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Aristote: Le mythe du Protagoras

Publié le 13/04/2005

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aristote
Ce n'est pas parce qu'il a des mains que l'homme est le plus intelligent des êtres, mais c'est parce qu'il est le plus intelligent qu'il a des mains. En effet, l'être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d'outils : or, la main semble bien être non pas un outil, mais plusieurs. Car elle est pour ainsi dire un outil qui tient lieu des autres. C'est donc à l'être capable d'acquérir le plus grand nombre de techniques que la nature a donné l'outil de loin le plus utile, la main. Aussi, ceux qui disent que l'homme n'est pas bien constitué et qu'il est le moins bien partagé des animaux (parce que, dit-on, il est sans chaussures, il est nu et n'a pas d'armes pour combattre), sont dans l'erreur. Car les autres animaux n'ont chacun qu'un seul moyen de défense et il ne leur est pas possible de le changer pour un autre, mais ils sont forcés, pour ainsi dire, de garder leurs chaussures pour dormir et pour faire n'importe quoi d'autre, et ne doivent jamais déposer l'armure qu'ils ont autour de leur corps ni changer l'arme qu'ils ont reçue en partage. L'homme, au contraire, possède de nombreux moyens de défense, et il lui est toujours loisible d'en changer et même d'avoir l'arme qu'il veut et quand il le veut. Car la main devient griffe, serre, corne, ou lance ou épée ou toute autre arme ou outil. Elle peut être tout cela, parce qu'elle est capable de tout saisir et de tout tenir. Aristote
• Tant pis si Epiméthée, dieu imprévoyant, étourdi, n'a rien distribué à l'homme pour survivre, alors qu'il donnait griffe, serre, corne aux différents animaux. Son frère Prométhée sauva la situation : il donna aux hommes le feu, c'est-à-dire les techniques. Et puisque l'homme était le plus intelligent de tous les vivants, il sut admirablement user de cet organe prodigieux : la main. • Organon signifie outil en grec. La main est le premier outil de l'homme grâce auquel il en fabriqua de multiples, grâce auquel il survécut et devint maître de la nature. • Cette prolifération de techniques qui permit à l'homme d'évoluer, n'a-t-elle pas une contrepartie ?
  • Le texte, au début du second paragraphe, fait allusion au récit mythologique de la naissance de l'espèce humaine, sous les auspices de Prométhée. Cette légende grecque est reprise par Platon (428-348 av. J.-C.) dans un de ses dialogues (Protagoras) et attribuée, par celui-ci, au sophiste Protagoras. Aristote conteste ici le bien-fondé de ce mythe qui attribue une origine non naturelle à l'intelligence technicienne de l'homme.

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« Mais en tant qu'elle lui ôte la peine de faire les choses lui-même, ne finit-elle pas par le rendre dépendant ? Eten tant qu'elle concentre sa réflexion sur les moyens, ne finit-elle pas par lui faire oublier les fins de saconduite ?La technique est-elle un révélateur de l'intelligence humaine, ou bien un facteur d'aliénation et de dépossessionde sa créativité ? [I.

La technique est révélatrice de l'intelligence humaine] [1.

L'intelligence comme fondement de la technique] Comprise comme un ensemble de moyens permettant de réaliser un but utile, la technique est révélatrice d'uneintelligence qui n'est peut-être pas l'apanage de l'homme mais désigne au sens large la capacité d'adapter saconduite à une situation donnée.

C'est la thèse de Leroi-Gourhan :La notion même d'outil exige d'être reprise à partir du monde animal.

Car l'action technique est présente aussibien chez les invertébrés que chez l'homme, et on ne saurait la limiter aux seules productions artificielles dontnous avons le privilège.

» (Le Geste et la Parole.) La seule différence est que, chez l'animal, l'outil et le gestese confondent en un seul organe.

La pince du crabe et ses pièces mandibulaires, par exemple, « se confondentavec le programme opératoire à travers lequel se traduit le comportement d'acquisition alimentaire de l'animal »(ibid.). [2.

Intelligence humaine et technique]Mais précisément parce que l'outil et le geste s'y confondent en un seul organe, l'intelligence chez l'animaln'est pas complète.

Qu'est-ce en effet que l'intelligence ? C'est la capacité d'innover et d'inventer desréponses adaptées au différentes situations.

Or le crabe peut-il utiliser ses pinces à d'autres fins que celles desaisir et de couper ? Il faut donc revenir à la thèse d'Aristote, selon laquelle l'intelligence est révélée par lacapacité à acquérir et utiliser le plus grand nombre de techniques possibles.

C'est l'apanage de l'Homo faber : «L'intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer des objetsartificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d'en varier indéfiniment la fabrication.

» (Bergson, LÉvolution créatrice.) La technique est bien révélatrice d'une intelligence spécifiquement humaine.

Mais enenvironnant l'homme d'objets et d'outils à faire des outils toujours plus perfectionnés, la technique ne finit-ellepas par aliéner l'homme et par se retourner contre ce qu'elle prétend révéler et servir : l'intelligence ? [Il.

La technique non maîtrisée aliène l'intelligence humaine] [1.

L'aliénation de l'homme par la technique] La technique permet à l'homme d'économiser sa peine et son énergie : un robot mixeur lui évite d'avoir àécraser lui-même ses légumes ou ses fruits.

En lui apportant un confort indéniable et appréciable, elle le rendcependant dépendant des objets et outils qui l'environnent.

Sans eux, il devient incapable de faire face auxsituations de la vie auxquelles ces techniques sont censées répondre : comment faire sans téléphone, sansvoiture ou sans ordinateur ? Or cette dépendance envers les choses est le contraire de l'intelligence, puisquel'homme devient incapable d'innover et de créer sans elles. [2.

L' "oubli" des fins dans la technique] La technique concentre en outre l'attention et l'énergie de l'homme sur les moyens et non sur les fins.

Il essaiede parvenir à faire quelque chose, mais ne se demande pas (toujours) si le but qu'il se propose est raisonnableou bon.

Kant parle à cet égard d'« impératif de l'habileté » dans les Fondements de la métaphysique desmoeurs, et Jacques Ellul va jusqu'à soutenir que lapréoccupation des moyens supplante l'intérêt pour la fin : « La puissance et l'autonomie de la technique sont sibien assurées que, maintenant, elle se transforme à son tour en juge de la morale : une proposition morale nesera considérée comme valable pour ce temps que si elle peut entrer dans le système technique, si elles'accorde avec lui » (Le Système technicien). [3.

Création technique et utilisation de la technique] La solution de cette perversion consiste peut-être à bien distinguer la technique proprement dite, qui n'est enelle-même ni bonne ni mauvaise et témoigne dans tous les cas d'une créativité, et son utilisation, qui révèleune deuxième forme d'intelligence, à connotation éthique.

En ce sens « L'observation de la civilisationtechnicienne, malgré tant de misères physiques et morales, d'échecs et de dangers terrifiants, conduit à direrésolument : Oui ! à la technique, mais à la technique dominée par l'homme » (Friedmann, « La grande aventure», in Sept Études sur l'homme et la technique). [Conclusion] La technique est bien révélatrice de l'intelligence humaine, en un double sens.

D'une part, elle témoigne de lacapacité humaine à créer et à innover en fonction des situations et des attentes.

D'autre part, elle ouvre lavoie de la responsabilité quant à l'usage des inventions.

La création et la réflexion sur les moyens ne doivent. »

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