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Un barrage contre le Pacifique » de Marguerite Duras

Publié le 11/02/2011

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Sommaire - Biographie de Marguerite Duras - Etude d'une ½uvre : « Un barrage contre le Pacifique « - Introduction - Résumé de l'intrigue - Première partie - Deuxième partie - Commentaire I) Un roman initiatique qui illustre le passage de l'enfance au statut d'adulte a. Des expériences qui mènent vers l'âge adulte b. Le cinéma comme moteur d'évolution c. Les figures masculines qui forgent la féminité de Suzanne d. Le lecteur s'identifie à Suzanne par l'usage du point de vue interne e. Par Suzanne, une description de la propre adolescence de l'auteur II) Les relations au sein de la famille qui met en avant le rôle fédérateur de la mère a. Liens puissants entre les barrages et la mère - Source d'intense désespoir - Stimulant qui guide sa vie b. Entre les deux enfants : un statut différent au sein de la famille - Rapports entre la mère et Suzanne - Place prépondérante du fils c. Portrait paradoxale de la mère, à la fois : - Mère exemplaire - Mère violemment aimante - Héroïne mythique III) Réalité coloniale a. Le peuple de la plaine condamné à la misère b. La ville coloniale dédiée à une élite c. Un Contraste saisissant d. Un contexte difficile qui entraîne une quête de l'argent omniprésente et l'exaltation de toutes sortes de désirs. - La quête de l'argent - Le désir Biographie de Marguerite Duras Marguerite Duras, de son véritable nom Marguerite Donnadieu, est née le 4 avril 1914 à Gia Dinh, une vielle de la banlieue Nord de Saigon (Indochine). Le pseudo Duras provient du nom du village d'origine de sa famille paternelle dans le Lot-et-Garonne. Son père décède alors qu'elle n'a que 5 ans. Deux ans plus tard, en 1923, sa mère s'installe avec ses trois enfants à Vinh Long, une ville située dans le delta du Mékong. L'enfance et l'adolescence de Marguerite Duras se déroulent en Indochine, pays qui marquera une grande partie de son ½uvre. De retour en France en 1932, elle fait des études de mathématiques durant lesquelles elle va rencontrer Robert Antelme. Après avoir obtenu son diplôme de sciences politiques, elle trouve un emploi de secrétaire au ministère des Colonies en 1938, duquel elle démissionnera deux ans plus tard et se marie avec Robert Antelme en 1939. En 1942, elle trouve un emploi au Comité d'organisation du livre où elle fait la connaissance de Dionys Mascolo, qui devient son amant. C'est en 1943, qu'elle publiera son premier roman Les Impudents. Cette même année, elle adhère avec Robert Antelme et Dionys Mascolo au Mouvement National des Prisonniers de Guerre et entre dans la résistance. En 1944, son mari est déporté à Buchenwald : Marguerite rentre au Parti Communiste la même année duquel elle sera exclue en 1955. A la libération de Robert en 1945, ils créent « les Editions de la Cité Universelle «, une agence d'édition qui publiera entre autres les ½uvres de Saint Just. Après son divorce en 1947, Elle épousera Dionys Mascolo dont elle aura un fils, Jean. L'année 1950 marque son irruption sur la scène littéraire avec la publication d' « Un barrage contre le Pacifique «, roman autobiographique évoquant l'Indochine, sa mère et son enfance mais également une prise de position politique qui dénonce le système colonial. Son style, elliptique et simplifié, évolue vers le Nouveau Roman, notamment dans les Petits Chevaux de Tarquinia (1953). En 1958, Marguerite Duras voit pour la première fois un de ses ouvrages adapté au cinéma : Un Barrage contre le Pacifique est réalisé par René Clément. D'autres oeuvres, telles que l'Amant, seront également mises en images plus tard. Parallèlement à son écriture, l'engagement politique de la romancière, dans le camp de la gauche, est de plus en plus fort : elle milite contre la guerre d'Algérie, s'engage dans la révolution féministe de Mai 68 et signe le manifeste contre l'avortement en 1971. Elle s'essaie au théâtre, avec des pièces comme la Musica (1965) et signe des scénarios de films, dont Hiroshima mon amour (1958) et Une aussi longue absence (1960). Elle passe ensuite à la réalisation, notamment avec India Song (1975) ou le Camion (1977). L'Amant (1984) est le livre qui l'ouvre réellement aux yeux du grand public et lui assure un succès certain. En parallèle, sa vie s'écoule aux côtés de son compagnon Yann Andrea Steiner, qui sera le dernier homme à partager sa vie. Rongée par l'alcool, Marguerite Duras continue à écrire (elle publie La pluie d'été en 1990 et L'amant de la Chine du nord en 1992) puis à dicter ses romans avant de s'éteindre le 3 mars 1996. Etude de l'½uvre : « Un barrage contre le Pacifique « Introduction Lorsque que Marguerite Duras commence la rédaction de son ½uvre, « Un barrage contre le Pacifique « en 1947, la guerre d'Indochine dure déjà depuis un an du fait des tensions opposants les colons français installés dans cette région asiatique et les nationalistes indochinois, soutenus par le parti communiste. Il s'agit donc d'un contexte relativement troublée de l'Histoire qui confère une autre dimension à cet ouvrage qui nous donne à voir une autre perspective de la vie en Indochine, au travers du regard des colons français de toutes conditions, mais également en décrivant les conditions de vie des populations indigènes. Il ne s'agit pas ici d'un simple roman de fiction où l'auteur s'inspirerait de ce qu'il aurait appris d'autres sur le sujet, mais bel et bien d'un roman autobiographique. En effet, Marguerite Duras a une connaissance toute particulière du contexte dont on traite dans cet ouvrage ayant elle-même vécue en Indochine jusqu'en 1932. Elle mêle ainsi habilement des éléments ayants trait à sa propre histoire et de la fiction pure, rendant la frontière entre réalité et imagination romanesque d'autant plus intéressante qu'elle est rendue difficile à discerner. Différents thèmes s'entrecroisent dans ce roman publié en 1950 parmi lesquels la désillusion des espérances que les colons venus en Indochine ont pu placé dans ce qui leur semblait pouvoir devenir leur paradis terrestre. Seulement comme toute rêve utopique, il comporte une part de contre utopie et une fois cette face sombre dévoilée, il s'est renfermé à la manière d'un piège sur ceux qui y avaient cru. Ces victimes de l'espérance se sont alors retrouvés condamnés à une existence de misère, enferrés à des territoires inhospitaliers qui se révèleront être de vrais incubateurs, propices au développement de toute sorte de vice et d'espoirs déçus. Résumé de l'intrigue Ce récit de Marguerite Duras relate la vie d'une mère et de ses deux enfants, Joseph et Suzanne, en Indochine, pendant la période de colonisation française. La mère, propriétaire d'une concession incultivable, tente désespérément de construire un barrage contre le Pacifique, qui inonde régulièrement ses terres et lui enlève toute perspective d'avenir heureux pour elle et ses enfants. Joseph et Suzanne, l'un révolté, l'autre passive, attendent de pouvoir aller enfin quitter la plaine. La rencontre du fils de M.Jo, un riche planteur va bouleverser leur vie. Lorsque celui-ci s'éprend de Suzanne, l'horizon s'entrouvre pour chacun, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'il ne l'épousera pas. Cependant avant de quitter la concession, il laisse à la jeune fille une bague ornée d'un diamant : un diamant qui va être déterminant dans leur vie. Première partie Les événements de la première partie ont lieu dans la plaine de Kam en Indochine. Page 17 à 38 L'histoire débute autour de l'achat d'un cheval qui ne vécut que huit jours. Celui-ci devait servir à Joseph pour qu'il ramène un peu d'argent. La vie dans la plaine est alors décrite comme étant misérable, amère et ennuyeuse. Les relations conflictuelles entre la mère et ses enfants sont dès lors mise en avant. Quelques années plus tôt, la mère était arrivée à la colonie avec son mari, tous deux instituteurs, sous les promesses faites de s'y enrichir. Ils eurent alors deux enfants, Joseph et Suzanne. Ils vécurent aisément pendant de nombreuses années. A la mort du père, la mère dut élever ses enfants avec difficulté. Elle avait abandonné l'enseignement d'Etat pour donner des leçons particulières, auxquelles s'ajoutèrent des leçons de piano. Puis, elle fut engagée comme pianiste à l'Eden-Cinéma pendant dix ans ; dix années durant lesquelles elle économisa dans le but d'acheter une concession au cadastre de la colonie. Dès son achat, elle mit ainsi en culture la moitié de sa concession en espérant que les récoltes lui rapporteraient de quoi payer la construction d'un bungalow. Cela faisait maintenant six ans qu'elle vivait dans la plaine, ces terres s'étaient trouvées être incultivables car sans cesse inondées par les eaux du Pacifique et la famille s'était retrouvée ruinée et endettée par ces investissements malheureux. Elle avait ainsi jeté « ses économies de dix ans dans les vagues du Pacifique « (page 25), lui faisant prendre conscience du « grand vampirisme colonial «. Elle s'était alors lancée dans une lutte acharnée et sans fin contre les agents du cadastre mais aussi contre le Pacifique en tentant d'ériger un barrage avec l'aide des paysans de la région. L'écroulement du barrage, dans lequel elle avait mis tant d'espoir avait tout bouleversé dans leur vie, et avait rendu la mère malade. Le portrait de la mère se dessine alors : une femme dévouée pour ses enfants, courageuse, et qui n'abandonne jamais. On apprend qu'elle passe la nuit à faire ses comptes comme si elle n'était jamais tranquille et sans cesse obligée de trouver des solutions et d'élaborer de nouveaux projets pour améliorer la situation. Page 39 à 65 Après la mort du cheval, Joseph, Suzanne et la mère se rendent à Ram, le village voisin, au café du père Bart. Ils y rencontrent M. Jo, le fils d'un riche planteur. Aussitôt, le jeune homme est séduit par Suzanne et l'intention de la mère de marier sa fille se dessine. Lors de leur discussion avec M.Jo, Ils se mettent à rire de leur condition et du sort qui s'acharne sur eux, notamment en décrivant l'état de leur vieille Citroën B.12 et en racontant l'histoire du barrage qui s'est écroulé. A la fin de la soirée, M.Jo raccompagne Suzanne et la mère en limousine à leur bungalow. La mère lui fait alors savoir qu'il peut revenir quand il le souhaite. PAGE 67à 87 M. Jo revient régulièrement au Bungalow, notamment pour voir Suzanne. Mais malgré ses visites assidues, il reste méprisé : Joseph le hait et Suzanne l'ignore. Seul la mère semble lui montre de l'intérêt mais seulement parce qu'elle voit en lui la possibilité de marier sa fille. Voyant l'importance de l'argent chez Suzanne, il pense pouvoir se faire aimer d'elle en affichant sa fortune et en la couvrant de cadeaux. Afin de s'attirer ses faveurs M.Jo lui suggère l'idée de lui acheter un nouveau phonographe, mais il demande en échange à la voir nue. Bien que réticente, Suzanne finit par accepter dans l'envie de faire plaisir à son frère en lui donnant le phonographe « C'est ainsi qu'au moment où elle allait ouvrir et se donner à voir au monde, le monde la prostitua « p 73. M. Jo commence à prendre conscience qu'il ne réussira jamais à séduire Suzanne par aucun moyen. Un peu plus tard, M. Jo apporte un paquet contenant le phonographe. La mère et Joseph cachent leur curiosité et ne montrent aucun signe d'intérêt pour le paquet. La mère l'invite à diner et Suzanne annonce alors que le paquet contient un phonographe. Joseph paraît alors fasciné, la mère ,elle, est déçue. (ils écoutent Ramona, qui représente pour eux la chanson de tous les espoirs) M. Jo a alors l'espoir de voir son cas reconsidéré mais personne ne lui prête attention. PAGE 89 à 98 Les visites de M.Jo sont devenues une habitude à laquelle la famille a pris goût. Celui-ci les emmène tous les soirs à Ram danser et boire. La famille continue à le mépriser et à se moquer de lui. Au cours d'une de ces soirées, Joseph a décidé de parler à M.Jo car il ne supporte plus la situation et lui explique qu'il doit se décider rapidement concernant le mariage avec sa s½ur. La mère le met aussi sous pression. PAGE 99 à 111 M. Jo continue à faire des avances à Suzanne et à lui faire part de ses sentiments, laissant Suzanne toujours aussi indifférente. Il commence à évoquer un possible mariage. Mais seul l'intérêt financier préoccupe Suzanne. M.Jo a trouvé une nouvelle ruse pour voir Suzanne nue en l'accusant d'être méchante. La veille, il a fait la promesse à Suzanne de lui offrir une bague si elle acceptait de faire un voyage de quelques jours en ville avec lui. La mère menace M.Jo de le forcer à épouser sa fille s'il s'était passé quelque chose entre eux deux. Page 113 à 132 La mère a décidé de ne plus laisser Suzanne et M.Jo seuls dans le bungalow et lui a donné huit jours pour se décider à l'épouser, malgré le fait que celui-ci soit engagé à épouser une riche jeune fille, selon les volontés de son père. M.Jo continue à parler à Suzanne de l'offre du diamant en échange du voyage en ville à ses côtés ; il s'engage même à l'épouser si elle accepte. On apprend alors l'importance qu'a le cinéma pour Suzanne et son frère. De son côté, la mère a déjà fait ses projets en fonction de ce mariage et place tous ses espoirs dans sa fille. Car ce mariage pourrait être un moyen de s'en sortir et de pouvoir partir de la plaine. Mais Joseph sait déjà que M. Jo ne l'épousera jamais. M. Jo apporte trois diamants à Suzanne pour qu'elle en choisisse un. Tout ce qui l'importe alors c'est de connaître son prix car c'est l'argent qu'il rapportera qui détermina des possibilités d'avenir. Joseph arrive alors et Suzanne lui fait prendre connaissance de l'offre de M.Jo. Il est furieux et exige la restitution du bijou. Suzanne s'exécute et conseille M.Jo de ne jamais revenir. Finalement M.Jo, bouleversé, lui laisse la bague. PAGE 133 à 145 Suzanne rentre au bungalow pour montrer la bague à la mère qui part immédiatement le cacher. Au cours du repas, la mère se plaint de son état, de ses enfants et fait part de sa honte et de son dégoût vis-à-vis de ce que représente cette bague. Une querelle éclate entre mère et fille au sujet du bijou. Elle veut que Suzanne avoue qu'elle a couché avec M.Jo. Suzanne est alors battue pendant des heures jusqu'à ce que Joseph intervienne- On apprend aussi que la mère a battu Joseph lorsqu'il était plus jeune et qu'elle bat régulièrement Suzanne depuis l'écroulement des barrages - La mère finit par se calmer et il est décidé qu'ils iront vendre la bague à la ville et que tout contact doit être rompu avec M.Jo. Page 147à 164 M. Jo est revenu le lendemain ; Suzanne lui annonce qu'il ne doit plus revenir car sa mère en a décidé ainsi. Elle lui explique qu'ils comptent aller vendre la bague en ville. M.jo est alors anéanti, il comprend qu'on s'est servi de lui et les accusent d'être « immoraux « avant de repartir avec sa limousine. Le soir, au diner, la famille semble avoir de nouveaux espoirs grâce à la bague. Deuxième partie PAGE 167- 176 La famille se rend à la ville dans le but de vendre le diamant. Ils sont accueillis à l'hôtel central par Carmen, la première maitresse de Joseph. La mère charge celle-ci de l'aider à vendre le diamant mais l'annonce passée dans le bureau de l'hôtel ne donna aucun résultat. PAGE 177-180 La mère commença donc de son côté à parcourir tous les diamantaires et les bijoutiers de la ville pour leur vendre la bague au prix que M.Jo leur avait annoncé, c'est-à-dire vingt mille francs. Mais à l'estimation, elle apprend que le bijou a un défaut (un crapaud) et en vaut la moitié. Cependant, elle continue à s'acharner pour obtenir cet argent tant espéré. Finalement, elle a une autre idée : elle tente de convaincre sa fille de renouer avec M.Jo afin de lui soutirer d'autres objets de valeur. Suzanne accepte mais refuse de le chercher. PAGE 181-184 Suzanne et Joseph ont arrêté d'accompagner leur mère au bout de deux jours. Joseph part seul de con côté et profite de son séjour en ville pour s'y débaucher. Il ne rentre plus que le soir à l'hôtel, pour ensuite de plus rentrer du tout. Lorsque la mère termine ses démarches, l'absence de Joseph commence à se faire sentir. Elle se met alors à passer ses journées à dormir et à prendre des pilules. De son côté, Suzanne est prise en charge par Carmen qui la fait même dormir dans sa chambre. Carmen la conseille de trouver un mari idiot mais riche, qu'elle s'émancipe de l'autorité maternelle et qu'elle mette à profit son pouvoir de séduction. Elle lui prête ainsi une robe et de l'argent et lui suggère de se promener seule en ville. Page 185- 193 Sa promenade dans le haut quartier des riches européens est un désastre : Suzanne, affublée de cette manière ne sent pas à sa place, voire ridicule et laide. De plus, elle se fait remarquée par les passants car il est inhabituel de voir une jeune fille blanche se promener seule. Mortifiée par la honte, elle se réfugie dans un cinéma. En sortant, elle aperçoit son frère en B.12 accompagné de deux prostituées. Il semble différent et elle se met soudainement à le haïr. De son côté, la mère commence à comprendre que Joseph s'en ira bientôt. PAGE 195-203 On apprend la raison de l'absence de Joseph : il a rencontré une femme. La mère est épuisée et ne compte plus que sur les clients de l'hôtel pour vendre son diamant. Elle a décidé que dès que Joseph reviendra, elle irait vendre le diamant pour onze mille francs et qu'ils rentreraient tous à la plaine. Quant à Suzanne, elle a choisi de ne plus suivre les conseils de Carmen et passe ses journées entre l'hôtel et le cinéma. Elle commence à songer à son avenir et la magie du cinéma lui donne envie de quitter sa mère. Joseph n'est toujours pas rentré et la mère continue désespérément à l'attendre tout en avalant ses pilules. Page 204-212 Carmen présente à Suzanne, Barner, un riche client de passage qui cherche à épouser une jeune française. Ils passent la soirée ensemble. PAGE 213-219 En dépit de sa répugnance pour le prétendant, Suzanne le présente à sa mère ; Barner déclare vouloir épouser sa fille en échange de trente mille francs, la mère au départ indécise finit par refuser la demande. Page 221-228 A la sortie de l'hôtel, un après midi, Suzanne rencontre M.Jo qui se propose de l'accompagner au cinéma. M. Jo lui déclare qu'il l'aime. Suzanne comprend alors que ces mots peuvent être seulement dits pour obtenir ce que l'on désire. Elle repousse à nouveau ses avances et lui explique qu'elle ne voudra jamais de lui. Page 229-232 Carmen vient annoncer à la mère que Joseph a réussi à vendre le diamant pour le prix tant désiré et qu'elle doit le lui apporter. En revenant, Carmen raconte à Suzanne que l'acheteur de la bague n'est autre que la femme dont Joseph s'est épris et que Joseph compte bientôt revenir pour les ramener à la plaine. Dès le lendemain, la mère se rend dans les banques pour rembourser ses dettes avec l'argent de la vente et solliciter de nouveaux crédits en vain, si bien qu'au bout de quelques jours, elle n'a déjà presque plus d'argent. Désespérée, elle se recouche, gavée de pilules et dort toute la journée en attendant Joseph. Page 233-242 Joseph est revenu et presse Suzanne et sa mère pour partir immédiatement. Suzanne montre des signes de rébellion en annonçant qu'elle rentrera seulement si elle en a envie mais personne n'y prête attention. Pour la première fois, alors que sa mère tente de la gifler, sa fille lui immobile la main. Joseph semble ailleurs et différent, son langage a changé. Amers et désenchantés, ils se mettent en route pour la plaine. Joseph parle à peine tandis que la mère, soudainement enthousiaste, parle de ses nouveaux projets et de la bonne affaire qu'elle a faite avec les banques, sans même faire un seul reproche à son fils sur son absence de huit jours. Elle a l'intention d'obtenir une hypothèque sur cinq hectares de la concession mais elle ne reçoit aucun encouragement de la part de ses enfants. Finalement, alors que la mère a repris ses habituelles pensées défaitistes, Joseph lui tend le diamant sans explications précises : l'acquéreur lui a simplement restitué le bijou. La mère se remet à pleurer grommelant qu'elle n'a plus la force de tout recommencer. Page 243-255 De retour au Bungalow. A leur retour La mère annonce au caporal qu'elle te pourrait plus le payer. La mère a abandonné sa plantation de bananiers et ne plante plus rien. Toute la famille est devenue paresseuse et passe la plupart de son temps à dormir. Joseph ne chasse plus la nuit, il attend de pouvoir retrouver sa maitresse avec mélancolie. L'achat d'un nouveau cheval avec le reste de l'argent permet à Joseph de s'acheter ses cigarettes américaines. La nuit, la mère fait ses comptes et de nouveaux projets, sous l'½il du caporal. Elle écrit alors sa dernière lettre au cadastre de la colonie mais ses derniers espoirs d'obtenir quoi que ce soit commencent déjà à s'éteindre. Elle se concentre alors sur la vente du phonographe mais aucun de ses enfants ne veut s'en charger. Cependant, un jour, Joseph décide d'aller le vendre. La mère voit cela comme l'approche de son départ. Il le vend au père Bart et en donnant l'argent à la mère, celle-ci sombre dans une espèce de folie et recommence à pleurer. Le seul bien qui leur reste à présent est le diamant de M.Jo. P 257- 278 Joseph raconte à sa s½ur l'événement qui a bouleversé sa vie pour qu'elle sache tout avant qu'il parte : à la ville, il a rencontré un couple au cinéma et s'est senti très attiré par la femme, Lina. Le soir même, ils ont tous les trois fait la tournée des bars ; Devant le mari complètement saoul et inconscient, ils ont flirté et se sont embrassés à plusieurs reprises. Après avoir fait l'amour dans la voiture, Joseph lui a raconté son histoire et lui a parlé du diamant ; Elle s'est alors proposée de l'acheter. C'est donc au côté de cette femme que Joseph a passé huit jours à la ville ; Au terme de son séjour, elle lui a rendu le diamant sans qu'il le sache. Page 279-286 La mère semble commencer à se faire à l'idée du départ de son fils au fur et à mesure qu'elle le sent approcher. Elle a compris que c'est son seul moyen de s'en sortir. Elle se met à penser que sa mort résoudrait tous leurs problèmes. Joseph avoue enfin à Suzanne que la femme va revenir le chercher très prochainement. Il semble avoir certains scrupules à laisser la mère mais il ne lui voit plus d'avenir en dehors de la concession et dit ne plus avoir d'autre choix que de la faire souffrir. Il se remémore alors les sacrifices qu'elle a fait pour eux, notamment lorsqu'elle travaillait à l'Eden-Cinéma. Ces pensées lui sont tellement intenables qu'il préférerait la voir mourir. Son seul regret est de ne pas pouvoir tuer les agents du cadastre avant son départ. On apprend alors qu'il a gardé la dernière lettre que la mère voulait leur envoyé, après l'avoir lu. Suzanne se sent capable de mener sa vie comme Joseph la conçoit. Le départ de Joseph approche ; celui-ci a recommencé à chasser et à prendre soin de lui. La mère a un nouveau projet qui lui occupe l'esprit : vendre le diamant au père Bart après le départ de Joseph. PAGE 287-297 Avant son départ, Joseph confie à Suzanne la lettre de leur mère adressée aux agents des cadastres pour qu'elle la lise. Dans cette lettre, la mère demande l'accord en concession définitive des cinq hectares de terres qui entourent son bungalow et explique pourquoi elle le mérite tant. Elle s'y plaint d'être spoliée, escroquée et y dénonce l'ignominie de l'organisation cadastrale. Elle menace même les agents de mort expliquant que si elle n'a plus d'espoir pour sa concession, leur mort est le seul qu'elle puisse encore avoir. Cette lettre est donc un moyen pour ne jamais oublier les injustices dont la famille a été victime. P 299-305 Un soir, le bruit d'un klaxon retentit. Lina est enfin venue chercher Joseph. L'attente aura duré un mois. Il part après avoir juré à plusieurs reprises à la mère qu'il reviendrait et après l'avoir embrassé. Suzanne a le sentiment que Joseph est devenu un étranger. Sur le moment, la mère ne pleure même pas et semble accepter son départ. Elle cache sa tristesse dans une nouvelle crainte : celle que son fils ne trouve pas de travail. Cependant, sa douleur se manifeste au couché ; la nuit elle a une crise et échappe à la mort de près. Page 307-315 C'est avec nostalgie que Suzanne se souvient de son frère, de sa force, de son caractère, du temps où ils formaient une famille unie. Elle fait remonter le véritable changement de Joseph à un événement qui l'a marqué : il y a deux ans, peu de temps après l'écroulement du barrage, un agent du cadastre était venu inspecter leur concession. Joseph, pour la première fois et avec beaucoup d'assurance était intervenu. Après l'avoir ridiculisé et menacé, il l'avait fait partir en l'effrayant avec son fusil. Page 317-320 Suzanne passe à présent son temps à attendre près du pont que les autos des chasseurs passent dans l'espoir que l'une s'arrête un jour. Pendant ce temps, la mère sombre peu à peu dans la dépression, elle ne sort plus de son lit, prétendant que si elle se lève, elle attendra Joseph encore plus. Pour la première fois, elle s'est totalement désintéressée de la concession et seule la vente du diamant la préoccupe. Suzanne s'impatiente et décide un jour de s'habiller comme une « putain « avec la robe offerte par M.Jo mais, toujours, rien ne se passe. Page 321-325 Trois semaines après le départ de Joseph, Jean Agosti, fils d'un colon ruiné et contrebandier, s'arrête en auto. La mère lui a demandé de vendre son diamant. Après une brève conversation où ils partagent leur désir de quitter la plaine, il invite Suzanne à aller voir sa plantation d'ananas dans les prochains jours. Page 327-333 La mère reçoit un mot de Joseph dans lequel il lui explique qu'il a trouvé du travail et qu'il viendrait bientôt les voir. Elle n'en retient que les fautes d'orthographe de son fils. Elle continue à solliciter le fils Agosti pour la vente de la bague, notamment car elle a trouvé une utilité à l'argent : aller voir son fils pour lui apprendre la grammaire. Suzanne s'interroge sur son avenir en observant la piste qui symbolise de nombreux changements dans sa vie. Page 335-356 Le fils Agosti est revenu pour conduire Suzanne voir sa plantation d'ananas. Il l'emmène ensuite aux abords d'une clairière où il fait vivre à Suzanne sa première expérience charnelle. En raccompagnant Suzanne au bungalow, il rend visite à la mère. Celle-ci s'efforce à être aimable et lui parle avant tout de Joseph car préoccupée par son problème d'orthographe. Elle tente de convaincre le fils Agosti et Suzanne de la nécessité de l'écriture, en vain. Elle reparle de sa concession et des sacrifices qu'elle a fait pour ses enfants. La suggestion de Suzanne d'une plantation d'ananas lui remémore ses échecs qui paraissent tous si bien liés qu'il semble aujourd'hui difficile de lui parler sans la désespérer. Suzanne raccompagne le fils Agosti et veut le rassurer en prétendant qu'elle n'épouserait jamais quelqu'une comme lui. Celui- ci annonce qu'il ne reviendra peut être jamais. En se couchant, Suzanne se remémore son expérience avec le fils Agosti et se sent possédée d'une « intelligence nouvelle « (page 356). Page 357-365 Huit jours plus tard, la mère fait sa dernière crise un après midi alors que Suzanne est en compagnie du fils Agosti. Celui-ci est revenu tous les jours depuis sa dernière visite et le temps passé à ses côtés semble avoir fait murir Suzanne. Après avoir trouvé la mère inconsciente, le fils Agosti part immédiatement prévenir Joseph. Elle a une étrange expression sur son visage, comme si elle semblait satisfaite. Suzanne est tellement accablée par la mort de sa mère qu'elle souhaite mourir à son tour. Peu de temps après, Joseph revient avec Lina rendre un dernier hommage à sa défunte mère. Il est aussi très touché. Le fils Agosti propose à Suzanne de rester à ses côtés car il est tombé amoureux d'elle, mais Suzanne refuse de rester dans la plaine plus longtemps et part avec Joseph. COMMENTAIRE I- Un roman initiatique qui illustre le passage de l'enfance au statut d'adulte a) Des expériences menant vers l'âge adulte Le déroulement du récit suit l'évolution de Joseph et Suzanne et leur éloignement de ce qui faisait d'eux des enfants pour acquérir une maturité nouvelle qui les ancrera profondément dans le monde des adultes. Suzanne est jeune fille de 17 ans qui va peu à peu être envahie par un désir d'indépendance parallèlement à sa découverte des turbulences inhérentes au désir. Tout au long du récit, elle tente de s'affranchir de l'emprise maternelle notamment par l'initiation amoureuse. Le récit s'articule alors autour des différentes péripéties amoureuses de la jeune fille qi la conduiront à l'achèvement de son enfance. En effet, La mère meurt peu de temps après que Suzanne eut perdu son statut de jeune fille avec Jean Agosti. Il est donc ici de changement et des choses que l'on perd au cours de ces transformations. L'enfance meurt avec la mère et conjointement, c'est cette dernière mort qui est à l'origine de l'abandon de la plaine par Suzanne, lieu de son enfance avec Joseph. Tout est ainsi lié et l'on peut supposer que cela sous entend que grandir ne peut se faire que de manière brutale et en substituant nos nouvelles facettes à d'autre éléments qui composaient notre être et que nous ne pourrons désormais plus retrouver. La mort de la mère fait écho à cette idée. Lorsque celle-ci vient à décéder, Suzanne se réfugie dans les bras du corps inerte et le texte souligne l'opposition entre le monde représenté par la mère, celui de l'enfance et le monde dévoilé par Jean Agosti qui l'a initié au plaisir, celui de l'adolescence. « Elle le désira ardemment et ni Agosti, ni le souvenir si proche encore du plaisir qu'elle avait pris avec lui, ne lui empêcha de retourner une dernière fois à l'intempérance désordonnée et tragique de l'enfance « (p. 359) L'enfant est donc héros du récit dans la mesure où l'enfance qui le définit est le sujet de l'évolution narrative. Il en est de même pour le fils, Joseph qui devient aussi un « homme « en découvrant les joies de la vie citadine, le véritable désir envers une femme mais aussi à travers l'alcool. En effet, de son séjour en ville, Il prend conscience qu'il est définitivement sorti de l'enfance lors de son escapade dans les bars en compagnie de la femme dont il s'est épris. Il se sent alors enfin intelligent « et c'est ce mélange de désir et d'alcool qui l'a fait sortir « (p 275) ; C'est lors de cette soirée que la sens de la vie lui apparaît et qu'il est enfin déterminé à quitter la plaine et donc sa mère. Ce désir de s'affranchir de la mère et de quitter l'enfer de la plaine pour s'enfuir vers la ville est commun à Joseph et Suzanne. Ce rêve commun est notamment symbolisé par la chanson Ramona qui représente « l'hymne de l'avenir, des départs, du terme de l'impatience « (page 86) b) Le cinéma comme moteur d'évolution Dès la première partie du livre, l'accent est mis sur l'importance que revêt le cinéma pour les deux adolescents. Plus que le seul art cinématographique, ce qui les attire, c'est la possibilité qui leur est offerte, dans la pénombre de la salle, une fois le film commencé, de laisser divaguer leur pensées, loin des plaines désolées et de la fatalité qui les enchaînent à une vie de misère. Le cinéma est vécu par eux comme « le bonheur humain «. C'est par son biais que peuvent trouver un écho tous leurs rêves d'évasion. Au même titre que la piste devant laquelle le frère et la s½ur, et cette dernière en particulier, guettaient l'arrivée d'une quelconque automobile qui viendrait les emmener au loin, le cinéma symbolise pour eux l'espoir de changement à venir. Le cinéma est également un cristallisateur de tous leurs rêves et leurs espoirs, une porte ouverte vers l'avenir, un avenir qui serait enthousiasmant, loin de la terrible attente qui fait à présent leur vie et loin aussi des vagues, symbole de désolation du Pacifique. « Pour Suzanne comme pour Joseph, aller chaque soir au cinéma, c'était avec la circulation en automobile, une des formes que pouvait prendre le bonheur humain. En somme, tout ce qui vous portait, soit l'âme, soit le corps, que ce soit par les routes ou dans les rêves de l'écran plus vrais que la vie, tout ce qui pouvait donner l'espoir de vivre en vitesse la lente révolution d'adolescence, était le bonheur « (p 122-123). Le fait que lors de leur rares séjour à la vile Suzanne et Joseph aient consacrés toutes leurs journées à regarder des films de cinéma ne nous parait plus alors comme une excentricité mais plutôt comme un acte normal, une nécessité s'ils veulent garder l'espoir indispensable pour supporter leur condition. Dans la deuxième partie, on se rend compte que le cinéma peut également se rapprocher d'une échappatoire, une cachette où l'on peut se protéger des mauvais coups de la vie Lors de leur séjour en ville pour vendre la bague de M.Jo, Suzanne dans une naïve tentative pour s'intégrer et trouver sa place dans ce « nouveau monde «, la jeune fille, sous les conseils de Carmen, décide de se promener seule dans le haut quartier des riches européens. Néanmoins cette promenade est un désastre et Suzanne, mortifiée par la honte va alors se réfugier dans un cinéma. « Elle se sentit désormais invisible, invincible et se mit à pleurer de bonheur « (page 188). Le cinéma lui permet de s'échapper de la vie réelle et même plus que cela. Elle va y découvrir l'amour au travers des personnages des films. Après cet épisode, Suzanne va passer la plupart de ses journées au cinéma comme pour échapper à la réalité. Comme le dit si bien Carmen à Suzanne (p. 199) « avant de faire l'amour vraiment, on le fait d'abord au cinéma «. Elle préfère s'imaginer à la place des personnages de cinéma plutôt que d'affronter la vie réelle, laquelle n'est pour l'instant que malheur et déception à ses yeux. Seulement même s'il peut en fournir l'illusion, le cinéma ne peut être considéré comme un palliatif à la vie. En effet, les histoires d'amour qui y sont présentés y sont pour la plupart du temps idéalisées. De cette façon le cinéma, parallèlement au fait qu'il permet de mieux supporter la vie en y incluant des éléments de rêves et d'extraordinaire peut rendre la vie que l'on mène insupportable tant elle est éloignée de ce que les films présentent. Cela va ainsi accélérer le désir de Suzanne de quitter sa mère et la plaine. Le rôle du cinéma n'est donc pas à négliger dans le passage à la vie adulte. D'ailleurs, quand Joseph revient chercher la mère et Suzanne à l'hôtel pour les ramener à la plaine, on sent une évolution chez Suzanne puisque celle si s'y oppose ajoutant qu'elle viendra seulement si elle le souhaite. c) Les figures masculines qui forgent la féminité de Suzanne Lorsqu'on s'intéresse à la description faite et l'image véhiculées des différents amants qu'a eut ou qu'aurait pu avoir Suzanne au fil du roman, on peut se rendre compte de l'existence de nombreuses similitudes. Le premier d'entre eux, Mr Jo est le fils d'un riche planteur du Nord, rencontré à Ram. Plus que l'homme, ce que l'on retient de Mr Jo c'est sa richesse. En effet c'est une des caractéristiques principales du personnage et c'est d'ailleurs l'unique raison pour laquelle Suzanne et sa famille s'intéresse, même relativement dans le cas de Suzanne à lui. Cela atténue presque ses défauts, sans y parvenir totalement néanmoins, en témoigne le fait que jusqu'au bout, et ce même après que Mr Jo ait déployé toute l'étendue de son énorme richesse par l'achat de cadeaux superbes à Suzanne, les trois membres de la famille l'ont toujours et ouvertement méprisé. Cela est dû au fait que l'homme est présenté comme étant une personne faible, tant physiquement – il est reconnu comme étant ridiculement laid et d'une nature fragile, ne supportant ni le soleil ni les baignades du fait de la délicatesse de sa peau - que mentalement parlant. En effet, Mr Jo n'est pas d'un tempérament conquérant, il pourrait même plutôt être considéré comme un homme passif soumis au bon vouloir de Suzanne. En cela il ne correspond pas aux canons généralement retenus pour désigner ce qui ferait un bon amant et cela semble le condamner car malgré tous ses détours et ses ruses pour séduire Suzanne, certaines frôlant d'ailleurs l'avilissement, ni cela ni l'argent dont il dispose ne lui livrera Suzanne qui jusqu'au bout se dérobera à ses avances. « Ouvrez-moi, Suzanne, ouvrez-moi. « p.104 « Je crois, dit-il à voix basse, que je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi méchant que vous (…) Quand M. Jo le lui disait, elle ouvrait la porte. Aussi le lui disait-il de plus en plus souvent « (p.106) Par la suite Barner va prolonger la représentation de la figure masculine. Celui-ci présente des similitudes par rapport à Mr Jo de par sa fortune considérable et de son attirance prononcée pour Suzanne, ou plutôt par sa jeunesse et le fait qu'elle soit française. Bien que différemment de Mr Jo, cet anglais, représentant en fils d'une usine de Calcutta n'est pas moins vil que M. Jo. En effet, sous un raffinement apparent - « Barner était un type d'une quarantaine d'années, grand, ç cheveux grisonnants, aux costumes de tweed, qui parlait calmement, souriait peu et qui avait dans la vie une allure en effet très représentative. « p.205. – Barner cache une nature dominatrice qui ne correspond pas plus que M. Jo aux hommes merveilleux que Suzanne pouvait rencontrer dans les fils qu'elle allait voir au cinéma. En effet, Barner, même si contrairement à Mr Jo il va proposer le mariage à Suzanne, ce n'est pas mû par une inclinaison particulière envers la jeune fille mais simplement car justement c'est une jeune fille. « Ce qu'il aurait voulu précisément c'était une jeune fille de dix-huit ans, qu'aucun homme n'aurait encore approchée (…) on [les] formait le mieux et le plus rapidement. (…) On peut les façonner et en faire d'adorables bibelots « (p.211) En allant plus loin que la seule ½uvre d' « Un Barrage contre le Pacifique « on peut se rendre compte que cette vision de la figure masculine décrite par Marguerite Duras a quelque chose de caractéristique dans son ½uvre et peut se retrouver dans d'autres de ses écrits. On fera référence à cette occasion au livre « l'Amant « publié en 1984. Dans ce troublant roman d'initiation amoureuse autobiographique, Marguerite Duras raconte sa relation avec un rentier chinois de Saigon dans l'Indochine coloniale de l'entre deux-guerres alors qu'elle n'était qu'une très jeune fille et lui un homme déjà mûr. Le caractère de cet amant chinois semble avoir marqué l'auteur qui fait transparaitre certaines de ces facettes au travers des personnages masculins d' « Un barrage contre le pacifique «. On relèvera ainsi la recherche d'une certaine esthétique vestimentaire qui anime les trois personnages ainsi que le fait qu'ils soient tous dotés d'une grande fortune. Ce sont tous les trois des hommes de pouvoir, peut être pas du fait de leur caractère dans le ca de Mr. Jo, mais sa richesse lui en confère néanmoins. Ce pouvoir est exprimé particulièrement par le bais de l'automobile, fort symbole de virilité dans l'½uvre de Marguerite Duras. En effet Mr Jo possède une superbe limousine qui fait le bonheur et également le malheur de Joseph par la frustration qu'elle entraîne, ce qui représente un des seuls moments où Mr Jo peut se targuer de susciter l'envie et la jalousie du jeune homme. C'est par et à cause de sa limousine que l'on remarque Mr Jo. Barner possède également une automobile, une limousine dont il est très fier, un véhicule original qui montre également que son propriétaire est un homme fortuné. Enfin on notera que dans « l'Amant «, le riche chinois qui deviendra l'amant de la jeune fille se fait remarquer d'elle également par le biais de sa limousine, révélatrice d'une certaine classe sociale et c'est dans cette même voiture que l'homme initiera la jeune fille à ses tout premiers émois amoureux lorsqu'il lui saisira la main et la lui caressera de manière à ce qu'elle se sente plus femme qu'enfant. Pour Marguerite Duras, ce sont ainsi les hommes par leurs statuts d'amants ou de révélateur de féminité qui contribuent à faire passer ses héroïnes du statut d'enfant à celui de femme. De cette manière, Mr Jo en courtisant Suzanne, il va lui faire prendre conscience de la féminité de son corps et son pouvoir de séduction en l'éloignant ainsi toujours un peu plus de son personnage d'enfant. Les personnages de Jean Agosti et Joseph – malgré le fait qu'il soit le frère de Suzanne, on peut soupçonner que la relation de Suzanne avec son frère, même si elle n'est pas incestueuse, importe beaucoup pour la jeune fille et qu'elle idéalise son frère comme une sorte d'amant rêvé- différent de ceux de Mr Jo et Barner. Pour preuve, contrairement aux deux premiers Suzanne ne méprise pas Agosti et idolâtre son frère. De plus c'est finalement à Agosti qu'elle acceptera de se donner. Jean Agosti est un habitant de la plaine dont la ressemblance avec Joseph est à plusieurs reprises soulignée, ce qui d'ailleurs n'est pas sans incidence sur l'intérêt que Suzanne lui porte. Il est celui qui va conduire Suzanne à la découverte de la sexualité et de la jouissance. Toutefois, on peut remarquer que peu importe les hommes qui tournent autour d'elle, le récit prend bien soin de souligner l'indifférence de la jeune fille à leur égard, voire le mépris pour ce qui concerne M.Jo présenté comme un personnage ridicule, comme s'il fallait dénier le sérieux et l'importance d'une relation amoureuse vécue par l'héroïne « ils croyaient que je ne l'aimais pas et ils le méprisaient pour ça aussi, pour toute la douleur que je lui faisais subir «. Ces hommes ne sont jamais aimés par Suzanne et même l'intérêt relatif qu'elle leur porte n'est jamais dû à leur qualité propre et à ce qui fait qu'ils sont eux, mais plutôt à un intérêt qu'elle pourrait tirer de leur compagnie ou à une image qu'ils pourraient dégager, de pouvoir, de fortune ou tout simplement de ressemblance avec son frère dans le cas d'Agosti. En effet, tout au long du récit, même si parler d'amour serait sans doute trop fort, on se rend compte que pour Suzanne son frère représente une image ultime de l'homme et qu'en comparaison tous les autres paraissent diminués dans son esprit. C'est le seul qu'elle n'ait jamais admiré et à qui elle ait porté un intérêt qui ne soit pas relatif. d) Le lecteur s'identifie à Suzanne par l'utilisation du point de vue interne Par ailleurs, le point de vue de Suzanne est largement privilégié tout au long du récit et va orienter le regard du lecteur su la mère, à la fois insupportable et admirée dans sa folie, ainsi que sur Joseph, le frère qu'elle admire et sur la plaine, lieu d'enlisement, coupé du monde. Ainsi, on peut remarquer que dans la seconde partie, lorsqu'ils sont à la ville, seuls les évènements qui touchent Suzanne sont à la connaissance du lecteur. En effet, on ne sait de Joseph et de la mère que ce que sait l'adolescente. La focalisation se fait ainsi à la fois par et sur Suzanne. Cependant, cette focalisation est moins présente dans la première partie qui fait état avant du destin de la famille dans son ensemble. Le point de vue est alors à la fois celui du narrateur omniscient, de la mère et même de Joseph ou encore de M.Jo. Mais la majorité des scènes reste perçue à travers le regard de Suzanne (ex séquence de la mort du cheval). On peut rattacher cette focalisation au fait que le roman est d'inspiration autobiographique et que le personne de Suzanne n'est autre que le double de Marguerite Duras. Lorsque Suzanne transmet au lecteur son regard sur la piste, génératrice de tous les espoirs des deux adolescents et le fait ainsi rentrer dans les rêves de la jeune fille, qui sont énoncés de telle manière que l'on peut confondre la voix de Suzanne et celle de la narratrice. La voix de Marguerite Duras peut être vue comme un porte parole du discours de l'adolescente. L'emploi du discours indirect libre laisse apparaître la voix de Suzanne. Le discours de Marguerite Duras se confond donc avec celui de Suzanne. Ainsi Marguerite Duras prend part implicitement à son récit car elle est proche des personnages évoqués et de l'univers décrit et l'on ressent sa présence tout au long du récit L'auteur veut se préserver de toute confusion avec l'héroïne et ne revendique aucune vérité autobiographique. Cependant, certains indices dans le système d'énonciation montrent que la narratrice est loin d'être étrangère aux personnages et à leur histoire. En effet, on constate à plusieurs reprises l'emploi ambigu du pronom indéfini « on «, notamment lorsqu'il s'agit d'évoquer la vie familiale « sous le bungalow on était relativement tranquille… « (page 19) comme si l'histoire racontée était aussi la sienne. Cette identification du narrateur au vécu des personnages se trahit également à travers la récurrence des formes orales voire grossières du discours narratif, qui rendent ce dernier proche du discours des deux adolescents « il leur avait semblé à tous les trois que c'était une bonne idée d'acheter le cheval, même si ça ne devait servir qu'à payer les cigarettes de Joseph. D'abord, c'était une idée, ça prouvait qu'ils pouvaient encore avoir des idées « (page 13) Le regard et la voix de Suzanne sont largement privilégiés et l'emploi fréquent du discours indirect libre rend souvent difficile la distinction entre le discours du personnage et celui du narrateur ; Ainsi, tout nous mène a penser qu'il s'agit d'un roman d'inspiration autobiographique. e) Par Suzanne, une description de la propre adolescence de l'auteur. En analysant la biographie de Marguerite Duras, on relève de nombreuses similitudes entre l'enfance de la narratrice et celle de Suzanne. En effet, les parents de Marguerite Duras sont, tous comme ceux de Suzanne, partis travailler dans les colonies françaises en Indochine. Son père est directeur de l'école de Gia Dinh, près de Saïgon et sa mère y est institutrice. Son père va lui aussi mourir laissant sa mère seule avec ses trois enfants. Marguerite Duras a donc deux frères et non pas un seul comme Suzanne. Joseph constituerait donc une association des deux frères de la narratrice. Sa mère va acheter plus tard une des terres que l'administration coloniale incite à posséder. Mais trompée dans son acquisition, elle en sort ruinée et reprend l'enseignement. Ainsi, cette mère connait le même sort tragique que celle de Suzanne avec sa concession. Cependant, la mère de Suzanne n'a jamais repris l'enseignement. Marguerite Duras prend donc certaine libertés par rapport à la réalité de son enfance. D'autres opérations de savant déguisement du vécu font glisser le récit d'enfance vers la fiction. La géographie bascule vers une géographie imaginaire par la simple modification des noms des villes : Réam devient Ram, Kampot se transforme en Kam, et la ville dont on peut penser qu'il s'agit de Saigon n'est jamais nommée. Seul l'arrière plan géographique décrit assez précisément au début du récit, peut être identifiable et repérable : la plaine marécageuse de Kam « cernée d'un coté par la mer de Chine (…) et murée vers l'est pas la très longue chaine… « L'écriture du roman résulterait d'un travail ingénieux, de symbolisation et de déplacement des événements, des personnages et des lieux. II- Les relations au sein de la famille qui met en avant le rôle fédérateur de la mère a) Liens puissants entre les barrages et la mère - Source d'intense désespoir Un des aspects le plus essentiel chez la mère se trouve dans le combat insensé qu'elle mène à la fois contre la malfaisance et la corruption des fonctionnaires du cadastre qui lui ont vendu une concession inexploitable, ruinant dix années d'espoirs et d'économies, et contre le Pacifique qui inonde régulièrement la concession empêchant toute culture. Le côté tragique de ce combat contre le Pacifique est notamment accentué par le fait qu'il était à l'origine porteur d'espoir pour la mère puisque c'est elle-même qui la surnommé ainsi pour désigner la mer de Chine car dans sa jeunesse, ses rêves étaient associés au gigantesque océan Pacifique et non aux « petites mers «. La mère, cependant ne va pas se laisser abattre par cet échec et va imaginer ce projet fou d'édifier des barrages avec l'aide des paysans pour arrêter la force des grandes marées de l'été. La mère et les paysans mettent alors tous leurs espoirs dans ces barrages, rêvant du changement qu'ils allaient apporter « tous seraient riches ou presque, les enfants ne mourraient plus. On aurait des médecins « (p 54-55) « Ils riaient avec elle, à l'avance de la tête que feraient les agents cadastraux devant les récoltes fabuleuses « (p 56). Mais ses barrages peu fiables et rongés par les crabes s'écrouleront dès les premiers assauts du Pacifique. En prenant conscience que la plaine est définitivement incultivable et qu'elle ne peut rien contre les forces de la nature et l'injustice du monde qui l'accable, un désespoir sans fond commence à l'envahir, qui aura finalement raison de son enthousiasme naturel et de sa santé. La mère est donc le reflet du combat livré contre entre ses rêves et ses échecs, entre espoir et désespoir, entre la vie et la mort vers laquelle ses échecs vont peu à peu la tirer. Ses enfants recevront cette image de la mère comme une leçon de vie magistrale découvrant la face terrible de la vie, car la mère est au départ une forcenée de la vie dotée d'un courage exemplaire et avec de grands rêves pour elle et ses enfants. Sa joie de vivre ressort parfois à l'occasion de rires, comme ceux à la cantine de Ram lors de la rencontre avec M.Jo, lorsque Joseph raconte avec un humour acide la misère et la malchance qui les frappent. Cependant ces rires reflètent également une sorte de folie révélée par la réminiscence du coup porté par l'échec des barrages. - Stimulant qui guide sa vie La mère apparaît comme une rêveuse qui n'abandonne jamais et qui vit grâce à l'espoir. Ainsi, ses premiers rêves ont commencé « devant les affiche de propagande coloniale « montrant « à l'ombre des d'un bananier croulant sous les fruits, le couple colonial, tout de blanc vêtu (…) « (p 23) et c'est pleine d'énergie qu'elle a décidé d'accomplir ses rêves en se lançant dans l'aventure coloniale. Et malgré l'échec de ce rêve colonial, elle va recommencer inlassablement en imagination son projet dans l'attente de nouveaux crédits, bâtissant aussi l'avenir de ses enfants avec la même obstination. Mais l'accumulation des échecs va l'entraîner dans le désespoir, désespoir duquel elle va puiser une nouvelle énergie ; Ses rêves deviennent alors des « rêves vides « prenant un caractère obsessionnel et délirant. Cependant, ce désespoir va au fur et à mesure du récit l'accabler de plus en plus, jusqu'à lui enlever toute forme d'énergie et de désir de lutte. Vers la fin, le sommeil auquel elle se laisse brusquement aller, tel un signe annonciateur de sa mort marque sa défaite : elle se retrouve vaincue par la société, ses injustices, par sa lutte incessante, ses échecs, et par la vie. A force de trop lutter, elle en a oublié d'aimer la vie et de se laisser simplement porter par elle. « Bientôt la mère s'endormit tout à fait. (…) elle avait aimé démesurément la vie et c'était son espérance infatigable, incurable qui en avait fait ce qu'elle était devenue, une désespérée de l'espoir même « La mère, malgré ses échecs reste donc animée par l'énergie du désespoir, tantôt découragée, tantôt violente et colérique : dans l'ultime lettre adressée aux agents du cadastre, elle va demander qu'on lui laisse le seul espoir qui lui reste « la perspective d'une nouvelle défaite « b) Entre les deux enfants : un statut différent au sein de la famille - Relation entre la mère et Suzanne La relation entre la mère et sa fille est aussi forte. La prise de conscience brutale par la mère des possibles relations de sa fille avec un homme, bien qu'elle n'ait jamais la preuve de leur réalité fait naître en elle une incroyable violence envers sa fille. La mère va battre Suzanne pendant des heures et des heures lorsque celle-ci lui montre le diamant offert par M.Jo. Mais ces excès de violence sont aussi pour elle une manière d'extérioriser son malheur, sa haine, sa révolte contre les injustices qui lui ont été faites. On apprend d'ailleurs que la mère bat régulièrement sa fille depuis l'écroulement des barrages et qu'elle a aussi battu Joseph lorsque celui-ci était plus jeune jusqu'à ce qu'il soit devenu plus fort qu'elle. Dans la seconde partie, Suzanne va immobiliser la main de sa mère lorsque cette dernière tente de la gifler, constituant un symbole de l'affranchissement progressif de Suzanne vis-à-vis de sa mère. - Place prépondérante du fils Joseph exerce tout au long du récit une autorité qu'aucun membre de la famille ne semble contester, comme s'il reconnaissait comme légitime la place de chef de famille du fils. Le moment où joseph accède à ce statut est nettement marqué dans le récit par la séquence de la visite de l'agent cadastral. Lorsque l'agent de Kam vient inspecter la concession de la mère, sachant pertinemment que le tiers de la terre n'a pas pu être mis en culture comme la loi l'exige pour que la mère puisse la conserver, Joseph fait comprendre à la mère que c'est à lui désormais que revient la charge des affaires. Cette scène au cours de laquelle Joseph affirme sa virilité « devenu tout à fait un autre homme « fixe de nouveaux rapports entre le fils et la mère, celle-ci reconnaissant à Joseph la place de l'homme de la famille. Le comportement de celui-ci suscite d'ailleurs chez la mère une réaction de plaisir comme si la mère retrouvait enfin après tant d'années la présence d'un homme auprès d'elle « la mère regarda sons fils… du seul plaisir, toute lassitude chassé « La violence sereine de joseph s'affronte donc avec la loi du système colonial contre laquelle il tente d'imposer sa propre loi, celle de la force, qui passe d'abord par la grossièreté verbale puis par la menace physique de l'agent : cette force s'impose tant aux yeux de la mère et de Suzanne qu'à ceux de l'agent qui n'osera plus menacer la famille que par des avertissements écrits. Cette violence va permettre au fils d'assoir son pouvoir dans la famille. La violence de joseph est aussi glorifiée par ses actes d'héroïsme, tant comme chasseur, ce qui permet d'assurer la subsistance de la famille, que comme défenseur de celle-ci, protecteur de la mère mais aussi de Suzanne ou encore comme révolutionnaire, porteur de la mémoire du combat héroïque mené par la mère. La force de joseph physique et morale règle le bon fonctionnement du clan familial qui se désintégrera lorsqu'il quittera la plaine. Joseph est un véritable substitut de la figure paternelle et constitue pour Suzanne un modèle. Par ailleurs, tout au long du récit, le fils semble occuper une place privilégiée dans le c½ur de sa mère, qui pourrait notamment s'expliquer par l'absence de son époux. Le fils va alors se substituer à la figure paternelle en devant affirmer son autorité et sa force pour protéger sa famille. La mère se rend malade lorsque son fils disparaît plusieurs jours d'affilé lors de leur séjour en ville, mais aussi lorsqu'elle sent qu'il va bientôt quitter la plaine. A la fin, lors du décès de la mère, la force de l'amour entre la mère et son fils se dévoile enfin : Joseph est couché sur le corps inerte de sa mère tandis que le visage de cette dernière reflète une « jouissance extraordinaire…inhumaine «, cette même jouissance déjà ressentie lorsque la virilité de Joseph s'était montrée à elle, lors de la visite de l'agent cadastral. c) Un portrait paradoxal de la mère, à la fois… Le récit tout en s'articulant autour de l'évolution dans l'adolescence de Suzanne et de Joseph, est à la fois orienté par l'histoire de la mère. En effet, le récit rend hommage à la mère et à son importance dans l'enfance en valorisant son courage et en dénonçant l'injustice qui lui a été faite. Ainsi dès les premières pages, l'histoire de la mère occupe une grande partie du récit, lequel s'achève avec sa mort. Elle devient une héroïne qui ose s'opposer aux puissances du destin en affrontant les marées du Pacifique et l'injustice de la société coloniale. - Mère exemplaire Au-delà du combat mené contre l'injustice de la société coloniale, l'unique raison de vivre de la mère réside dans ses enfants. C'est donc tout d'abord une mère aimante. C'est la force de l'amour maternel qui pousse notamment la mère à construire ses barrages dans l'espoir d'offrir une vie meilleure à ses enfants. Cet amour se retrouve tout d'abord dans son rôle de mère nourricière. A plusieurs reprises, la narratrice évoque le bonheur de la mère à voir manger ses enfants, effaçant sa colère pour laisser place à une douceur rare «Quand il s'agissait de les gaver, elle était toujours douce avec eux «. Lorsque Joseph ramène Suzanne et la mère à la plaine après le séjour à la ville, la mère n'est rassurée qu'après avoir donné deux sandwiches à Joseph car « Jusque là peut être avait elle douté qu'elle eût encore à le nourrir « Mais cet amour va la rendre malade et la plongée dans une folie aggravée par l'échec de ses barrages. Cet échec la met dans l'impossibilité d'offrir à ces enfants la vie qu'elle aurait voulu leur donner. Cette folie se traduit notamment par ses excès de violence envers Suzanne. Elle craint également que ses enfants la quittent .Ainsi, lors de son séjour en ville, la mère va passer son temps au lit dans une inquiétude immense pour son fils qui s'est absenté durant plusieurs jours sans donner de nouvelles. - Mère violemment aimante Cependant, si cet amour constitue une force violente qui submerge la mère jusqu'à l'anéantir, il ronge également les deux adolescents qui n'osent pas quitter la plaine pour la ville, laissant derrière eux leur mère seule. Ce danger de la mère est notamment évoqué par Carmen qui donne à Suzanne pour premier conseil de s'affranchir de l'amour de la mère et qui voit cette dernière comme un « monstre dévastateur « « Elle avait saccagé la paix de centaines de paysans de la plaine. Elle avait même voulu venir à bout du pacifique. Il fallait que Joseph et Suzanne fassent attention à elle. Elle avait eu tellement de malheurs que c'en était devenu un montre au charme puissant et que ses enfants risquaient pour la consoler de ses malheurs de ne plus jamais la quitter, de se plier à ses volontés, de se laisser dévorer à leur tour par elle « Les enfants sont liés à cette mère qui s'est sacrifié tout au long de sa vie pour eux et qui symbolise notamment leur enfance, ce qui rend d'autant plus difficile leur départ de la plaine et son « abandon «.«C'était intenable de se rappeler des choses sur elle, qu'il était préférable pour lui et pour Suzanne que la mère meurt « (p 284) - Héroïne mythique L'histoire d'une femme abusée par l' « ignominie « des fonctionnaires coloniaux et livrée à son désespoir devient le récit héroïque d'une femme combattant les forces de la nature (le Pacifique) et l'injustice du monde avec la même folie. Sa puissance paraît dépasser les limites de l'être humain. Elle se croit capable de combattre la misère et le désespoir en érigeant ses barrages, mais cette image mythique disparaît car la mère finit par échouer : elle ne viendra jamais à bout de la stérilité de la plaine saturée de sel. Elle reste donc un être profondément humain soumis à des forces qui la dépassent. La folie qui finit par la gagner donne un aspect tragique au récit : la mère refuse d'admettre son échec et s'engage dans une lutte incessante contre la fatalité et la malchance qui l'affligent. III- La réalité coloniale a) Le peuple de la plaine, condamné à la misère Le pays natal de Joseph et Suzanne est présenté à travers son environnement hostile : la violence des marées du pacifique, la plaine marécageuse et saturée de sel, les fauves assassins, les enfants affamés, la maladie, la forêt tropical envahissante. « Les lianes et les orchidées, en un envahissement monstrueux, surnaturel, enserraient toute la forêt et en faisaient une masse compacte aussi inviolable et étouffante qu'une profondeur marine « (p 159) ; « et déjà le parfum du monde sortait de la terre, de toutes les fleurs, de toutes les espèces, des tigres assassins et de leurs proies innocentes aux chairs mûries par le soleil « (p 158) Mais l'aspect qui ressort le plus est la misère présente partout, et qui est notamment évoqué à travers les descriptions des enfants. Ces enfants meurent de « la faim, des maladies de la faim et des aventures de la faim « mais pourtant continuent de jouer «ils ne cessaient de jouer que pour aller mourir. De misère. Partout et tout le temps «. La narratrice montre alors qu'ils n'ont aucune autre issue que la mort. Elle consacre notamment une attention particulière à la façon dont leur mort est perçue. En effet, celle ci est perçue comme quelque chose de complètement normal notamment pour leurs parents, aussi naturel que leur venue au monde : Ainsi, elle décrit ce père qui s'empresse d'enterrer son enfant mort pour éviter d'être envahi par les poux de ses cheveux (page 330) Ils sont toujours nommés sous un pluriel indistinctif pour mettre l'accent sur leur nombre important et sont notamment décrits comme proliférant dans la plaine au même titre que les chiens errants, se faisant écraser par les automobilistes indifférents « Et bien qu'il en mourût par milliers, il y en avait toujours autant sur la piste de Ram « (pages 330-331). Ils deviennent une gêne aussi bien pour la circulation que pour la conscience des blancs qui justifient leur mort par le fait qu'ils sont « trop « (p 332) « Et il fallait bien qu'il en meure « car la plaine ne peut pas nourrir tout le monde. Par ailleurs, leur apparition régulière dans le texte, plus ou moins longue rythme l'évolution de Suzanne et Joseph. Car ils font partie intégrante de leur enfance et constituent des compagnons de jeux privilégiés. La misère est notamment évoquée à travers l'histoire du caporal, symbole du peuple indochinois et de tous ces maux, traité comme un bagnard et battu à mort et dont la femme accouchait des enfants des miliciens dans la forêt, enfants qui ne survivaient jamais, emportés par le paludisme. Les femmes « toujours en train d'enfanter et toujours affamées « (p 245) « Les femmes tout aussi bien que les hommes et les enfants mourraient du paludisme suivant un rythme assez rapide pour permettre aux miliciens (…) d'en changer suffisamment souvent « (p 245) – La narratrice dénonce alors l'ignominie des miliciens à travers sa façon d'évoquer la mort des indigènes comme quelque chose de normal et « d'arrangeant « pour eux, tout comme la mort des enfants de la plaine paraît être accommodante pour les agents du cadastre. La mère le décrit très bien dans sa dernière lettre aux agents du cadastre « Et je leur dis la vérité, que plus il mourra d'enfants dans la plaine, plus la plaine se dépeuplera et plus votre mainmise sur la plaine se renforcera « p 295 « les terres que vous convoitez et que vous leur enlevez, les seules terres douces de la plaine, sont grouillantes de cadavres d'enfants « (p 296) Ce thème des enfants s'impose donc à travers le récit qui se clôt d'ailleurs sur leur évocation «Mais les enfants étaient partis en même temps que le soleil. On entendait leurs doux piaillements sortir des cases«. b) La ville coloniale, dédiée à une élite La description de la ville coloniale : une ville partagée entre la noblesse des colons et la misère des indigènes. D'un côté la ville « blanche « : les hauts quartiers riches, spacieux, parfaitement entretenus, d'une « impeccable propreté « où vit la bourgeoisie coloniale et où se trouve « le pouvoir profond, les prêtres de la Mecque, les financiers « (page 167). La narratrice la décrit comme « un espace orgiaque «, un « bordel magique «, un « éden «, un « théâtre « où la race blanche pouvait se donner, dans une paix sans mélange, le spectacle de sa propre présence « (page 169) L'accent est mis sur l'incroyable propreté des hommes blancs qui sont « formés « dès leur arrivée à être de parfaits petits colons. Ce blanc, cette propreté va ainsi créer un contraste encore marqué avec l'autre partie de la ville « aussi les blancs se découvraient-ils du jour au lendemain plus blancs que jamais « (p 168) ; même les garçons de café de ces quartiers, essentiellement des indigènes étaient « déguisés en blancs « La narratrice insiste sur l'alcoolisme très présent dans les villes coloniales « on pouvait voir les blancs, suçant pernods, whisky-soda, ou martelperrier, se faire en harmonie avec le reste, un foie bien colonial « ; mais aussi sur une richesse démesurée, tellement importante qu'elle « devait ne servir à rien « (p 169) De l'autre côté, délimité par les circuits de tramway « l'autre ville, celle qui n'était pas blanche « où vivent «les blancs qui n'avaient pas fait fortune, les coloniaux indignes «, la « pègre blanche « qui côtoient les« pulluleux bordels du port « mais qui, cependant, étaient «ce qu'il y avait de plus honnête, de moins salaud dans ce bordel colossal qu'était la colonie«. Dans cette partie de la ville semble régner le désordre, l'agitation, la saleté et la pauvreté. « là les rues étaient sans arbres, les pelouses disparaissaient (…) elles étaient grouillantes d'une marmaille joueuse et piaillante et de vendeurs ambulants qui criaient à s'égosiller dans la poussière brûlée « (p 171) c) Un contraste saisissant Deux différentes sortes de colons ressortent donc de l'organisation coloniale. D'un côté, les petits planteurs vivant de trafics divers (pernod, opium), ceux qui vivent dans la plaine aux abords des villages où vivent les petits paysans dans un dénuement absolu à la merci de toutes les maladies, de la cruauté des tigres et de la force aveugle et meurtrière des marées de l'océan. Ce sont aussi ceux qui comme la mère ont acheté des concessions incultivables, devenant les victimes des agents du cadastre. D'un autre, les riches planteurs, les chasseurs citadins, membres de la bourgeoisie coloniale, commerçante ou financière qui vivent dans les hauts quartiers des grandes villes coloniales et dont la prospérité s'est fondée sur l'exploitation du pays «le latex coulait. Le sang aussi. Mais le latex seul était précieux, recueilli, et, recueilli, payait. Le sang se perdait. On évitait encore d'imaginer qu'il s'en trouverait un grand nombre pour venir un jour en demander le prix«. Le père de M. Jo en est un excellent exemple : «un très riche spéculateur dont la fortune était un modèle de fortune coloniale. Il avait commencé par spéculer sur les terrains limitrophes de la plus grande ville de la colonie [...] Il avait fait construire des maisons de location à bon marché« (page 62-63) Et, enfin, au-dessus de tout ce monde, dominateurs, imposteurs, et profiteurs au détriment des plus pauvres des blancs : les fonctionnaires de l'administration coloniale qui ne vivent que de pots de vins et d'extorsions de fonds. Dans sa dernière lettre au cadastre, la mère nous dresse ainsi à travers sa propre expérience un portrait de ces « chiens du cadastre « qui font « un horrible métier « et dont elle condamne l' « ignominie «, les « fabuleuses fortunes «. Ils ont laissé à la mère une concession incultivable, « un désert de sel et d'eau « en l'échange de toutes ses économies pour lesquelles elle a travaillé quinze ans de sa vie, et qu'elle est la quatrième à occuper, tous les prédécesseurs étant «tous ruinés ou crevés«. Les agents du cadastre lui accordèrent avec cynisme un délai «pour la mise en culture«. d) Un contexte difficile qui entraîne une quête de l'argent omniprésente et qui exalte toute sorte de désirs. - La quête de l'argent L'obsession pour l'argent est présente tout au long du texte et provient avant tout de la misère dans laquelle se retrouvent la mère et ses enfants suite à l'échec connu avec leur rêve colonial. L'argent représente le pouvoir, le moyen pour la mère de faire face à Il lui a permet d'accomplir son rêve colonial puisqu'elle a du économiser pendant dix ans pour pouvoir obtenir sa concession dans la plaine de Ram. Mais il représente aussi un moyen pour elle de lutter contre les forces qui l'accablent dans cette société coloniale corrompue par l'argent. La rencontre avec M.Jo va susciter de nouveaux espoirs chez la famille de part son importante richesse. La mère prévoit même de lui donner ou plutôt « vendre « sa fille en mariage, comme ce sera plus tard le cas avec Barner qui offre 30 000 francs pour se marier avec Suzanne. Suzanne devient l'objet d'un ignoble marchandage, se prostituant presque pour contenter provisoirement les désirs voyeurs de M. Jo, dont tout le monde se moque. Quant à Suzanne son intérêt pour M.Jo est aussi uniquement financier. Elle le laisse la couvrir de cadeaux tout en restant indifférente à son égard. Lorsqu'il commence à évoquer un possible mariage, tout ce qui semble l'intéresser est de savoir quelle voiture ils auraient, s'il en offrirait une a Joseph « si Joseph n'a pas d'auto, vous pouvez garder toutes vos autos, la mienne y compris et puis épouser qui vous voudrez « (p 102) ; Plus tard, lorsque M.Jo vient lui présenter les trois bagues de diamant en l'échange d'un séjour à la ville en sa compagnie, Suzanne en demande immédiatement la valeur car le diamant ne représente pour elle qu'une possibilité d'échange contre de l'argent et ainsi contre un meilleur avenir « un objet d'intermédiaire entre le passé et l'avenir . C'était une clef qui ouvrait l'avenir et scellait définitivement le passé« (p 126). C'est d'ailleurs cette bague qui va bouleverser leur vie et qui va les amener à la ville dans l'espoir de la vendre. D'autre part, l'obsession de la mère pour l'argent se remarque lorsqu'elle parcourt avec acharnement tous les diamantaires et bijoutiers de la ville pour obtenir le prix qu'elle attend du diamant de M.Jo. Car l'argent qu'il représente a déjà fait naître en elle de nouveaux espoirs et de nouveaux projets. Il représente la perspective d'un avenir meilleur ; Et chaque fois, qu'elle est en possession d'argent ou qu'elle sent l'occasion de s'en procurer, elle élabore encore et toujours de nouveaux projets. Bientôt ce diamant suscite en elle un profond dégout car il représente un échec nouveau pour elle. Lorsqu'elle se rend compte qu'elle n'arrivera pas à obtenir le prix qu'elle désire tant, elle se met à penser à une nouvelle « tactique « pour se procurer de l'argent : retrouver M.Jo pour qu'il reprenne ses relations anciennes avec Suzanne. Lorsque Joseph réussit finalement à vendre le diamant pour vingt mille francs, la mère s'empresse d'aller payer ses dettes à la banque et tente de nouvelles démarches pour qu'on lui accorde de nouveaux crédits, en vain. Cet argent en main lui avait déjà donné l'idée d'obtenir une hypothèque sur cinq hectares de sa concession. Après le diamant, c'est le phonographe offert par M.Jo qui est la nouvelle préoccupation de la mère. Ainsi elle se réfugie par tous les moyens dans les possibilités d'obtenir de l'argent car celui-ci est associé à l'espoir. « Elle prit l'habitude de tabler l'avenir de la vente du phonographe, comme elle l'avait fait sur l'hypothèque des cinq hectares, sur la bague de M.Jo et plus généralement et plus durablement sur les barrages « (page 252) Joseph va ainsi vendre le phonographe « pour être sûr qu'il y a plus rien à vendre « (page 254) ; Mais il reste toujours le diamant « il était désormais leur seul bien « (page 255). Après le départ de Joseph, les dernières semaines de la vie de la mère vont notamment tourner autour de la vente du diamant. « Elle ne savait pas ce qu'elle ferait de l'argent. Ce qu'elle savait c'était qu'elle ne tenterait plus de nouveaux barrages « (page 319) . Plus la fin est proche, plus l'espoir associé à l'argent s'affaiblit car il ne représente plus alors aucune perspective d'avenir. Cette quête de l'argent renvoie notamment à la notion de désir - Le désir Le désir peut être un des moteurs les plus puissants de l'humanité. Il peut être étonnant de se rendre compte à quel point le bonheur humain semble par certains aspects indépendant du contexte même de celui dans lequel nous vivons, pour n'être plus assujetti qu'à notre propre capacité à éprouver du désir. Ce concept a été développé par J.J Rousseau qui pensait ainsi que le vrai bonheur résidait dans les désirs et n'ont pas dans leur assouvissement. Le récit d' « un Barrage contre le Pacifique « offre un terrain d'application à cette idée qui y est partiellement vérifiée. En effet, à défaut de leur apporter un réel bonheur, le désir et l'espoir représentent le dernier barrage qui sépare les habitants de cette plaine désolée du désespoir de l'enlisement du quotidien. Cette insatiable quête du désir et de l'espoir se fait sentir chez tous les protagonistes de ce roman, qu'importe leur statut social ou leurs conditions. Le rêve colonial s'est rapidement mué en un véritable enfer, et l'espérance si elle peut presque apparaître comme une lubie ou une sorte d'excentricité parfois, elle est néanmoins nécessaire en cela qu'elle représente un palliatif aux espoirs plus grands, déchiquetés sur l'autel de la culpabilité et du cynisme. La mère est le meilleur exemple de cet état des choses. Cette ancienne institutrice avait cru trouver le bonheur dans l'exotisme colonial. La réalité s'est révélée être tout autre. Après avoir perdu son époux et son argent, du fait de la duperie d'agents cadastraux qui lui ont vendu une terre incultivable en échange d'années de labeur, cette mère garde néanmoins une sorte d'entrain qui la pousse en avant. Elle a tout sacrifié dont notamment l'amour et sa jeunesse pour ses enfants et cela pour rien. Toutefois, elle réussit à trouver un nouveau sens à sa vie là où on ne l'attendait pas forcément : le travail. La mère met ainsi toute son ardeur dans la culture de terres inexorablement destinées à périr sous l'assaut des vagues du Pacifique et dans la conception de projets plus ou moins farfelus pour tenter d'améliorer le sort, soutenu par « l'artifice coutumier d'un espoir imbécile «. Joseph et Suzanne tentent eux aussi à leur manière de s'en sortir par l'intermédiaire de leur imagination, à défaut de pouvoir l'éprouver dans la vie réelle. Leurs songes les mènent loin de leur misère qui les condamne à l'horreur d'une attente latente. Leurs désirs se trouvent cristallisés à l'endroit de la piste qui représente pour eux le symbole d'une échappatoire. Ils passent ainsi des heures à contempler cette route, Suzanne fantasmant sur l'arrivée improbable d'un chasseur qui la ferait monter en voiture et l'emmènerait au loin, quittant l'enfer de la plaine. Ce fantasme est quasiment semblable pour Joseph à la différence qu'il substitue au chasseur une belle blonde. Celle-ci, sophistiquée, symbolise l'attrait de Joseph pour la vie citadine ; elle conduirait une belle voiture qui tomberait en panne devant leur bungalow, permettant à Joseph de faire montre de son talent en matière de réparation. Seulement le dérivatif que représente le rêve pour échapper à la vie réelle ne peut pas totalement faire oublier le fait que la famille demeure maintenue dans une pauvreté qui leur fait honte par les pratiques malhonnêtes et corrompues de l'administration coloniale. A cet endroit, le désir quand il est aussi éloigné de la réalité que l'on subit, peut ne plus remplir son rôle réconfortant et laisser place au goût amer de la frustration qui peut amorcer les prémices du cynisme. On peut observer dans la plaine d'autres exemples d'acharnement, de combat pour le désir et la vie. En effet, les populations indigènes placées par l'Administration en toute connaissance de cause dans des « compartiments qui se prêtent très bien à la propagande de la peste et du choléra « mènent une vie bien plus indigne encore que la mère et ses enfants. Pourtant, les cohortes d'enfants qui naissent sans cesse « les bouches ouvertes sur leur faim « et meurent au même rythme vagabondent le sourire aux lèvres dans la perspective du jeu à venir. Hors de la plaine également, à une autre échelle, chaque personnage porte une désillusion qu'il tente de compenser par une espérance, une foi en l'avenir qui sera meilleur une fois l'objet de son désir comblé. Pour M.Jo, il s'agit du fait d'obtenir les faveurs de Suzanne, espoir qui le guidera tout au long du récit. Quant à Barner, sa soif de posséder une jeune fille française modelable le pousse depuis des années et même si ses échecs l'ont frustré, il risquera toujours une nouvelle désillusion dans l'espoir d'obtenir l'objet de son désir. Karl Marx disait « la religion est l'opium du peuple «, on peut alors supposer qu'il en va de même pour le désir.

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« son enfance mais également une prise de position politique qui dénonce le système colonial.

Son style, elliptique etsimplifié, évolue vers le Nouveau Roman, notamment dans les Petits Chevaux de Tarquinia (1953).

En 1958,Marguerite Duras voit pour la première fois un de ses ouvrages adapté au cinéma : Un Barrage contre le Pacifiqueest réalisé par René Clément.

D'autres oeuvres, telles que l'Amant, seront également mises en images plus tard.Parallèlement à son écriture, l'engagement politique de la romancière, dans le camp de la gauche, est de plus enplus fort : elle milite contre la guerre d'Algérie, s'engage dans la révolution féministe de Mai 68 et signe le manifestecontre l'avortement en 1971.

Elle s'essaie au théâtre, avec des pièces comme la Musica (1965) et signe desscénarios de films, dont Hiroshima mon amour (1958) et Une aussi longue absence (1960).

Elle passe ensuite à laréalisation, notamment avec India Song (1975) ou le Camion (1977).

L'Amant (1984) est le livre qui l'ouvreréellement aux yeux du grand public et lui assure un succès certain.

En parallèle, sa vie s'écoule aux côtés de soncompagnon Yann Andrea Steiner, qui sera le dernier homme à partager sa vie.

Rongée par l'alcool, Marguerite Durascontinue à écrire (elle publie La pluie d'été en 1990 et L'amant de la Chine du nord en 1992) puis à dicter sesromans avant de s'éteindre le 3 mars 1996. Etude de l'½uvre :« Un barrage contre le Pacifique »Introduction Lorsque que Marguerite Duras commence la rédaction de son ½uvre, « Un barrage contre le Pacifique » en 1947, laguerre d'Indochine dure déjà depuis un an du fait des tensions opposants les colons français installés dans cetterégion asiatique et les nationalistes indochinois, soutenus par le parti communiste.

Il s'agit donc d'un contexterelativement troublée de l'Histoire qui confère une autre dimension à cet ouvrage qui nous donne à voir une autreperspective de la vie en Indochine, au travers du regard des colons français de toutes conditions, mais égalementen décrivant les conditions de vie des populations indigènes.

Il ne s'agit pas ici d'un simple roman de fiction oùl'auteur s'inspirerait de ce qu'il aurait appris d'autres sur le sujet, mais bel et bien d'un roman autobiographique.

Eneffet, Marguerite Duras a une connaissance toute particulière du contexte dont on traite dans cet ouvrage ayantelle-même vécue en Indochine jusqu'en 1932.

Elle mêle ainsi habilement des éléments ayants trait à sa proprehistoire et de la fiction pure, rendant la frontière entre réalité et imagination romanesque d'autant plus intéressantequ'elle est rendue difficile à discerner.

Différents thèmes s'entrecroisent dans ce roman publié en 1950 parmi lesquelsla désillusion des espérances que les colons venus en Indochine ont pu placé dans ce qui leur semblait pouvoirdevenir leur paradis terrestre.

Seulement comme toute rêve utopique, il comporte une part de contre utopie et unefois cette face sombre dévoilée, il s'est renfermé à la manière d'un piège sur ceux qui y avaient cru.

Ces victimes del'espérance se sont alors retrouvés condamnés à une existence de misère, enferrés à des territoires inhospitaliersqui se révèleront être de vrais incubateurs, propices au développement de toute sorte de vice et d'espoirs déçus. Résumé de l'intrigue Ce récit de Marguerite Duras relate la vie d'une mère et de ses deux enfants, Joseph et Suzanne, en Indochine,pendant la période de colonisation française.

La mère, propriétaire d'une concession incultivable, tentedésespérément de construire un barrage contre le Pacifique, qui inonde régulièrement ses terres et lui enlève touteperspective d'avenir heureux pour elle et ses enfants.

Joseph et Suzanne, l'un révolté, l'autre passive, attendent depouvoir aller enfin quitter la plaine.

La rencontre du fils de M.Jo, un riche planteur va bouleverser leur vie.

Lorsquecelui-ci s'éprend de Suzanne, l'horizon s'entrouvre pour chacun, jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'il ne l'épouserapas.

Cependant avant de quitter la concession, il laisse à la jeune fille une bague ornée d'un diamant : un diamantqui va être déterminant dans leur vie. Première partie Les événements de la première partie ont lieu dans la plaine de Kam en Indochine. Page 17 à 38L'histoire débute autour de l'achat d'un cheval qui ne vécut que huit jours.

Celui-ci devait servir à Joseph pour qu'ilramène un peu d'argent.

La vie dans la plaine est alors décrite comme étant misérable, amère et ennuyeuse.

Lesrelations conflictuelles entre la mère et ses enfants sont dès lors mise en avant.Quelques années plus tôt, la mère était arrivée à la colonie avec son mari, tous deux instituteurs, sous lespromesses faites de s'y enrichir.

Ils eurent alors deux enfants, Joseph et Suzanne.

Ils vécurent aisément pendant denombreuses années.

A la mort du père, la mère dut élever ses enfants avec difficulté.

Elle avait abandonnél'enseignement d'Etat pour donner des leçons particulières, auxquelles s'ajoutèrent des leçons de piano.

Puis, elle futengagée comme pianiste à l'Eden-Cinéma pendant dix ans ; dix années durant lesquelles elle économisa dans le butd'acheter une concession au cadastre de la colonie.

Dès son achat, elle mit ainsi en culture la moitié de saconcession en espérant que les récoltes lui rapporteraient de quoi payer la construction d'un bungalow.

Cela faisaitmaintenant six ans qu'elle vivait dans la plaine, ces terres s'étaient trouvées être incultivables car sans cesseinondées par les eaux du Pacifique et la famille s'était retrouvée ruinée et endettée par ces investissementsmalheureux.

Elle avait ainsi jeté « ses économies de dix ans dans les vagues du Pacifique » (page 25), lui faisantprendre conscience du « grand vampirisme colonial ».

Elle s'était alors lancée dans une lutte acharnée et sans fincontre les agents du cadastre mais aussi contre le Pacifique en tentant d'ériger un barrage avec l'aide des paysansde la région.. »

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