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Baudelaire, Recueillement

Publié le 17/02/2011

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Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le soir; il descend; le voici. Une atmosphère obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci. 5 Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici, Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années, 10 Sur les balcons du ciel, en robes surannées ; Surgir du fond des eaux le Regret souriant; Le Soleil moribond s'endormir sous une arche, Et, comme un long linceul traînant a l'Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Cette pièce, composée sans doute la même année, a paru le 1er novembre 1861 dans La Revue européenne, et n'a été recueillie que dans l'édition posthume de 1868. C'est donc un poème de la maturité.  Ce sonnet est en alexandrins. On relève quelques particularités. D'abord les quatrains sont en rimes croisées, ce qui est plus chantant. De plus le premier et le dernier vers s'achèvent sur une terminaison féminine — en tout, trois systèmes de rimes féminines, deux systèmes de rimes masculines — Si tranquille ne constitue qu'une rime suffisante, ville, vile, servile d'une part, souriant, Orient 'd'autre part, se classent parmi les rimes riches, Années, surannées parmi les rimes très riches. Une assonance en i court dans les deux quatrains, exprimant la douleur aiguë, que suit une gravité calme. L'examen du schéma des rimes confirme donc la première impression de lecture : une musique riche et pénétrante. On sait en effet que Villiers de l'Isle-Adam et Debussy ont été inspirés par le sonnet et l'ont mis en musique.

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« Aux uns / portant la paix, / / aux au /tres le souci.

2 4 2 4 5 et 8.

Ce deuxième quatrain exprime le dédain et le dégoût vis-à-vis de la majorité des hommes.

Le poète, poussépar des sentiments aristocratiques et le désir de la solitude, méprise cette société adonnée au plaisir.

D'autre part,ce que Baudelaire a surtout chanté, ce sont les remords Tue les vices entraînent, car s'il célèbre le vice, il en faitune sorte de flambée suivie d'abattement et de remords.

Enfin, à l'idée du soir, pour le poète, s'ajoute toujours celled'une foule veule qui ne songe qu'a courir son plaisir ; sa vision de Paris est toujours pessimiste .Valéry, dans Variété II (38e éd., p.

169), a écrit : « Sur les quatorze vers du sonnet Recueillement, qui est une desplus charmantes pièces de l'ouvrage, je m'étonnerai toujours d'en compter cinq ou six qui sont d'une incontestablefaiblesse.

Mais les premiers et les derniers vers de cette poésie sont d'une telle magie que le milieu ne fait pas sentirson ineptie et se tient aisément pour nul et inexistant.

Il faut un très grand poète pour ce genre de miracles.

» Voilàqui demeure fort contestable : la pathétique sincérité de ce quatrain a peut-être déplu à Valéry.« Des mortels ra multitude » : cette inversion ainsi que l'emploi du mot « mortels » donne au vers une allureclassique.

Le substantif « mortels », malgré son apparente banalité, semble bien calculé pour suggérer déjà l'idée dela mort.

Notons les allitérations en m.

Les labiales peuvent exprimer le dégoût.

Or elles sont nombreuses dans lesvers 5 et 6 : 5 p-m-m-v6 f -p-b- m Vers 6 « Sous le fouet » : métaphore des esclaves qui pratiquent la cueillette sous le fouet (le problème del'esclavage est à l'ordre du jour).

Relevons le rythme monotone des vers 6 et 7 : 3 3 3 3 et 3 3 3 3 exprimant lamonotonie, la morne répétition des plaisirs imbéciles de la foule.8 et 9.

Dislocation du sonnet, déplacement de la césure principale, et rejet d'une strophe à l'autre, d'où l'expressiond'une répulsion violente et la mise en valeur de « Loin d'eux ».

Ce qui règne dans les trois premiers pieds du vers 8,c'est un calme majestueux, que suit un geste de répulsion.

Pour ce qui est de la forme, on relève peut-être unsouvenir du Watteau de Gautier : (...) n'ayant d'autre compagneQue ma douleur qui me donnait la main. 9 sq.

Baudelaire se réfugie dans le monde du rêve et de l'enchantement.

Le présent s'efface pour lui, un passé flourenaît. 9.

« Vois se pencher » : le poète croit voir le fantôme du bonheur passé, et cette allégorie a pour point de départl'évocation d'un paysage parisien.

Il serait à vrai dire excessif de parler de sixième étage, dont les habitants sontsouvent de vieilles filles ou de vieilles dames (au costume démodé).

En tout cas l'épithète « défuntes » annonceavec plus d'insistance le thème de la mort. 11.

« Surgir » : le verbe est mis en valeur.

Bien sûr, cette fuite de l'eau symbolise la fuite du temps.« Le Regret souriant » : c'est toujours le goût baudelairien pour l'allégorie.

Pourquoi « souriant » ? Si le regret acessé d'être douloureux, c'est sous l'influence de la résignation.

Le souvenir du passé est devenu dom poète parcequ'il est apaisé par le calme souverain de la nuit. 12.

« Le Soleil » : ici la vision s'élargit.

Pas de couleur, tout reste en demi teinte.

La vision apparaît commenettement parisienne (ou tout au moins évoquant une grande cité).

Il est impossible de ne pas ressentir un effettrès net de sonorités dans les vers 10, 11 et 12. Les occlusives orales sont peu nombreuses (4 dans le vers 10, 3 dans le vers 11, 2 dans le vers 12); par contre lescontinues, plus musicales, abondent.

En outre, la monotonie rythmique du vers 12 (3 3 3 3) est voulue et présentequelque chose de berceur par sa régularité même.« Moribond » : mot violent et expressif.

Le soleil est pour Baudelaire un malade sur un lit d'hôpital, cf.

Harmonie dusoir : Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige. Cette épithète suggère nettement que le soir symbolise la mort.« Sous une arche » : l'édition Crépet-Blin commente en ces termes : « S'agit-il d'une arche de pont ? d'un arc de. »

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