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Article de presse: Le mur de la honte

Publié le 22/02/2012

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12 août 1961 - Débordées par l'exode de leurs sujets, que les menaces et les simples tracasseries policières ne faisaient qu'accélérer, les autorités de la RDA ont employé les grands moyens. Couvert, à ses propres yeux, par une déclaration des nations membres du pacte de Varsovie élaborée à Moscou lors de la dernière réunion de leurs dirigeants, le gouvernement de Berlin-Est a interdit aux habitants de la RDA de se rendre à Berlin-Ouest sans un laissez-passer délivré spécialement à cette fin. Il a de même immédiatement ordonné aux cinq cent mille frontaliers qui prenaient chaque matin le métro pour aller travailler à Berlin-Ouest de chercher, à partir d'aujourd'hui, une occupation dans les entreprises de Berlin-Est. Pour assurer l'efficacité de ces mesures draconiennes, la circulation des lignes de métro conduisant d'Est en Ouest dans l'ex-capitale du Reich a été arrêtée. Les stations frontalières ont été fermées, et les points de passage de la ligne de démarcation entre les deux Berlin ramenés de quatre-vingts à treize, devant lesquels veillent désormais d'importants détachements de la police et de l'armée populaire. Des chevaux de frise en fil de fer barbelé ont été disposés pour empêcher toute évasion par surprise. A moins d'un tour de force ou d'un stratagème heureux, il n'est plus question pour les Berlinois de l'Est et les transfuges en puissance de la RDA de " choisir la liberté " en simulant une innocente promenade dans les secteurs occidentaux. Le résultat de ce blocus ne s'est pas fait attendre : quelques dizaines de réfugiés seulement parvinrent à rejoindre Berlin-Ouest dans la journée d'hier, contre plus de deux mille la veille. Pour les citoyens involontaires de la RDA la clé des champs n'est plus sous le paillasson. Il leur faut crocheter la serrure ou enfoncer la porte. En revanche, aucune entrave nouvelle n'a été mise par Pankow (1)au passage en sens inverse. Les Berlinois de l'Ouest qui en ont encore envie peuvent aller à Berlin-Est sans autre formalité que de présenter, comme à l'accoutumée, leur carte d'identité aux sentinelles qui contrôlent le passage. De même, le trafic routier et ferroviaire entre Berlin-Ouest et la République fédérale n'est en rien affecté par le blocage des issues de Berlin-Ouest. Inquiétude à Berlin-Est L'opération déclenchée dans la nuit de dimanche conserve donc soigneusement les apparences d'une affaire d'ordre intérieur, même si elle attente avec éclat aux conventions quadripartites sur la libre circulation entre les deux Berlin. C'est d'ailleurs sur le plan intérieur que Berlin-Est semble redouter les premières répercussions de son geste désespéré. Un imposant dispositif militaire a été mis sur pied à titre préventif. Les édifices publics sont gardés par les " milices ouvrières " ou par la troupe. Des patrouilles armées sillonnent les rues pour décourager tout rassemblement hostile; des chars ont pris position aux points stratégiques. On ne pouvait pas reconnaître plus spectaculairement le caractère foncièrement impopulaire du décret séquestrant, derrière les frontières de la " République des ouvriers et paysans " d'Allemagne orientale, les millions de réfractaires au régime qu'elle impose. Jusqu'à présent aucun incident grave n'a été signalé, mais l'effervescence couve partout. L'émotion provoquée en République fédérale, pour ne rien dire de Berlin-Ouest-où la tension est à son comble,-par la descente brutale du rideau de fer entre les deux Berlin est considérable. A peine la nouvelle était-elle connue, que les stations émettrices de radio décidaient de diffuser chaque heure un bulletin d'information exceptionnel. Dans la soirée, le chancelier Adenauer s'est adressé sur les ondes à la population d'Allemagne de l'Est pour l'inciter au calme et l'assurer de la solidarité de la République fédérale. Rentré d'urgence à Berlin-Ouest, le bourgmestre, M. Willy Brandt, a réuni aussitôt le Sénat et le Parlement. Il a également prononcé une allocution radiodiffusée. Dans les premières heures suivant le choc de l'événement, et en pleine détente dominicale, on ne pouvait pas s'attendre à plus qu'à ces improvisations oratoires-auxquelles aura peut-être simplement manqué l'accent des grands jours. C'est aujourd'hui seulement que commenceront les consultations internationales et les délibérations sur la riposte appropriée à la provocation de Pankow, que l'éditorialiste de die Welt de Hambourg appelle déjà " un second Budapest ". Ce matin, le ministre fédéral des affaires étrangères, M. von Brentano, a reçu les ambassadeurs des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et de France. Selon certains experts, la récente conférence qui s'est tenue à Paris aurait envisagé des représailles concrètes au cas où des mesures unilatérales de la RDA viendraient consommer la coupure entre les deux Berlin. Au-delà des protestations morales et juridiques qui vont de soi, il aurait été convenu que, au cas où Berlin-Est se résoudrait à cette extrémité, on y répondrait par un boycottage économique, qui se traduirait en premier lieu par la suspension du commerce interzones. On se souviendra d'ailleurs que l'année dernière, à pareille époque déjà, sous le prétexte de conjurer l'infiltration " militariste et revancharde ", Pankow avait édicté à l'encontre des citoyens de la République fédérale qui voulaient visiter Berlin-Est des prescriptions discriminatoires qui parurent sur le moment annoncer des restrictions d'envergure au libre passage de la ligne de démarcation. A telle enseigne que le gouvernement fédéral, désireux d'en prévenir l'extension, s'était décidé à la fin de septembre-avec la seule bénédiction américaine, il est vrai-à dénoncer l'accord de commerce interzones. Un compromis sauva la situation avant la date (31 décembre), où cette dénonciation devait entrer en vigueur. Sans rapporter officiellement les mesures en litige (qui d'ailleurs avaient toujours été appliquées avec beaucoup d'élasticité), Pankow accepta de les laisser tomber en désuétude, et de part et d'autre on reprit l'échange des marchandises. Il est évident que si l'Allemagne fédérale a rompu une première fois les relations commerciales interzones pour faire pièce à ce qui peut apparaître aujourd'hui, avec le recul du temps, comme une chicane gratuite mais sans portée profonde, elle ne saurait tarder à les rompre de nouveau, et cette fois sans atermoiements ni préavis, pour répliquer à un " ukase " condamnant à la captivité les deux ou trois cent mille Allemands qui normalement auraient chaque année cherché asile sur son territoire. Pankow veut forcer la main aux Occidentaux Les commentaires recueillis ce matin sont unanimes à stigmatiser l'auto-blocus de la zone soviétique, mais on hésite encore à réclamer des réactions rigoureuses. Visiblement les commentateurs ne veulent pas forcer la main aux hommes d'Etat chargés de concerter et de coordonner la riposte occidentale. C'est seulement si cette riposte était ajournée ou se bornait à des déclarations platoniques qu'on verrait apparaître les premières scènes d'impatience ou de défection. Pour l'immense majorité des hommes et des esprits politiques de la République fédérale, l'ouverture de négociations Est-Ouest dans la situation actuelle équivaudrait à une capitulation. Les conversations sur Berlin ou sur l'Allemagne ont en effet maintenant un " préalable ": le retour au statu quo ante. Il est visible à Bonn que Pankow cherche dans un premier temps à mettre le marché en main aux Occidentaux. Les mesures décrétées hier resteront valables " jusqu'à la conclusion d'un traité de paix ". Ce qui signifie qu'elles ne seront levées que si l'Occident finit par concéder à la RDA un droit de regard sur son trafic aérien. Depuis hier, la souricière a été bouchée à l'entrée. Demain, si les alliés s'inclinaient, elle serait fermée à la sortie. Dans un deuxième temps, Pankow, après avoir neutralisé ses candidats à l'évasion, tentera de neutraliser les causes mêmes de leur nostalgie d'évasion, à savoir Berlin-Ouest et la comparaison catastrophique pour le régime de M. Ulbricht qu'elle permet au citoyen de faire en permanence. ALAIN CLEMENT Le Monde du 15 août 1961

« On se souviendra d'ailleurs que l'année dernière, à pareille époque déjà, sous le prétexte de conjurer l'infiltration " militariste etrevancharde ", Pankow avait édicté à l'encontre des citoyens de la République fédérale qui voulaient visiter Berlin-Est desprescriptions discriminatoires qui parurent sur le moment annoncer des restrictions d'envergure au libre passage de la ligne dedémarcation.

A telle enseigne que le gouvernement fédéral, désireux d'en prévenir l'extension, s'était décidé à la fin de septembre-avec la seule bénédiction américaine, il est vrai-à dénoncer l'accord de commerce interzones.

Un compromis sauva la situationavant la date (31 décembre), où cette dénonciation devait entrer en vigueur.

Sans rapporter officiellement les mesures en litige(qui d'ailleurs avaient toujours été appliquées avec beaucoup d'élasticité), Pankow accepta de les laisser tomber en désuétude, etde part et d'autre on reprit l'échange des marchandises.

Il est évident que si l'Allemagne fédérale a rompu une première fois lesrelations commerciales interzones pour faire pièce à ce qui peut apparaître aujourd'hui, avec le recul du temps, comme unechicane gratuite mais sans portée profonde, elle ne saurait tarder à les rompre de nouveau, et cette fois sans atermoiements nipréavis, pour répliquer à un " ukase " condamnant à la captivité les deux ou trois cent mille Allemands qui normalement auraientchaque année cherché asile sur son territoire. Pankow veut forcer la main aux Occidentaux Les commentaires recueillis ce matin sont unanimes à stigmatiser l'auto-blocus de la zone soviétique, mais on hésite encore àréclamer des réactions rigoureuses.

Visiblement les commentateurs ne veulent pas forcer la main aux hommes d'Etat chargés deconcerter et de coordonner la riposte occidentale.

C'est seulement si cette riposte était ajournée ou se bornait à des déclarationsplatoniques qu'on verrait apparaître les premières scènes d'impatience ou de défection. Pour l'immense majorité des hommes et des esprits politiques de la République fédérale, l'ouverture de négociations Est-Ouestdans la situation actuelle équivaudrait à une capitulation.

Les conversations sur Berlin ou sur l'Allemagne ont en effet maintenantun " préalable ": le retour au statu quo ante. Il est visible à Bonn que Pankow cherche dans un premier temps à mettre le marché en main aux Occidentaux.

Les mesuresdécrétées hier resteront valables " jusqu'à la conclusion d'un traité de paix ".

Ce qui signifie qu'elles ne seront levées que sil'Occident finit par concéder à la RDA un droit de regard sur son trafic aérien.

Depuis hier, la souricière a été bouchée à l'entrée.Demain, si les alliés s'inclinaient, elle serait fermée à la sortie.

Dans un deuxième temps, Pankow, après avoir neutralisé sescandidats à l'évasion, tentera de neutraliser les causes mêmes de leur nostalgie d'évasion, à savoir Berlin-Ouest et la comparaisoncatastrophique pour le régime de M.

Ulbricht qu'elle permet au citoyen de faire en permanence. ALAIN CLEMENT Le Monde du 15 août 1961. »

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