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Baruch de Spinoza

Publié le 22/02/2012

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spinoza
Dans l'étrange ghetto d'Amsterdam que nous laisse entrevoir Rembrandt, Baruch de Spinoza vécut une enfance studieuse et docile. Sa famille, originaire d'Espagne, tenait un rang honorable dans la conduite des affaires commerciales et culturelles de la communauté juive. Puisque au dire de ses maîtres et particulièrement du sévère traditionaliste Saül Moteira, le jeune Baruch était remarquablement doué pour la théologie, on le destinait sans doute au rabbinat. Habile à commenter le Talmud, il paraissait tout désigné pour succéder à ses maîtres dans la défense du dogme et de la tradition. Baruch était tout le contraire d'un révolté, le contraire d'un sceptique et d'un libertin.    Mais c'était un esprit libre, et c'est pourquoi le 27 juillet 1656, cet univers déjà mort dans son coeur se sépara de lui comme d'un membre malade. Ce n'est sans doute pas sans amertume que Saül Morteira frappa de la terrible excommunication son disciple le plus ardent, aujourd'hui accusé " d'effroyables hérésies " par les fanatiques. Il comprit ce jour-là que la question était encore plus grave en constatant l'absence de Spinoza dans la salle : le disciple n'était pas venu entendre la sentence parce que rien de tout cela n'avait de sens pour lui désormais. Pourtant Spinoza avait soigneusement rédigé ce qui n'était guère une défense, mais déjà l'esquisse d'une autre pensée. En un court texte, dont on trouvera plus tard le développement dans le Tractatus theologico-politicus, il avait renouvelé ses doutes sur l'enseignement rabbinique, sans provocation mais avec fermeté : il n'était plus possible de croire aveuglément en l'authenticité et la sainteté des livres sacrés, et au-delà de cette exégèse biblique, il y avait le doute sur l'esprit même de toute religion. Les accusateurs n'avaient pas soupçonné à quel point Spinoza était loin d'eux.    Le voilà donc seul, à vingt-quatre ans, on ne sait trop où, gardant le contact avec la maison de commerce de son père, mais bientôt, pour gagner son indépendance, apprenant la délicate taille des verres télescopes. Et dans cette mystérieuse solitude, il cherche à comprendre ce que signifie cette rupture avec la race et la religion de son enfance. Il n'est pas devenu chrétien pour autant. Certes, il a, sans crainte et avec curiosité, fréquenté les chrétiens libéraux, voire les libres-penseurs qui se réunissaient chez l'ex-jésuite Van den Endem, mais il n'a jamais songé à rallier la foi chrétienne. Ce n'est donc pas qu'il ait abandonné la fausse Église pour une autre, c'est qu'il a été séduit par une autre vie, la vie en pensée, la vie philosophique.    De cette méditation solitaire sont nées les quelques propositions fondamentales de l'Éthique, mais le livre, lentement rédigé, cent fois repris, ne paraîtra qu'après sa mort. Spinoza était parfaitement conscient qu'il contenait la réponse définitive à l'anathème prononcé contre lui et il savait cette réponse quasi incroyable ; il savait que ce livre n'avait peut-être pas un seul lecteur véritable ni parmi ses ennemis ni même parmi ses amis.   
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« toujours à l'âme une course sans fin à accomplir, la transcendance sacrée au seuil de laquelle l'homme demeure sansparole, abîme de petitesse ; l'infini est au contraire l'idée claire, parfaitement conçue et qui fait concevoir toutautre, source de tout être et de toute intelligibilité.

L'infini n'est pas l'obstacle insurmontable de la raison, maisl'essence même de l'intelligibilité divine.

Tout être fini n'est que partiellement intelligible et ne devient compréhensibleparfaitement que compris dans le tout.

Toute détermination est négation, c'est-à-dire : toute assignation de limitesnie, exclut, quelque chose de l'infini qui est affirmation absolue, être positivement conçu.

Au principe de toutechose, il y a l'être infini qui le comprend, aux deux sens de ce terme : l'intègre et l'explique.

Les choses particulièressont donc des modifications de la substance infinie, tandis que la substance infinie n'est rien en dehors des modesdans lesquels elle s'explique et se développe.

Tel est le Dieu intelligible de Spinoza, le Dieu même des religions, pensé en vérité et sans concession aux imaginations de l'homme.

La philosophieest le langage raisonnable qui révèle ce Dieu comme le Tout infini de l'être dans son unicité : elle est donc système, liaison organique de tous lesconcepts de toutes les choses dans l'unicité du concept de Dieu.

" Athée de système ", dit excellemment Bayle L1082 de Spinoza.

C'est en effet par le discours absolument cohérent que Dieu se révèle la substance même des choses et non transcendance au monde.

La révélation philosophiquen'est pas la parole sacrée que l'homme doit croire sans comprendre ; elle est coextensive à l'être même, la transparence de l'être.

Il reste à expliciter cet être unique, à développer la proposition initiale qui pose inséparablement son essence et son existence, son existence dansson essence.

Par définition, Dieu est l'infinité des attributs, tout ce que l'entendement révèle de l'être comme constituant son essence.

On ne peutpenser Dieu autrement et on ne peut rien penser sans cette pensée.

Spinoza, qui a appris chez Descartes H015 l'admirable pouvoir des mathématiques, enchaîne donc les propositions les unes aux autres développant l'essence de l'être nécessaire qui est ses attributs et est connupar eux.

Les théologiens ont cherché les propriétés de Dieu, le plus souvent en sublimant celles de l'homme : Dieu est immuable, tout connaissant,indépendant, créateur.

Mais par ces propriétés, ils l'ont reconnu et séparé des autres êtres, ils ne l'ont pas connu tel qu'il est en soi, dans sanature.

Déclarent-ils celle-ci inconnaissable ? Alors il leur faut renoncer à parler et douter du pouvoir naturel de connaître.

Nous savons que Dieuest connu d'une manière intelligible, en soi, sans le secours d'autre chose : ses attributs sont donc la pensée et l'étendue.

Il faut rendre àDescartes H015 son dû : c'est lui qui a découvert l'intelligibilité de ce qu'il croyait être des substances créées par Dieu.

Mais là est son erreur : l'attribut n'est pas attribué à une personne, mais est Dieu même.

Dieu ne pense pas comme l'individu pense, mais est la pensée ; il n'est pas étendu et divisible comme l'est un corps, mais est l'étendue.

Est-il raisonnable de s'en indigner ? Certes non, car il ne faut pas confondre l'espace composé et divisible de l'imagination avec l'infini indivisible tel que le conçoit l'entendement.

Dieu est la réalité telle qu'elle est, non telle que l'infirmeimagination la représente ; il est donc pensée et étendue, non individu pensant et corps étendu.

Dieu étant la pensée même, il n'est essentiellement ni entendement ni volonté comme le croyait Descartes H015 .

Si Dieu avait un entendement qui constituât son essence, cet entendement serait aussi peu semblable à l'humain que le chien aboyant l'est au Chien constellation céleste.

Il devrait,en effet, être créateur des choses, non postérieur et extérieur aux choses comme l'humain.

Or ceci est inconcevable, entendement signifie ce quicomprend les choses telles qu'elles sont, sans les modifier en rien, l'entendement est ce qui voit l'être en soi, l'être éternellement lui-même, incréé.Voir n'est pas créer, c'est révéler.

L'entendement divin n'est rien d'autre que l'idée de Dieu, cette même idée que possède le sage et qui est lelangage de l'Éthique.

Pareillement, attribuer à Dieu une volonté distincte de son entendement est absurde.

Une telle volonté infinie ferait passer à l'existence les seules choses qu'il aurait décidé de créer parmi toutes celles qu'il peut penser.

Cette réserve de puissance n'est-elle pas uneimpuissance ? De la nature de Dieu découle nécessairement une infinité de choses et ceci de toute éternité.

Entendement et volonté sont uneseule et même chose en Dieu comme en l'homme ; ce sont des modes, infinis en Dieu, finis en l'homme, de la pensée qui est Dieu.

La seuledifférence entre Dieu et l'homme est donc celle de l'infini au fini, ce qui signifie que l'homme n'est compris qu'en Dieu et par Dieu, non par soi.

Ce n'est pas que la religion n'ait pas saisi cette différence.

Au contraire, la religion en a donné la représentation etle sentiment les plus profonds (l'Esprit du Christ est l'Idée de Dieu), mais les théologiens n'ont pas su comprendre lesens philosophique de la représentation religieuse.

Ils ont admis la vérité textuelle de la création et la séparationtragique de la créature d'avec son créateur ; ils ont supposé un néant antérieur au monde, un choix " absolu " sansraison de Dieu.

Mais si le mythe contient le sens profond du monde, il n'en fournit pas le sens clair.

L'être infiniproduit nécessairement ses modes puisqu'ils sont lui-même, et tout, dans le monde, est donc actuel et déterminé,tandis que l'Être nécessaire est libre puisqu'il est déterminé à agir par soi seul et non par un autre.

Supposer à Dieudes désirs et des fins, c'est ouvrir la porte à toutes les superstitions.

L'âme et le corps Tournons-nous maintenant vers l'homme.

Qu'est-ce que l'homme ? La réponse chrétienne le définit commecréature : un peu de boue illuminée par un reflet de Dieu, un corps dans lequel fut introduite une âme par quoi ilsera sauvé, s'il veut et si Dieu le veut ; Spinoza est plus antique et répond : un individu foncièrement un, partiehomogène de l'univers homogène et un.

L'homme est une modification de la substance.

Pour le comprendre, il faudrale replacer dans son élément, à savoir : sa pensée dans la Pensée, son corps dans l'Étendue indivisible.

En un mot,pour saisir la finitude de l'homme, il ne faut pas regarder au-dedans de ses limites, mais le comprendre dans l'infinieréalité.

On dit donc que l'individu a un corps puisqu'on peut parler de lui comme d'un mode de l'étendue ; on dit qu'ila une âme puisqu'il pense, encore qu'il serait préférable de dire que la pensée pense en lui.

Car que signifie l'âme oula pensée de l'homme ? Rien d'autre que l'idée du corps, c'est-à-dire une modification définie de la pensée quiexprime le même être que le corps dans l'étendue.

L'idée, donc, de ce corps individuel, qui peut être claire ouobscure.

Et on pourrait dire la même chose de tout être " animé ".

Âme et corps ne peuvent donc avoir aucune priorité l'un sur l'autre ; ils expriment l'un et l'autre l'unité de l'individu,exactement comme Pensée et Étendue, dont ils sont des modifications, expriment l'unité substantielle de Dieu ou laNature.

Qu'on ne s'y trompe pas : par expression il ne faut pas entendre un donné extérieur à l'être exprimé, autreque lui : la substance est ses expressions, se développe et s'explique en elles, l'âme et le corps sont ensemblel'individu.

Ce qui arrive au corps arrive à l'âme et réciproquement.

Il n'y a pas de problème de la communication. »

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