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Aristote: Nécessité des lois

Publié le 13/04/2005

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aristote
L'homme qui vit selon ses passions ne peut guère écouter ni comprendre les raisonnements qui cherchent à l'en détourner. Comment serait-il possible de changer les dispositions d'un homme de cette sorte : Somme toute, le sentiment ne cède pas, semble-t-il, à la raison, mais à la contrainte. Il faut donc disposer d'abord d'un caractère propre en quelque sorte à la vertu, aimant ce qui est beau, haïssant ce qui est honteux; aussi est-il difficile de recevoir, dès la jeunesse, une saine éducation incitant à la vertu, si l'on n'a pas été nourri sous de telles lois, car la foule, et principalement les jeunes gens, ne trouvent aucun agrément à vivre avec tempérance et fermeté. Aussi les lois doivent-elles fixer les règles de l'éducation et les occupations, qui seront plus facilement supportées en devenant habituelles. A coup sûr, il ne suffit pas que, pendant leur jeunesse, on dispense aux citoyens une éducation et des soins convenables; il faut aussi que, parvenus à l'âge d'homme, ils pratiquent ce qu'on leur a enseigné et en tirent de bonnes habitudes. Tant à ce point de vue que pour la vie entière en général, nous avons besoin de lois. La foule en effet obéit à la nécessité plus qu'à la raison et aux châtiments plus qu'à l'honneur. Aristote
aristote

« haïr et fuir ce qui est moralement «honteux», laid.

On notera ici un sentir, une esthétique des valeurs morales,comme si la vertu s'enracinait dans une sensibilité différentielle et préférentielle, très tôt à modeler et à affiner,comme si toute «vertu », toute excellence d'accomplissement des fonctions qui nous sont propres, avait son originedans notre sensibilité spécifiquement humaine.Mais cette «saine éducation», celle qui accomplit droitement les potentialités humaines en imprimant de droiteshabitudes, a des conditions institutionnelles : il faut que les lois, par la contrainte, imposent et règlent cecomportement droit, car il est rare qu'il soit spontanément adopté.

Loin que «la foule » et la masse des jeunesplacent bien, d'eux-mêmes, leur sentiments et leur passions, c'est au contraire le laisser-aller, l'inconstance, lavelléité, la mollesse qui sont recherchés comme agréables, et non la mesure tempérante et la volonté ferme quidemandent travail et effort, toutes choses qu'une jeunesse livrée à elle-même fuit.C'est donc bien parce que la spontanéité dispose à l'intempérance, puis enracine le vice, que la contrainte etl'autorité doivent modeler le jeune à de droites façons de sentir et d'agir.

Mais l'autorité privée est loin de suffiretoujours : les prescriptions, pour être efficaces, doivent avoir force de loi et puissance coercitive.

L'éducation doitdonc être principalement l'affaire de l'autorité publique et de l'État.

C'est au législateur, qu'on suppose savant enpsychologie morale, que doit revenir la tâche de régler les «occupations» de la jeunesse pour la disposercorrectement à l'égard des affections de plaisir et de peine.

En effet, comme c'est à force d'agir droitement qu'ondevient droit, les activités enracinent les dispositions correspondantes, d'une manière d'abord habituelle, sansréflexion ni choix délibéré.

Mais avant que les règles soient intériorisées, l'automatisme et la manière d'agir créés parla répétition rendent supportable une manière d'être qui d'abord répugne au jeune.

Faute d'être déjà vertueux, fautede savoir ce qu'il fait, le jeune doit se voir imposer ce qu'il ne peut encore comprendre ni choisir de lui-même.Comme on l'a vu, seule la contrainte d'État peut, sans faille, imposer et régler un mode de vie rendant possiblel'acquisition de la vertu.

Mais a-t-on jamais fini d'éduquer? Peut-on considérer que la manière droite de sentir etd'agir peut être définitivement acquise? La contrainte des lois ne doit jamais se relâcher, car la vertu est difficile à maintenir, et même à acquérir, pour laplupart.Pour nécessaire qu'elle soit, la droite éducation de la jeunesse à la citoyenneté et à la moralité n'est pas suffisante.Il ne faut pas cesser, adulte, de mettre en pratique les règles éducatives apprises, car la moindre concession à laspontanéité déréglée fait retomber aux dispositions mauvaises.

Il faut comprendre que les lois de la Cité doiventdonc être aux adultes ce que les lois éducatives sont aux jeunes : une «saine» contrainte à la rectitude, d'autantplus «supportée» qu'elle est restée habituelle.

Y aurait-il ainsi des adultes demeurés comme de grands enfantsn'entendant pas raison?Peu d'adultes sont en effet capables de l'excellence de la vertu, peu sont capables d'obéissance délibérée etvolontaire à ce qui est le meilleur pour un humain accompli.

Ainsi beaucoup retombent dans l'intempérance dès lue lacontrainte se relâche.

C'est dire que la plupart des adultes demeure enfants, à tel point qu'il faut continuer à leurimposer ce qu'il ne peuvent pas encore - ou déjà plus ? - comprendre.

Pessimisme d'Aristote ou réalisme lucide ?C'est en tout cas en fonction de cet infantilisme de «la foule» que le logos politique doit encore parler le langage dela passion.

La dernière phrase fait écho à l'une des premières : «le sentiment ne cède pas...

à la raison, mais à lacontrainte ».

Pour la foule des insensés, la «nécessité» d'un automatisme imposé et subi devra tenir de libre choixéclairé par la raison.

De même, la peur du châtiment tiendra lieu d'amour de la vertu.

Mais n'est-ce pas làreconnaître l'échec d'un État qui prétend légiférer en matière de moralité et éduquer à la vertu par automatisme etcontrainte ? Que penser d'un État qui légifère sur l'éducation, impose les occupations et le genre de vie vertueux? Cetautomatisme contraint peut-il même préparer à la liberté d'autonomie ?Qui énoncera les lois sur l'éducation? Sûrement pas des membres de la «foule» soumise à leur seule affectivité.

C'estle savoir en matière d'âme et de vertu qui légitimera le pouvoir de légiférer.

Aristote perpétue ici la traditionplatonicienne : le législateur doit être un homme parfait, qui sait voir ce qu'est le juste pour l'âme et pour la Cité.Mais ne s'agit-il pas là d'un despotisme, même éclairé, puisqu'un homme se trouve au-dessus des autres hommes etau-dessus des lois? N'y a-t-il pas aussi un risque de totalitarisme, si l'État régit non seulement la sphère publique,ce qui est légitime, mais aussi la sphère privée des sentiments, des occupations, de l'éducation morale? Pourlégitimer un tel pouvoir d'État, il faudrait à tout le moins avoir la certitude qu'il est éclairé, et qu'il existe des valeurspouvant être objet de science.

Rien n'est moins sûr, et, comme le remarque Hannah Arendt, croire découvrir lavérité de l'être humain et l'imposer à la «foule», c'est bien refuser la politique au sens démocratique du terme.

Lapolitique démocratique ne relève pas du savoir et de la vérité, mais de la liberté et de décisions contractuellespassées entre des êtres libres, des citoyens participant de la souveraineté du peuple.On peut aussi douter que s'habituer à se soumettre à des ordres contraignants prépare à entendre raison.

Lacontrainte civile, en effet, ne requiert que la conformité extérieure à la Loi.

Peu importe que l'on obéisse par crainteou par raison.

L'obligation morale, au contraire, est obéissance volontaire à la loi de raison que l'on s'est soi-mêmeprescrite.

Comme le montre Kant, ce n'est pas la même chose que d'agir conformément au devoir sous la contrainte,et d'agir par devoir.

Au mieux, l'État, si ses lois sont rationnelles, me permet d'obéir par raison à une loi de raison,mais ce n'est pas lui qui me rend vertueux.

On ne peut attendre la vertu que d'une disposition intérieure de lavolonté, et non de la contrainte ou de circonstances extérieures : ma vraie liberté, la liberté morale, ne peut mevenir que de moi-même.

La discipline, toute négative, peut bien me «dresser» en me délivrant de l'emprise despassions, elle ne m'éduque pas encore positivement : un homme dompté qui ne se gouvernerait pas lui-même seraitune machine.

C'est pourquoi la contrainte, nécessaire au début, ne doit pas s'éterniser, car elle doit accepter lesrisques d'un apprentissage de l'autonomie.

En démocratie, mieux vaut sans doute les errances de l'opinion qu'une. »

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