Devoir de Philosophie

ARISTOTE: Les Idées de Platon

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

aristote
La plus importante question à poser, ce serait de demander quel concours apportent les Idées aux êtres sensibles, qu'il s'agisse des êtres éternels ou des êtres générables et corruptibles. En effet, elles ne sont pour ces êtres causes d'aucun mouvement, ni d'aucun changement. Elles ne sont plus d'aucun secours pour la science des autres êtres (elles n'en sont pas, en effet, la substance, sinon elles seraient en eux), ni pour expliquer leur existence, car elles ne sont du moins pas immanentes aux choses participantes; si elles étaient immanentes, peut-être sembleraient-elles causes des êtres, comme le blanc est cause de la blancheur dans l'être blanc, en entrant dans sa composition. Mais cet argument, qui a sa source dans Anaxagore, et que, plus tard, Eudoxe et certains philosophes ont repris, est par trop facile à ébranler, car il est aisé d'accumuler des objections insolubles contre une pareille doctrine. — D'ailleurs, les autres objets ne peuvent non plus provenir des Idées, en aucun des sens où l'on entend d'ordinaire cette expression de. — Quant à dire que les Idées sont des paradigmes et que les autres choses participent d'elles, c'est se payer de mots vides de sens et faire des métaphores poétiques. Où donc travaille-t-on en fixant les yeux sur les Idées? Il peut se faire, en effet, qu'il existe et devienne quelque être semblable à un autre être, sans pour autant se trouver modelé sur cet autre; ainsi Socrate existant ou non, il pourrait naître un homme semblable à Socrate; et il en serait évidemment ainsi, quand bien même il y aurait un Socrate éternel. En outre, on aura plusieurs paradigmes du même être, et, par suite, plusieurs Idées de cet être; par exemple, pour l'homme, ce sera l'Animal, le Bipède et, en même temps aussi, l'Homme en soi. De plus, ce ne sont pas seulement des êtres sensibles que les Idées seront paradigmes, mais aussi des Idées elles-mêmes, et, par exemple, le genre, en tant que genre, sera le paradigme des espèces contenues dans le genre; la même chose sera donc paradigme et image. Et puis, il semblerait impossible que la substance fût séparée de ce dont elle est substance; comment donc les Idées, qui sont les substances des choses, seraient-elles séparées des choses? — Dans le Phédon, il est dit que les causes de l'être et du devenir sont les Idées. Pourtant, même en admettant l'existence des Idées, les êtres participants ne sont pas engendrés sans l'intervention de la cause motrice. Métaphysique, A, 991a9-991b5. Traduction J. Tricot, Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1974.
aristote

« fixe dans la nature mouvante et changeante des êtres générables et corruptibles, de tout ce qui naît et périt).Ici, il s'agit de se référer aux Idées en tant qu'origine, source génératrice de ces mêmes êtres sensibles (ce quiimplique qu'elles aient la capacité de les engendrer).

Ici et là, il s'agit bien (ce qui unifie d'une certaine façon ladouble fonction des Idées) d'expliquer les choses : de faire sortir leur existence sensible aussi bien que leuressence intelligible d'une réalité supérieure qui les précède. S'il y a difficulté, elle ne paraît pas résider dans le rapport de causalité qui s'établit ainsi entre l'immatérialité des Idées et la matérialité des êtres sensibles.

Elle apparaît plutôt, et plus radicalement, avec la nécessité de situer les unes et les autres dans un espace commun qui permette de les lier — mais lequel? Et la logique, ici, impose son droit: de deux choses l'une, ou bien les Idées sont hors des êtres sensibles, séparées d'eux, ou bien elles sont en eux, immanentes.

Mais dans le premier cas : comment les Idées, immobiles et éternelles en soi, peuvent-elles produirehors de soi du mouvement et du changement? Ceux-ci ne sauraient en provenir, comme un homme provient d'unhomme, ou un lit de sa forme projetée, de sa matière (le bois) et de l'outil du menuisier...

Et dans le deuxième cas : entrant dans la composition des êtres sensibles, mélangées avec leur matière, comment les Idées, par exemple, nepériraient pas avec eux? Devenues corruptibles, seraient-elles encore Idées? On voit bien comment s'étayentmutuellement, pour rendre chaque supposition impensable, la rigueur d'une nécessité conditionnelle (si a, alors b) etl'impératif de la non-contradiction (dont Aristote a fait la clef de voûte de la science, plus fondamentalement encore: du discours, de la communication et de la communauté de pensée). Quant au paradigmatisme et à la participation (celle-là même qui permet de nommer choses participantes les êtres sensibles), la sévérité d'Aristote s'exprime dans une formule mémorable : « mots vides de sens », aumieux « métaphores poétiques », c'est assez dire que les notions centrales de la théorie platonicienne neconstituent aucun savoir de l'essence singulière (ou encore : de la substance) des « existants ».

Rappelons en quoi, pour Platon, les Idées sont des paradigmes : ce terme signifie « modèle », et il faut donc entendre lesIdées comme des formes exemplaires dont les êtres sensibles seraient les copies, fabriquées par un artisan (un « démiurge ») qui aurait les yeux fixés sur I'« original » 5.

Et dire que les choses sensibles participent des Idées, c'est soutenir que la substance des premières tient quelque chose d'essentiel (par quoi elles sont connaissables) de l'essence des secondes, par l'effet même de l'acte de reproduction.

Par ce biais, et grâce àla participation réciproque des « genres de l'Être « dont Le Sophiste a fait la théorie, Platon pensait résoudre la difficulté majeure (qui heurte si fortement l'impératif de la non-contradiction) : les êtres sensibles sont autre chose que les Idées qui en sont séparées (comme le modèle de la copie), et tout à la fois elles sont la même chose qu'elles (par la ressemblance reproduite).

Or, cet aspect si fondamental du platonisme, Aristote le défait par l'effet conjugué de quatre observations critiques : La similitude ne prouve pas qu'il y ait reproduction; toutes sortes de ressemblances peuvent se produire par leseul fait du hasard — argument qui porte sur la « facture » des choses participantes. a. Argument qui vise maintenant la « structure » de la participation elle-même : la pluralité des aspects d'unechose ne peut que signifier une pluralité de participations d'une pluralité d'Idées distinctes, dont certaines nepeuvent pas ne pas englober certaines autres (comme le genre englobe l'espèce, et celle-ci l'individu).

Mais ilarrivera de la sorte que l'Homme en soi soit le paradigme de l'homme-être sensible, et en même temps l'imagede l'Animal en soi; donc qu'une Idée, « identiquement » image et paradigme, ne soit plus qu'une contradiction en soi... b. Plus grave encore : la condition de possibilité de la science des choses existantes, la séparation qui conditionne la participation, est également contradictoire : elle implique que ce par quoi « une » chose est une (sa substance) ne fait pas un avec elle... c. Enfin : comment se passer d'une cause motrice, ce que ne sauraient être les Idées, pour passer de leurimmobilité/immuabilité au mouvement et au changement des êtres sensibles? On entrevoit ainsi la tâche qui incombe à Aristote, s'il s'agit de sortir de ces contradictions qui rendent incohérentela cohérence propre du platonisme.

Pour renouveler de façon conséquente la pensée de l'Être et la doctrine de lascience, il importe d'élaborer une autre théorie de la causalité (où il convient de faire à la notion de moteur, à côté de la fin, de la forme et de la matière, toute la place qui lui revient en fait et en droit) et, conjointement, dumouvement (Aristote la développera sur la base de la distinction de l'acte et de la puissance) .

Mais encore : uneautre théorie de la substance individuelle (où le dualisme de la Matière et de la Forme puisse se résoudre autrementque celui du Sensible et de l'Intelligible chez Platon) .

Et c'est bien par ces nécessités théoriques que laMétaphysique s'impose, pour toute philosophie à venir, comme une entreprise de philosophie première.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles