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Le beau échappe-t-il au temps ?

Publié le 09/02/2004

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temps
.. Les conditions nécessaires de la poésie épique ne s'évanouissent-elles pas? Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liées à certaines formes du développement social, la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible... ... Un homme ne peut redevenir enfant sans être puéril. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l'enfant et ne doit-il pas lui-même s'efforcer à un niveau plus élevé de reproduire sa vérité? Est-ce que, dans la nature enfantine, ne revit pas le caractère de chaque époque, dans sa vérité naturelle? Pourquoi l'enfance historique de l'humanité au plus beau de son épanouissement n'exercerait-elle pas l'attrait éternel du moment qui ne reviendra plus ?" MARX Ce fragment sur le problème de l'art appartient à un texte de 1857 Introduction générale à la Critique de l'économie politique que Marx ne fit pas publier. Marx écrira deux ans après dans l'Avant-propos de la Critique de l'économie politique. « J'avais ébauché une introduction générale, mais je la supprime.
temps

« « ...

Certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec l'évolution générale de lasociété, ni donc avec le développement de la base matérielle...

Par exemple les Grecs ou encoreShakespeare...

» Constatation d'un fait.

L'art grec, la poésie homérique par exemple représente une réussiteexceptionnelle, un des sommets de la culture universelle, et pourtant la société de la Grèce antique estéconomiquement peu développée.

De même le théâtre de Shakespeare domine le théâtre de tous les temps etil a surgi dans une civilisation beaucoup moins développée que la nôtre.

Tandis que le progrès de la science etdes techniques, si on le regarde d'assez haut, est un progrès continu, l'histoire de l'art avec ses sommetséclatants se lit difficilement comme un progrès.

Il ne suffit pas d'écrire après Homère pour écrire mieuxqu'Homère.

Une société médiocrement développée peut voir surgir des créations artistiques d'une granderichesse.

Il ne suffit pas de constater les faits il faut comprendre que ces faits posent dans la philosophiemarxiste un problème redoutable.

Les superstructures artistiques offrent une apparence d'autonomie contraireau principe du matérialisme historique : l'histoire de l'art ne paraît pas refléter le progrès matériel des sociétés.« ...

Cela est vrai du rapport de divers genres d'art à l'intérieur du domaine de l'art lui-même...

également vraidu rapport de la sphère artistique dans son ensemble à l'évolution générale de la société .» Marx distingue icideux distorsions dans l'évolution de la « superstructure » artistique.

Tout d'abord à l'intérieur du domaine del'art lui-même, des formes d'art très primitives peuvent donner lieu à des créations sublimes dont le génie nesera pas toujours égalé par les formes suivantes.

Par exemple l'épopée n'apparaît jamais « qu'à un stade peudéveloppé de l'évolution de l'art » et pourtant ce genre a fait surgir des « créations insignes ».

D'autre part etd'une façon générale des chefs-d'oeuvre artistiques peuvent être produits par une société qui se trouve à undegré inférieur de développement économique.

Henri Lefebvre écrit à ce propos : « Lukacs semble avoirinterprété ce texte de Marx en un sens contestable.

Une société économiquement supérieure pourrait avoir unart et une culture inférieure.

Marx a seulement voulu dire qu'une société économiquement inférieure peut avoirune supériorité dans certaines formes d'art (l'épopée d'Homère par exemple) qui peuvent connaître à un stadeinférieur une floraison qu'elles ne connaîtront plus ». « ...

La seule difficulté est de formuler une conception générale de ces contradictions...

»N'oublions pas que le matérialisme marxiste est un matérialisme dialectique pour lequel, précisément, lescontradictions sont le moteur de l'histoire.

L'autonomie apparente des superstructures, les distorsions et lescontradictions qui peuvent apparaître dans leur évolution, constituent une objection décisive à un matérialismemécaniste pour lequel la superstructure serait de façon simpliste toujours parallèle à l'infrastructure qui laproduit.

Mais le marxisme a toujours affirmé l'interdépendance complexe, riche de contradictions, entreinfrastructure et super-structure.

Le problème des superstructures artistiques, même s'il n'a pas reçu desolution marxiste satisfaisante, peut en tout cas, en tant que problème, être assimilé par la philosophiedialectique du marxisme.

Il n'en présente pas moins des difficultés propres.

Le marxisme explique assez bien, eneffet, le retard fréquent des superstructures qui se maintiennent souvent, malgré l'évolution de l'économie,dans leur état antérieur : soit parce que leur forme très structurée leur assure une longue survie (c'est le casdu droit romain dont l'essentiel persiste longtemps dans les institutions juridiques de civilisations plusdéveloppées), soit parce que la classe dominante parvient à maintenir des pouvoirs et des privilèges (à traversles formes culturelles qui les traduisent et les dissimulent) qu'un état ancien des forces productives, aujourd'huidépassé, avait jadis suscités.

Mais quand il s'agit de l'art le problème est inverse.

C'est le paradoxe d'unesuperstructure qui, avec des oeuvres géniales, parait en avance sur l'infrastructure matérielle! «...

La mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de l'art grec mais aussi sa terre nourricière...

» Hegeldans son Esthétique avait déjà insisté sur les rapports de la sculpture grecque avec la religion : « Une religionqui s'adresse aux sens comme la religion grecque doit produire sans cesse de nouvelles images.

» Hegelajoutait : « Pour le peuple, la vue de pareilles oeuvres n'était pas un simple spectacle, elle faisait partie de lareligion elle-même et de la vie...

L'art grec n'était pas un simple ornement mais un besoin vivant, impérieux.

»Hegel signale même que l'art romain sera inférieur parce que ce « souffle intérieur » a disparu.

Marx qui pensesurtout à Homère dit que « l'art grec suppose la mythologie grecque, c'est-à-dire la nature et les formessociales, déjà élaborées au travers de l'imagination populaire d'une façon inconsciemment artistique ».

Lamythologie d'Homère n'est pas une allégorie artificielle, péniblement élaborée par quelque érudit; c'est unecréation collective des masses populaires.

Marx insiste donc sur l'aspect social et vivant de l'art grec.

Lesmythes expriment à leur manière la vie réelle des campagnards, des soldats ou des marins, même s'ils sontensuite élaborés par des artistes géniaux qui ont mis en oeuvre ces matériaux concrets. B.

L'art du passé n'est jamais dépassé • L'art véritable échappe au temps.

C'est pourquoi je me sens encore « ravi » — c'est-à-dire « saisi » au sensétymologique —, emporté et enthousiasmé par l'art grec, roman, ou primitif.

Il est d'ailleurs intéressant de noter quel'on pénètre plus facilement dans l'art d'une autre époque que dans celui de la sienne.

L'art reconnu, officialisé, nedérange plus.

Décalé par rapport à son siècle, l'artiste est souvent socialement valorisé un peu plus tard.

Sanstomber dans le mythe de l'artiste maudit, que d'oeuvres ignorées ou jugées scandaleuses à leur époque sontaujourd'hui encensées ! Songez au Déjeuner sur l'herbe de Manet, aux premiers tableaux des impressionnistes, àGuernica de Picasso, à la musique de Stravinsky, au jazz, etc.

L'art transcende l'histoire.• L'art exige donc que nous soyons disponibles.

Disponibles pour cette aventure de communion avec l'oeuvre quis'expose, nous montre autre chose du monde et de nous-mêmes.

Il faut oser sortir de soi-même et y revenirtransformé : l'art, « un pas hors de l'humain », écrit le poète Paul Celan.

Avec la philosophie, l'art est la seule. »

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