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Publié le 22/02/2012

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1er janvier 1997 - La France a créé l'événement en annonçant, le 27 décembre 1996, à l'encontre des voeux déclarés des Etats-Unis, qu'elle ne participerait pas à la nouvelle force de surveillance aérienne au nord du 36e parallèle, dans le Kurdistan d'Irak, qui remplacera le 1er janvier l'opération "Provide Comfort". La raison en est que "le volet humanitaire initialement prévu ne figure pas dans ce nouveau dispositif", à l'élaboration duquel la France n'a pas participé, a précisé le ministère des affaires étrangères. Même si les questions humanitaires sont le dernier des soucis du régime irakien, la décision française ne peut que ravir ce dernier, qui, la veille encore, critiquait sans ménagement la Turquie, pour avoir accepté que son territoire continue de servir de base de départ aux avions occidentaux chargés de surveiller la partie nord de son territoire. Bagdad a toujours considéré que les zones d'exclusion qui lui ont été imposées, dans le nord (chez les Kurdes) et dans le sud (en majorité chiite) de son territoire, étaient une atteinte à sa souveraineté. Bien que Paris ait pris la peine de préciser que sa décision "ne modifie en rien la poursuite de l'opération ``Southern Watch`` [de surveillance du sud de l'Irak pour assurer la protection de l'Arabie saoudite et du Koweït], et la participation de la France (...) à ce dispositif", l'initiative qu'elle vient de prendre ouvre une première faille dans la coalition multinationale qui s'était tissée il y a six ans contre le régime de Saddam Hussein. Reste à savoir si la responsabilité devrait en être imputée à la France ou aux Etats-Unis, qui, systématiquement soutenus par la Grande-Bretagne, modifient pratiquement à leur convenance les termes des résolutions des Nations unies au gré des circonstances. Le ministère français des affaires étrangères ne s'est du reste pas privé de souligner que la décision de mettre fin à "Provide Comfort" a été prise "en commun par les gouvernements turc et américain", et que celle de mettre en oeuvre "un nouveau dispositif de surveillance du nord de l'Irak exclusivement aérien", a été décidée par Ankara et Washington, "avec la participation du Royaume-Uni". L'argument invoqué par Paris a sa cohérence : "Provide Comfort" a été mis en route en vertu d'une interprétation de la résolution 688 du Conseil de sécurité de l'ONU d'avril 1991. Résolution à caractère strictement humanitaire dont François Mitterrand et Bernard Kouchner avaient pratiquement été à l'origine, au nom du droit d'ingérence humanitaire et qui ne prévoit nulle part une quelconque intervention militaire aérienne ou terrestre sur le sol irakien. Le texte "condamne la répression des populations civiles irakiennes", "exige que l'Irak (...) mette fin sans délai à cette répression", "insiste pour que l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance". Paris a affirmé, vendredi, son "attachement à l'application" de cette résolution. Déjà Paris, à la différence de Londres, avait refusé, en septembre, de suivre une décision unilatérale de Washington d'étendre du 32e au 33e parallèle la zone d'exclusion aérienne imposée à l'Irak au sud de son territoire. Les Etats-Unis avaient pris cette initiative après l'intervention des forces de Saddam Hussein aux côtés du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dans le nord du pays. Les appareils français continuent, depuis, à patrouiller jusqu'au seul 32e parallèle. De la même manière, Paris continue d'estimer que la levée de l'embargo pétrolier imposé, entre autres sanctions, à Bagdad en août 1990, est tributaire du seul désarmement total de l'Irak, comme le prévoit le paragraphe 22 de la résolution 687 sur le cessez-le-feu. Washington et Londres lient cette levée au respect par Bagdad des droits de l'homme. En clair, la ligne suivie par la France est celle que Jacques Chirac a clairement énoncée le 24 octobre devant le Parlement jordanien : "La voie à suivre [à propos de l'Irak], a dit le président de la République, est tracée. Elle passe par la mise en oeuvre de toutes les résolutions du Conseil de sécurité et elles seules." Cela s'applique à l'Irak, que la France a invitée, vendredi, à respecter "intégralement" ses obligations. Mais cela s'applique aussi à la communauté internationale. Auquel cas, Paris devrait mener cette logique à son terme et renoncer aussi à la surveillance du sud de l'Irak, dans la mesure où celle-ci n'est dictée par aucune résolution des Nations unies. La surveillance du nord de l'Irak ne les concernant pas vraiment, les pays arabes ne devraient pas s'offusquer de l'initiative française. Celle-ci n'en soulève pas moins des interrogations sur les intentions ultérieures de la France et ses arrière-pensées politiques. Paris ne chercherait-il pas à prendre une place de premier plan dans la perspective d'une réhabilitation, à plus ou moins long terme, de l'Irak ? Le Quai d'Orsay a affirmé, vendredi, que Paris continuerait d'apporter une aide humanitaire aux populations civiles du nord de l'Irak. Cela devrait se faire, comme c'est le cas aujourd'hui, par une contribution au programme humanitaire "Echo" de l'Union européenne. Mais la question est posée de savoir si les organisations non gouvernementales (ONG) qui émargent au programme "Echo" pourront continuer d'opérer dans le Kurdistan, et dans quelles conditions. La résolution 986 de l'ONU, connue sous l'appellation "Pétrole contre nourriture", confie aux Nations unies la distribution de l'aide humanitaire aux populations civiles dans le Kurdistan irakien. Mais les agences humanitaires de l'ONU ne peuvent répondre seules à tous les aspects de "l'humanitaire", ce qui rend la présence des ONG indispensable. Jusqu'à présent, elles passaient par le territoire turc. Devront-elles passer sous les fourches caudines de Bagdad ? MOUNA NAIM Le Monde du 30 décembre 1996

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