêtè que l'on traduit couramment par vertu, a chez Aristote un sens à la fois très précis et extrêmementlarge, qui dépasse la simple sphère de la morale, et que le concept de vertu rend assez mal, puisqu'il convoque unesorte de transcendance du bien toute teintée de platonisme, et qui en quelque sorte recouvre le mouvementd'immanence qui pour Aristote traverse tout le monde sublunaire.

Ainsi la vertu d'un être (hélas on voit mal commenttraduire autrement), c'est pour Aristote, l'excellence de l'accomplissement de sa fonction propre.

Ceci implique quetout être dans la nature ait une vertu qui lui soit propre, et qu'il réalise en tant qu'il développe ou non le degré deperfection qu'il peut atteindre.

En tant qu'excellence, la vertu est donc aussi la finalité d'un être, son achèvement,son telos, ce qui, du fait de son existence est appelé à se réaliser afin qu'il atteigne sa pleine et entière réalité.

Parexemple, la vertu de l'œil c'est la vue puisque c'est aussi sa fin.

La vertu humaine c'est l'activité conforme à laraison, qui est donc son excellence propre, c'est-à-dire aussi, là où est sa finalité, ce qui dès le Livre I définit leSouverain Bien, c'est-à-dire à la fois le bonheur (eudaimonia) et la pleine suffisance à soi (autarkeia). En ce qui concerne l'âme végétative ou sensitive, on comprend aisément que sa vertu propre puisse se comprendreen terme de fonction : le bon fonctionnement du corps eu égard à ses possibilités est sa vertu propre.

En ce quiconcerne la partie désirante de l'âme irrationnelle, sa vertu ou excellence réside dans sa capacité à se soumettreaux injonctions de la raison, par quoi un caractère peut se déterminer.

On comprend dès lors qu'Aristote puisseparler d'une vertu éthique, d'une vertu du caractère qui est la vertu comprise du point de vue du désir.

Cependant,dès le Livre II, Aristote distingue nettement deux niveaux de vertus, qui, sans être absolument indépendants,manifestent nettement que la vertu n'est authentiquement vertu que si elle est intelligence. Pour comprendre cette distinction, il faut maintenant suivre Aristote dans les distinctions qu'il opère au sein del'âme, en sa dimension rationnelle.

La partie rationnelle se divise également en deux, affirme notre extrait : lapremière de ces parties est définie comme étant celle par laquelle, “ ...

nous contemplons ces sortes d'êtres dontles principes ne peuvent être autrement qu'ils ne sont...

” [2] .

Cette partie de l'âme rationnelle, c'est la partieintuitive ou scientifique, to épistèmonikon.

Cette dénomination recouvre en fait plusieurs notions qui peuvent êtredistinguées, même si elles sont impensables les unes sans les autres, et même si souvent Aristote les emploie dans. »

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