Baudelaire, commentaire composé sur L'Invitation Au Voyage

« Vermeer.

Son tableau « vue de Delft » se retrouve parfaitement dans la troisième strophe décrivant les canauxd’une ville maritime.

Il y a dans l’œuvre de Baudelaire ainsi que chez de nombreux contemporains de son époque telsque Delacroix ou Nerval cette fascination pour l’ailleurs pour l’orient.

Ici la ville utilisée pourrait être Amsterdam, villenordique qui se voit métamorphosée à travers les divers arrivages d’encens, d’ambres et d’épices.

Elle devientcapitale orientale, exotique et contrastée.

Brûlante de fraicheur, mélange de deux mondes radicalement opposés.

Onretrouve cette même alternance au sein du poème : que ce soit entre le clos et l’ouvert, l’évasion et le statisme,l’averse des « soleils mouillés » ou la chaleur des « hyacinthes » et de l’« or ».

Baudelaire souligne l’opposition entredeux mondes, la froideur du spleen permettant le rayonnement de l’idéal.

Un sens de plenitude obtenu par laréconciliation des contraires, s’achevant sur l’image finale d’un paysage paisible qui s’endort.Au-delà de ce voyage à travers la femme aimée, ou à travers un pays idéal, le poème apparaît également commeune invitation à découvrir l’art, un manifeste de l’esthétisme et de la poétique baudelairienne.Comme l’explique Jean Prévost dans son « essai sur l’inspiration et la création poétique » Baudelaire fut fortementinspiré par Théophile Gautier et son approche de l’art et de la poésie.

En effet « l’art pour l’art » slogan dumouvement parnassien voit le poète non pas comme homme politique engagé, ou comme un être à la sensibilitéexacerbée, mais comme un artiste dont le seul et unique but est la beauté.

Chaque poème est vu comme un joyauet le poète tel un sculpteur travaille et taille son poème tel une sculpture.

Ainsi pour Baudelaire, « l’exemple deGautier lui apprenait que les art plastiques sont assez riches d’images, de mouvements, voire de pensées, pourremplacer la nature et nourrir l’inspiration du poète.

» (Le moment de l’art pour l’art p.35).

Nombreux sont lesartistes qui eurent une influence majeure sur l’auteur tel Goya, Delacroix, ou comme il a été démontréprécédemment l’art flamand dans le poème étudié en question.Ainsi, de par sa composition en triptyque, le poème suggère une approche picturale.

Chacune des 3 strophesmarque une étape dans la progression du poème, et chacune d’entre elle offre une image précise et détaillée de lavision baudelairienne. Le poète joue avec le langage et les techniques des arts plastiques.

Que se soit avec les jeux des correspondancesentre l’intérieur et l’extérieur, il s’amuse à dessiner des lignes de perspectives, des doubles fonds, des jeux demiroirs, dressant l’esquisse d’un potentiel tableau.

Il emploie un vocabulaire propre au critique d’art tel que « ciels »et le champ lexical de la couleur et de la lumière accentue cette approche du poème tel une œuvre d’art un tableaucadeau de sensation.

La lumière symbolisant dans cette dernière image du triptyque le bonheur, la béatitude duparadis enfin trouvé.En plus de son aspect plastique, le poème permet l’analyse de deux techniques propres à l’esthétisme baudelairien.Souvent appelé chef de file de la sensation Baudelaire fait usage de la synesthésie afin de rapprocher les sens.L’invitation au voyage offre donc une parfaite harmonie des sens.

Il y a une richesse de la sensation comme lemontre la fréquence des pluriels « leurs odeurs » v19-20, « vagues senteurs » v.21.

Les sensations s’enrichissent semêlant les unes aux autres.

Il y a cette notion de profusion, de richesse, exprimée à travers les termes deraffinement et d’esthétisme « les plus rares fleurs » v.18.

Tous les sens s’éclosent et s’entremêlent.

La vue avecl’évocation de différents tableaux, des yeux de Marie Daubrun, le champ lexical de la lumière et de la couleur ouencore avec l’impératif « vois ».

L’odorat avec l’évocation des « rares fleurs » « odeurs » « aux vagues senteurs del’ambre » aux vers 17,18, et 19.

Le toucher avec « des meubles polis par les ans » au vers 16.

Enfin l’ouïe, créée parla richesse des assonances nasales aux vers 19 à 23, des allitérations et des rimes rapprochées. Les sensations s’enrichissent en se mêlant ou en s’ajoutant les unes aux autres.

Baudelaire tente à travers cepoème de créer une unité des sens, de la structure, reflétant ce paradis parfait où tout concorde, se suit, ets’accorde.Autre aspect caractéristique de l’esthétisme baudelairien et son approche musicale de la poésie et du vers.L’utilisation de vers impairs « plus vague et plus soluble dans l’air » (Verlaine theorise son art poètique en 1874) etdes vers composés d’un mètre court permet de renforcer l’aspect mélodique du poème.

La rime devenant une sorted’écho rapproché.

La forme du poème composé de 3 strophes de 12 vers suivie d’un refrain s’apparente à lastructure d’une chanson.

L’alternance entre la frénésie des menus, vers à rime croisée et l’allongement et la fluiditédu refrain miment la rapidité des pas et du voyage s’opposant au calme de l’arrivée.

La fluidité du refrain évoque unechanson tendre, propice à la rêverie.Presque comme un slogan ces cinq noms au pouvoir évocateur envoûte le lecteur dans une sensation, uneatmosphère et tout de suite suggère cet état de plénitude et de perfection propre à l’idéal esthétique baudelairien.Tout et le tour restrictif ne…….que synthétise en trois reprises les piliers de l’esthétisme baudelairien : La beauté etle luxe renvoient à l’esthétique et au raffinement.

La volupté rappelle l’envoûtement de la sensualité.

L’ordre et lecalme, paisibles qualités.

Harmonie obtenue à travers la rigueur et la paix des sens et de l’esprit. Fenetre de lyrisme et d’espérance au sein des Fleurs du Mal, l’invitation au voyage symbolise l’âme en « trois mâtcherchant son Icarie ».

Nourri au sein de l’image féminine, Ithaque paradisiaque et à jamais perdu sur les flotsmoribonds du songe et de la rêverie.

Baudelaire tente ici d’établir sa conception d’utopie, un monde à l’esthétismeparfait, un bonheur absolu et complet assouvi uniquement dans la proximité du rêve et de l’au-delà.

Albatros en sontemps, nombreux furent les poètes tels Rimbaud qui virent en l’approche moderne et symboliste des poètes, l’aubed’une nouvelle ère.

Un vent de modernité dans l’onde aseptisée et romantique de son temps.. »