Devoir de Philosophie

L'Autre

Publié le 30/01/2013

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Depuis le XVIème siècle, la question de l'Homme est abordée dans la littérature, à travers ses genres multiples et variés. Ainsi, l'Homme a été observé dans sa société, puis il a été vu dans les multiples sociétés qui se sont créées ou qui ont été découvertes. Et en miroir, il a été confronté à l'Autre, c'est-à-dire ce qui n'est pas soi. De nombreux auteurs, depuis cette époque ont joué avec cet Autre pour tenter d'éclairer leurs contemporains sur les dysfonctionnements de leur société. Dans ce cadre, nous pouvons nous demander si le détour par l'Autre est un bon moyen pour dénoncer les travers de sa propre société. Nous démontrerons tout d'abord qu'il est pertinent de passer par l'Autre pour révéler sa société. Ensuite, nous verrons cependant qu'il peut y avoir d'autres façons d'y arriver, ou que l'utilisation de ce détour peut être contre-productif. L'Autre peut se situer de différentes façons par rapport à sa propre société, la plus usitée étant l'Autre, distinct de sa société. En effet, cette vision d'un Autre étranger permet de comparer les modes de vies ou les pensées entre deux sociétés différentes du point de vue de la culture, du langage, des rites... pour tenter de mettre en exergue les défauts qui existent dans sa propre société. C'est ainsi que Montaigne, au XVIème siècle, dans « Des Cannibales «, tiré de Les Essais, nous montre la différence entre les Européens et les Indiens, qui tiennent le rôle de l'Autre, vis-à-vis de l'or. Pour les Européens, c'est une précieuse richesse, synonyme de fortune, tandis que pour les Indigènes, ce n'est qu'une futilité, au mieux un élément de décor. Montaigne démontre ainsi que les Occidentaux ont des valeurs très superficielles puisque leur but est de sans cesse accroître leur pouvoir et leur fortune, afin de devenir le plus puissant, tandis que les Indiens sont des partisans du partage et de l'égalité. Ces derniers portent plus d'importance au courage et à la vertu qu'à la richesse et la puissance. D'autre part, de nombreux auteurs ont utilisé un tiers pour décrire leur société et apporter leur jugement, tout en les distançant de leurs propos grâce au regard externe de ce tiers, c'est-à-dire l'Autre. Ainsi, Voltaire dans Micromégas utilise cet Autre sous les traits du géant Sirien pour alimenter la réflexion sur sa société, tout en la romançant à travers un conte philosophique, afin d'éviter tout problème avec la censure du pouvoir qui régnait au XVIIIème siècle. La Fontaine, au XVIIème siècle, dans ses Fables, personnifie les animaux et les met en scène dans des situations cocasses et satiriques. Le masque de l'animalité est utilisé par La Fontaine pour critiquer la société de son temps, et plus particulièrement l'aristocratie et la vie à la cour, alors que Louis XIV construit son image de Roi Soleil. Les auteurs ne se basent pas seulement sur un Autre qui leur est étranger. Certains créent ainsi un Autre idéal. Ils imaginent une société fictive parfaite, faisant émerger un contraste avec leur société, permettant aux lecteurs de mieux comprendre leur propre société et ses dysfonctionnements. Le genre emblématique de cette société fictive idéale est l'utopie, qui est la représentation d'une réalité accomplie et sans défaut ni conflit, où règne un gouvernement idéal sur un peuple heureux, pour critiquer indirectement les injustices et les dérives de la société existante. Son fondateur est Thomas Monroe, qui, au XVIème siècle, publie L'Utopie, dans laquelle il prône la tolérance et la discipline au service de la liberté, à travers le portrait d'un monde imaginaire. Quelques siècles plus tard, au XVIIIème siècle, Marivaux écrit L'Ile des esclaves, une comédie en prose mettant en scène deux Athéniens, Iphicrate et Arlequin, qui font naufrage sur l'île des esclaves, où les rôles entre esclaves et maîtres sont inversés. Cela contraint alors les maîtres de tirer les leçons de cette expérience et de revenir sur leurs comportements vis-à-vis des esclaves, sans quoi ils ne peuvent repartir de l'île. L'utopie peut ainsi prendre corps tout d'abord grâce à l'éloignement historique, à une datation vague dans le passé, l'Athènes antique, et aussi grâce à l'éloignement géographique, une île isolée et perdue en mer où se développe une société en marge. A travers cette simple inversion des rôles, Marivaux rétablit l'harmonie entre la société et la nature, les valeurs morales de la famille et la justice sociale. Pour autant, ce détour par l'Autre est-il indispensable pour dénoncer les défauts de sa société ? Son usage ne risque-t-il pas d'engendrer l'inverse du but visé, s'il n'est pas utilisé pertinemment ? En effet, à force de détour, il est possible de se perdre. Eviter ce détour, c'est donc éviter un cheminement trop complexe qui risquerait de rendre la lecture confuse, et donc de rendre le lecteur moins réceptif à la critique. Un propos direct, sans ambages, amène à plus de clarté, ce qui permet ainsi aux lecteurs de mieux comprendre, car la critique est clair, nette et précise. La Boétie, au XVIème siècle, dans son Discours sur la servitude volontaire, apporte avec justesse une critique sur l'importance du roi aux yeux du peuple : sans cette reconnaissance du peuple, le roi n'est pas. Il pose clairement sa critique à travers une maxime « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. «. Mais pour autant que le détour par l'Autre soit abordé, la compréhension de la situation peut être à l'inverse de l'intention initiale de l'auteur. Par exemple, dans Les Caractères de La Bruyère, paru au XVIIème siècle, le détour par l'Autre, en l'occurrence les animaux, peut ne pas être correctement interprété par le lecteur. En effet la critique est très subtile, et se comparer à des animaux peut ne pas prendre sens pour certains lecteurs qui ne se sentiraient pas concernés par la métaphore, finement exprimée par l'auteur, car selon eux, ils seraient largement supérieurs à de simples animaux. Dans ce cas de non compréhension, le détour par l'Autre peut être vu comme inadéquat, puisqe l'effet serait manqué. D'autre part, le détour par l'Autre doit être judicieusement utilisé. En effet, si l'on utilise ce détour, on ne peut le faire sur n'importe quoi, car il amène fatalement à une comparaison entre l'Autre et soi-même. Le lecteur se base sur sa société comme élément de référence, puisque c'est ce qui lui est le plus familier et qui correspond aux règles et codes qu'il connaît. Son jugement n'est donc pas objectif, parce que le regard qu'il porte sur cette autre civilisation n'est pas neutre. Au XVIème siècle, Montaigne, dans « Des Coches «, fait une comparaison entre la société occidentale et la société indienne à l'aide de témoignages qu'il a lui-même recueilli. Les Européens affirment être largement supérieurs aux indigènes. Les faits sur lesquels ils se basent pour tenir ces propos ne sont pas recevables ni pour les indigènes, ni d'une façon générale. Ainsi, cette comparaison entre les Européens et les Indiens permet également de faire ressortir la relativité des valeurs, qui varie selon les peuples. En effet, on ne peut juger les pratiques, ni les valeurs de l'Autre, puisque l'on a comme modèle nos propres pratiques et nos propres valeurs. Notre jugement est donc fatalement subjectif, et ne peut être considéré comme étant le bon, ni même comme étant le mauvais. Montaigne, dans « Des Cannibales « montre la réaction des Européens lorsqu'ils découvrent que les Indigènes pratiquent le cannibalisme. Cette pratique de l'anthropophagie consiste à manger les prisonniers de guerre, qui préfèrent être mangés, plutôt que d'être graciés, car ce serait une honte pour eux vis-à-vis de leurs compatriotes. Pour les Européens, cet acte paraît tout à fait horrible et barbare, tandis qu'ils se livrent eux-mêmes à d'affreux massacres humains, comme, lors de l'été 1572, le massacre de la Saint-Barthélemy. Dénoncer les défauts de sa propre société par le biais de l'Autre est un bon moyen de dénoncer les injustices sociales en portant un regard critique sur la société et ses dysfonctionnements, comme le choc des classes sociales ou l'exploitation des plus humbles, même si cette pratique est à manier de façon judicieuse et pertinente, pour ne pas aller à l'inverse de l'effet escompté. La mise en exergue des dysfonctionnements de sa société, par une comparaison à l'Autre, distinct de sa société, donne lieu à une avancée indéniable de la réflexion. A ce titre il serait judicieux de reprendre ces principes pour permettre à la société actuelle de mieux cerner son évolution, en observant à nouveau les comportements de certains groupes d'animaux pour s'en inspirer et ainsi améliorer la vie de l'Homme.