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Article de presse: Khomeiny, l'exilé de Neauphle-le-Château

Publié le 22/02/2012

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1er février 1979 - Quelques jours avant son retour a Téhéran, Paul Balta présente cet homme, exilé en France à Neauphle-le-château dont la popularité ne fait alors que grandir dans le monde arabo-musulman. Né en 1900 dans la province de Khomein, Ruhollah-c'est son prénom, qui signifie " âme de Dieu " -appartient à une famille de religieux. Son grand-père maternel, l'imam Mirza Ahmad, et son père, Mostafa Moussavi, étaient des ayatollahs, de même que son frère aîné. Il sera marqué par le milieu familial sur le triple plan politique, religieux et social. Chef de la communauté de Khomein, son père, qui disposait aussi du pouvoir exécutif, a participé à la lutte contre le régime de l'époque jusqu'à ce qu'il soit assassiné par les hommes de main d'un féodal, quelques mois après la naissance du petit Ruhollah. Ce dernier est élevé par sa mère, mais surtout par sa tante paternelle, femme forte qui fera poursuivre avec acharnement l'assassin jusqu'à ce qu'il soit pris et exécuté. Elle apprendra à l'enfant qu'on ne réalise pas sur terre les principes de l'islam en faisant des discours, mais en combattant ceux qui s'y opposent. Sa jeunesse est également marquée par le mouvement populaire qui, après avoir imposé au chah la Constitution de 1906, poursuivra sa lutte, sous la direction du plus vénérable des ulémas de l'époque, le " grand Modarès ", contre la mainmise britannique sur le pays et contre Reza Khan. Celui-ci fondera en effet, en 1925, la dynastie Pahlavi après avoir renversé celle des Kadjars, au lieu de proclamer la République, souhaitée par la majorité du peuple. Ruhollah, qui a perdu, à l'âge de quinze ans, sa mère et sa tante, poursuit ses études chez son frère aîné, l'ayatollah Passadideh, puis se rend à Ispahan, Arak et Qom, où il devient un des ulémas importants de la faculté de théologie. Il a vingt-sept ans quand il commence à enseigner la philosophie. Ses cours seront des plus recherchés, car il apparaît comme un des rares héritiers de la tradition selon laquelle l'homme doit être considéré dans sa globalité. Selon un de ses disciples, Saïd Mohamed Mossavi Khovein, la vénération dont fait l'objet l'ayatollah ne tient pas seulement à sa science et à son rôle politique mais aussi à sa " dimension morale ". Partisan du djihad (le sens premier de ce terme, généralement traduit par " guerre sainte ", est la lutte contre soi-même), il s'impose, jusque dans les détails, une stricte discipline dans la vie quotidienne et a une intense activité spirituelle. " Il est un exemple pour tous, et même ses pires ennemis n'ont jamais pu le contester ", dit-on en Iran. Conformément à la tradition islamique et plus particulièrement chiite, pour l'ayatollah Khomeiny, religion et politique sont inséparables. Le chiisme, qui, dès l'origine, a posé le problème du pouvoir, est fondé sur deux grands principes: l' " imamat " (fonction de l'imam) et la justice. La participation de tous ses membres à la gestion de la communauté étant un devoir, le rôle de l'imam (religieux) est d'en être le coordonnateur. La défense de la justice doit le guider pour assurer l'égalité des chances à chacun et défendre l'opprimé contre l'oppresseur, que celui-ci soit un simple particulier, un monarque ou un pays étranger. C'est pourquoi il dénonce déjà, dans un livre paru en 1941, le père de l'actuel souverain. " Les ordres de l'Etat dictatorial de Reza Khan, le trafiquant, n'ont aucune valeur. " Dès cette époque, trois thèmes vont dominer ses interventions: la liberté, l'indépendance, le refus de la domination étrangère. Son argumentation est la suivante: le pays est en danger parce que le régime du chah, qui représente le " mal absolu " et est " l'instrument des puissances dominantes ", le prive de la liberté et de l'indépendance. Par la suite, il dénoncera dans divers écrits l'Etat d'Israël, " instrument des grandes puissances et menace permanente pour l'Iran et le monde musulman ", ainsi que " l'axe Washington-Tel-Aviv-Téhéran ". L'ayatollah Khomeiny suit avec intérêt la nationalisation du pétrole par Mossadegh, mais aussi avec un relatif scepticisme. Son renversement, en 1953, à la suite d'un complot de la CIA, ne le surprend pas. Il s'oppose donc au mot d'ordre lancé entre 1959 et 1962 par le Front national : " oui aux réformes, non au despotisme ", en expliquant que " les réformes sont impossibles sans indépendance " et que celle-ci " sera un leurre tant que la dynastie régnera ". Il s'élève vigoureusement contre la politique du régime dans les domaines politique, économique, social et culturel, et, en 1962, à la mort de l'ayatollah Kashani, il devient le chef de la communauté chiite. Avant de le faire arrêter, le 3 juin 1963, le chah dépêche un émissaire lui dire: " Tu peux parler de tout sauf des trois points " (liberté, indépendance, domination étrangère). Il fait répondre: " Mais, alors, de quoi parlerai-je? ", et se retrouve en détention à la caserne Ichratabad, près de Téhéran. Libéré en 1964, il regagne Qom, où il prononce un discours dans lequel il interpelle le souverain: " Comment voulez-vous moderniser l'Iran si vous faites emprisonner et tuer les intellectuels? " Cela lui vaut d'être envoyé en exil en Turquie. Puis il se retrouve dans la ville sainte de Nejef, en Irak, où il demeure jusqu'en octobre 1978. PAUL BALTA Le Monde du 19 janvier 1979

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