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Baudelaire - La Cloche Fêlée

Publié le 05/12/2010

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baudelaire

Présentation du poème

Sur l’auteur

Né le 9 avril 1821 à Paris, de Caroline Archenbaut et de Joseph-François Baudelaire, Charles Baudelaire perd son père dès l’âge de six ans. Sa mère se remarie deux ans après avec le commandant Aupick, et Charles lui en a longtemps voulu.

En 1832, il est mis en pension au Collège royal de Lyon, puis, en 1836, il devient interne au lycée Louis le- Grand à Paris. Après l’obtention de son baccalauréat en 1839, il s’inscrit à la faculté de Droit, mais préfère mener une vie de bohème.

En 1841, il s’embarque sur un paquebot à destination de Calcutta et séjourne sur l’île Bourbon pendant 45 jours, où il compose certains poèmes qui figureront dans Les Fleurs du mal.

Il rentre en France en février 1842 : il continue la rédaction de poèmes tout en traduisant plusieurs nouvelles d’Edgar Poe. Il rédige également des critiques artistiques (Salon de 1845), activité qu’il  renouvellera à plusieurs reprises (Salon de 1846, Salon de 1859, Le Peintre de la vie moderne). Il entre en possession de l’héritage paternel, dont il est privé en 1844, car sa famille lui impose une mise sous tutelle. À cette époque, il fréquente plusieurs poètes, dont Gautier et Banville.

Lors des événements de 1848, il fonde un journal révolutionnaire, mais il sort déçu de la « révolution «.

En 1856, paraît sa traduction des Histoires extraordinaires de Poe, et c’est en 1857 que Les Fleurs du mal sont publiées. Au mois d’août de la même année, Baudelaire est condamné pour son ouvrage. Il continue cependant à travailler. Une seconde édition des Fleurs du mal, augmentée, paraît en 1861.

Dans les dernières années de sa vie, il écrit des poèmes en prose sous le titre de Spleen de Paris. Parallèlement, ses ennuis d’argent ne cessent de s’accroître, et sa santé se dégrade, notamment à partir de

1862, à cause des séquelles d’une syphilis contractée en 1840.

Il meurt en 1867.

 

Sur le recueil

« Le seul éloge que je sollicite pour ce livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album, et qu’il a un commencement et une fin «, écrit Baudelaire à Vigny en 1851. Ainsi, l’organisation des Fleurs du mal reflète l’itinéraire spirituel du poète.

La première partie, Spleen et Idéal, est une longue exposition : écartelé entre deux postulations opposées dont l’une l’entraîne vers Satan et l’autre vers Dieu, le poète ne peut échapper à cette dualité, ni dans l’art

(I-XXI), ni dans l’amour (XXII-LXIV), ni dans la solitude (LXV-LXXXV).

Les cinq parties suivantes évoquent les tentations successives du poète pour échapper à sa souffrance :

– Tableaux parisiens (LXXXVI-CIII) : le poète se tourne vers les autres, mais leur souffrance le ramène à sa propre souffrance ;

– Le vin (CIV-CVIII) et la déception des paradis artificiels ;

– Les Fleurs du mal (CIX-CXVII) : le recours à la débauche ne le mène qu’au dégoût de soi-même ;

– Révolte (CXVIII-CXX) : le blasphème n’est pas plus efficace ;

– La mort (CXXI-CXXVI) : elle reste le suprême recours.

Le recueil s’achève sur le poème Le Voyage qui reprend les thèmes précédents et laisse présager la vanité de ce dernier espoir.

Ce poème, « La cloche fêlée «, fait partie de la section Spleen (poème LXXIV), parue en 1851.

 

Lire et analyser

 

1 Dans le premier quatrain :

a. Il s’agit d’un décor en intérieur plutôt chaleureux, à côté d’une cheminée, près du feu (v. 2), en hiver (pendant les nuits d’hiver, v. 1).

b. Le rythme des vers est régulier et doux : seules deux coupes intérieures – au vers 1 (coupe à l’hémistiche) et au vers 2 (rythme en crescendo 3-9 ou bien régularité du rythme 3/3/3/3, les accents portant sur les syllabes -ter, feu, -pit(e), fum(e)) – viennent marquer une légère pause dans le rythme. Cette douceur dans le rythme des vers répond au calme et à la sérénité de cette scène initiale, rythmée par la musique : le verbe D’écouter et son COD Les souvenirs lointains sont mis en évidence, par un rejet, au début des vers 2 et 3, ainsi que le GN Au bruit des carillons au vers 4. Au doux bruit du feu qui palpite (v. 2) répondent les carillons qui chantent (v. 4), dans une atmosphère langoureuse et chaleureuse : lentement (v. 3).

Cette langueur se retrouve dans l’allitération en m, au sein des vers ou à la rime des vers 2 et 4 (amer, fume, lentement, brume), qui fait écho aux allitérations en d (doux, pendant, d’hiver, D’écouter, du, des, dans), v (hiver, souvenirs, s’élever) et l (Les souvenirs lointains lentement s’élever). À ces allitérations se joignent les doux sons des assonances en ou (doux, écouter, souvenirs) et an (pendant, lentement, chantent).

c. C’est une impression de douceur et de sérénité qui domine, liée à la chaleur du feu qui tranche avec le froid extérieur. Il règne une certaine harmonie, même si l’adjectif amer, au début du vers 1, jette déjà un certain trouble.

Certains critiques ont rapproché ce tableau intimiste qui ouvre la poésie d’un poème de Vigny, La Neige : Qu’il est doux, qu’il est doux d’écouter des histoires,

Des histoires du temps passé,

Quand les branches d’arbres sont noires,

Quand la neige est épaisse et charge un sol glacé !

 

2 a. Les mots du titre sont repris séparément, au début du second quatrain, pour le premier terme : Bienheureuse la cloche (v. 5) et, au début du premier tercet pour le deuxième, mais, cette fois, attribué à l’âme du poète : Moi, mon âme est fêlée (v. 9).

b. Cette séparation et cette dissémination des deux mots qui forment le titre est intéressante, et de là à faire l’amalgame entre la cloche et l’âme du poète, il n’y a qu’un pas !

Dans ces deux strophes, le poète oppose la cloche au gosier vigoureux (v. 5) à son âme fêlée (v. 9) qui a une voix affaiblie (v. 11). Le mot qui souligne cette opposition est la forme renforcée du pronom personnel de la première personne Moi, mis en évidence à l’entame du vers 9, c’est-à-dire au centre du poème, à la charnière entre les quatrains et les tercets.

 

3 Le spleen

a. Dans les deux tercets, on remarque plusieurs images :

– mon âme est fêlée (v. 9) : Baudelaire fait de son âme un objet concret, abîmé, cassé, usé : cette métaphore traduit son malaise ;

– les chants qui peuple(nt) l’air froid des nuits (v. 10) : sorte d’allégorie qui fait des chants des espèces de personnages fantomatiques ;

– la voix de l’âme (v. 9 et 11) : personnification, comme si l’âme du poète avait sa propre autonomie et pouvait s’exprimer par un râle, d’où le rapprochement avec la cloche ;

– un lac de sang (v. 13) : métaphore qui veut signifier l’ampleur du massacre.

b. Les deux tercets ne sont constitués que d’une seule phrase, qui s’allonge et s’alanguit comme un râle épais (v. 12) avant de s’anéantir et de mourir dans le dernier vers : Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts.

Ainsi la structure de la phrase, qui unit les deux tercets, mime l’agonie de cette voix qui s’élève dans l’air froid des nuits (v. 10) avant de s’éteindre, dans d’immenses efforts (v. 14).

c. Le rythme de ces vers est très lent : il veut montrer la difficulté qu’a la voix du poète à s’élever, avant de s’éteindre définitivement.

d. Le poète traduit le spleen qui l’habite par la force des images qui vient complètement annihiler l’atmosphère chaleureuse et harmonieuse du premier quatrain : l’harmonie est désormais cassée (fêlée), tout n’est plus qu’ennuis (v. 9), le feu (v. 2) a laissé place à l’air froid (v. 10), les carillons qui chantent (v. 4) ne sont plus qu’une voix affaiblie (v. 11), qui Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie (v. 12).

Ne reste plus désormais qu’un paysage de désolation, de solitude (qu’on oublie) où règne la mort (un lac de sang, un grand tas de morts, v. 13 et qui meurt, v. 14).

 

4 a. b. Dans ce poème, Baudelaire évoque la difficulté de la création et la perte de l’inspiration, par la métaphore filée du chant qui court tout au long du poème. On passe ainsi du chant du premier quatrain, qui s’élève dans une atmosphère harmonieuse (chantent, v. 4, repris au v. 10, chants), au cri religieux (v. 7) du second quatrain, à la voix affaiblie et au râle épais des tercets qui, comme le soldat blessé (v. 12), finit par mourir dans d’immenses efforts (v. 14).

On est bien loin ici du poème Élévation (le troisième du recueil) où le poète exprime au contraire l’envol de son esprit au-dessus du réel (strophes 3 et 4) : 

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;

Va te purifier dans l’air supérieur,

Et bois, comme une pure et divine liqueur,

Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins

Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,

Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse

S’élancer vers les champs lumineux et sereins.

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