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Article de presse: La chute de Romano Prodi

Publié le 22/02/2012

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9 octobre 1997 - " La crise la plus folle du monde " , selon l'expression de Romano Prodi, a finalement contraint le chef du gouvernement italien à remettre sa démission, jeudi 9 octobre. Dès vendredi, le président de la République, Oscar Luigi Scalfaro, devait commencer ses consultations. Parmi les hypothèses envisagées, deux seules semblent retenir l'attention. Soit la formation d'un cabinet de techniciens qui pourrait être présidé par l'actuel ministre du Trésor, le très respecté Carlo Azeglio Ciampi, voire par Mario Monti, commissaire européen. Cette solution permettrait de faire adopter le prochain budget et de mener à l'échéance de la monnaie unique sans compromettre les chances de l'Italie. Soit des élections générales anticipées rapides dans l'espoir de trouver une majorité stable. La décision n'appartient qu'au chef de l'Etat, qui devait terminer ses consultations mardi. Massimo D'Alema, secrétaire du PDS (Parti démocratique de la gauche), principale formation de l'ancienne majorité, n'a jamais caché sa préférence pour un scrutin immédiat censé permettre à la gauche d'engranger les bénéfices du redressement de l'Italie et peut-être d'obtenir pour la coalition de L'Olivier une majorité solide sans l'appui des communistes. A droite, Silvio Berlusconi souhaite un gouvernement pour l'Europe, sorte de regroupement tactique des principales forces, afin de préparer l'entrée dans l'euro. Cette solution bâtarde n'a cependant guère de chances de voir le jour. En attendant, le gouvernement de Romano Prodi continuera d'expédier les affaires courantes. Après un peu plus de cinq cents jours, le gouvernement de centre-gauche a vécu. Fin " amère " selon Massimo D'Alema pour qui, c'est " un jour de douleur " après une expérience unique dans l'histoire de l'Italie moderne. Non seulement la gauche était au pouvoir pour la première fois, mais l'évolution vers le bipolarisme, à la suite de la réforme du mode de scrutin, avait montré le chemin d'une certaine stabilité. Amer, Romano Prodi l'est aussi. " Il Professore " n'a pu mener jusqu'à son terme son principal objectif, celui de redonner une place respectable à l'Italie en Europe et sur la scène internationale. Ce technicien tenté par la politique a été contraint de rendre les armes, alors que le but était en vue. Serein, il a quitté le palais Chigi sans montrer aucun ressentiment et convaincu d'avoir fait le maximum pour trouver un compromis. Impuissance divine Après deux jours de tractations, de rumeurs, d'espoirs, le président du conseil est revenu devant les députés, jeudi à midi, pour expliquer quelles étaient ses nouvelles propositions, afin d'essayer de donner satisfaction aux revendications de Rifondazione comunista. Un bout de chemin a été accompli sur les trente-cinq heures, la création de l'emploi, les privatisations, l'école, la réforme du système de retraites. " J'ai personnellement, ainsi que mes collègues, le sentiment d'avoir bien interprété la volonté profonde du pays et du Parlement en agissant comme nous avons agi au cours des derniers mois " , a expliqué gravement Romano Prodi. " Nous voulons continuer sur cette route. Cette route n'est pas seulement l'objectif européen. Nous voulons maintenir fermement les principes d'équité, de justice sociale et de sauvegarde des classes les plus défavorisées qui jusqu'à présent nous ont inspirés " , a insisté le chef du gouvernement. Peine perdue ! Le " non " de l'allié communiste a été retentissant, dur dans la bouche d'Oliviero Diliberto, président du groupe parlementaire communiste. " Vous n'avez pas voulu du compromis. On a obtenu des paroles courtoises, mais seulement des paroles. " Les néocommunistes ont reproché à Romano Prodi d'avoir changer de ligne politique puisque désormais il avait le soutien de Confindustria, l'organisation patronale. Oliviero Diliberto a également tancé le gouvernement pour ne pas avoir recherché un accord préalable sur le projet de budget, de ne pas avoir voulu rediscuter certains points, d'avoir agi avec " arrogance et légèreté " . " Aucun des deux choix que nous avions proposés n'a été retenu " , a déploré Fausto Bertinotti, le chef du parti. Le dirigeant communiste a refusé d'endosser la responsabilité de la fracture au sein de la gauche en estimant qu'elle incombait à ceux qui avaient refusé les propositions destinées à défendre " les plus pauvres " . Même Dieu, invoqué la semaine dernière, par Fausto Bertinotti n'a pu recoller les morceaux entre les deux gauches. Les divergences étaient inscrites dès le départ, car les programmes étaient différents et les objectifs non concordants. La séparation a été frôlée à plusieurs reprises notamment à propos de l'envoi des troupes italiennes en Albanie. Si un nouvel accord avait finalement été trouvé, combien de temps aurait-il tenu ? Les deux camps vont se jeter à la figure la responsabilité de la crise au cours des prochaines semaines. Qui est le véritable traître, celui qui a mis fin à l'aventure ? " Rifondazione a provoqué la crise pour son seul profit dont je ne pourrai pas dire sur quoi il est fondé " , a estimé le vice-président (PDS) du gouvernement, Walter Veltroni. Cela signifie-t-il " la fin de la gauche italienne " , comme le pense le philosophe et écrivain Norberto Bobbio ? L'expérience a en tout cas tourné court. Avec elle, tout un chantier patiemment élaboré risque d'être compromis ou, pour le moins, sérieusement retardé. Les réformes entreprises dans l'enseignement, l'immigration, l'armée, l'administration, les institutions pourront-elles être encore menées à terme ? Tout dépend de la façon dont la crise sera résolue. Les optimistes font valoir que les acquis demeurent. Les pessimistes évoquent le gâchis des possibilités perdues. Au demeurant, il reste que tous ceux qui pensaient que l'Italie en avait pratiquement fini avec la valse des gouvernements (cinquante-quatre depuis 1945) en sont pour leurs frais. Celui de Romano Prodi aura été l'un des plus durables. Une consolation ! MICHEL BOLE-RICHARD Le Monde du 11 octobre 1997

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