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BEAUMARCHAIS, Le Mariage de Figaro, Acte V, Scène 3

Publié le 18/10/2010

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beaumarchais

 

Introduction : Né en 1732, le parisien Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, fils d’horloger,  se révèle très vite doué pour les Sciences et les Lettres. Malgré de courtes études, c’est un ambitieux qui ressemble beaucoup à son futur personnage de Figaro : ses pièces seront nourries de ses déboires dans le commerce, de ses expériences de voyageur et de ses démêlés avec la justice en 1773. Il a exercé beaucoup de métiers, tour à tour horloger, professeur de musique, espion, politicien, traficant d’armes… 

En 1784, il publie le Mariage de Figaro, joué à la Comédie Française. La pièce obtient beaucoup de succès et ses accents pré-révolutionnaires seront un alibi de poids pour Beaumarchais en 1789. Cette comédie en 5 actes et en prose est une « folle journée « : malgré le respect apparent de la règle classique d’unité de temps, il se passe tellement de choses que les évènements doivent s’enchaîner à une vitesse folle. Dans l’extrait de la scène 3 de l’acte V, au soir de la Folle Journée, Figaro doit épouser Suzanne, mais il se méprend sur une supercherie qu’avaient orchestrée celle-ci et la Comtesse, et croit que sa fiancée le trompe avec le Comte. Trahi, furieux et désemparé, il entame un long monologue où il revient sur sa vie et sur sa condition… 

Problématique : Quelle est la force de ce monologue théatral dans la critique de l’Ancien Régime ?

Dans un premier temps, nous allons étudier les caractéristiques de ce monologue vivant, pour ensuite analyser le réquisitoire contre les abus de la société du 18ème siècle. Enfin, nous verrons en quoi cet extrait donne une nouvelle portée au personnage de théatre et au monologue.

 

1 – Un monologue vivant par sa vivacité et ses nombreuses variations

Malgré le fait que ce monologue soit une pause dans le rythme fou de la journée, il reste très vivant et vif grâce à une multitude de procédés, rendant bien la colère et le désarroi de Figaro, pour ne pas lasser le lecteur et le spectateur et lui donner à voir et à entendre un message…

 

A/ La vivacité du monologue qui empêche l’ennui de s’installer

Un personnage en mouvement : beaucoup d’indications scéniques comme « se promenant dans l’obscurité «, « il s’assied sur un banc «, « il se lève «… 

Une alternance entre les différents types de phrase qui montre le trouble de Figaro : « Créature faible et décevante ! «, « Vous vous croyez un grand génie ! « / « Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? «, « Le tien est-il donc de tromper ? « / « Vous ne l’aurez pas. «

Une variation dans les types de présent : présent de vérité générale « nul animal ne peut échapper à son instinct « et « ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant «, de narration «  je me jette à corps perdu dans le théatre «, d’énonciation « on vient… c’est elle… ce n’est personne. «

 

B/ Une multitude de destinataires donne l’impression d’un dialogue 

Apostrophes à la femme « Ô femme ! femme ! femme ! «, au Comte « Non, Monsieur le Comte […] ! «

Multicité des pronoms et des métonymies «  le tien «, « le perfide «, « vous «…

Le principe de la répétition et l’adresse «  parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! «

 

C/ But : exprimer la révolte puissante de Figaro et l’exacerbation de ses sentiments

Il y a beaucoup de sentiments exprimés dans ce monologue sous différents tons : souffrance, colère, philosophie, humour…

Une alternance entre les différents registres et les tonalités exprime le trouble et la souffrance de Figaro  : pathétique et lyrique « créature faible et décevante «, polémique à tonalité ironique «  vous vous êtes donné la peine de naître, et rien d’autre !« 

Ses apostrophes sont des imprécations ( phrases exclamatives en surnombre au début du monologue…)

Il en vient à s’attaquer lui-même : « et moi comme un benêt «, « me voilà faisant le sot métier de mari «…

 

2 – Un réquisitoire contre les abus de la société du 18ème siècle aux accents révolutionnaires

Beaumarchais admirait les idées de Voltaire, et avait tenu à publier ses œuvres complètes. Il s’y occupa sous l’autorité révolutionnaire. Les accents de ses pièces lui valurent certainement la vie sauve lors de la Terreur. On retrouve toutes ces idées dans ce monologue, où Figaro se fait le porte-parole de Beaumarchais et cherche à montrer l’injustice de son temps.

 

A/ Une attaque des privilèges de la noblesse et de la rigidité des ordres

Une énumération violente en phrases exclamatives contre le Comte, symbole de la noblesse d’Ancien Régime : « Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! «, « Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus ! « (oxymore entre le nom peine et le pronom indéfini rien)

Un parallélisme entre être et se croire marque l’opposition : « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! « (parallélisme être/croire ; vous/vous, un grand/un grand).

 

B/ Une critique de la censure qui condamne injustement et sans raison, par le personnage de l’empereur ottoman

La formule ironique : « un envoyé de je ne sais où « (négation, préposition…)

Une énumération exotique et ridicule : « la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et du Maroc « (précision avec compléments ciconstanciels de lieu et le pronom indéfini tout…)

Un présent de vérité générale incisif : « Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant «.

 

3 – Une portée nouvelle au monologue et au personnage de comédie

 

A/ Le personnage de Figaro, mélange du valet de comédie et du picaro espagnol

Le personnage de comédie du valet a des traits typiques : homme du peuple a l’esprit vif, au tempérament enjoué, plein de ressources car la vie l’y a obligé, ainsi qu’à la ruse. Figaro est un de ces personnages comme il le dit lui-même : « Perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de sciences et de calculs, pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes.

Le personnage du picaro espagnol est un aventurier, sympathique mais parfois peu scrupuleux, qui connait maints déboires au cours d’une vie itinérante, pendant laquelle il exerce toutes sortes d’acitivités. Or c’est le cas de Figaro, dont le nom ressemble étrangement à Picaro, qui  a pu donc être aussi inspiré par le séjour en Espagne de Beaumarchais : on note que contrairement au valet de comédie habituel, il est le personnage principal ! Cette dualité est innovante, et donne la parole à un nouveau type de personnage, celui sue défend Beaumarchais, l’homme du peuple doué qui devrait pouvoir accéder à un certain rang. 

Une profondeur humaine émouvante est attribuée à Figaro, que n’avaient pas les valets de Molière par exemple. C’est lui qui aime, c’est lui qui souffre ; il se révolte contre son maître. Il émeut en racontant sa vie et ses malheurs : en plus de convaincre, Beaumarchais arrive à persuader. 

 

B/ Une portée nouvelle au monologue de comédie

Des accents philosophiques étonnants : termes de « créature «, « instinct «, « animal « dans la première réflexion sur l’inconstance de la femme. Figaro donne donc une véritable réflexion philosophique, que l’on ne retrouve que dans la Grande Comédie. 

Ce monologue est aussi avant tout une arme satirique et engagée contre la société d’Ancien Régime, à laquelle il s’attaque, alors que Molière par exemple ne s’attaquait qu’aux mœurs. Beaumarchais, lui, remet en cause la structure de la société elle-même !

 

Conclusion : Cette pause dans le rythme haletant de la pièce est un prétexte à une morale désabusée pour Beaumarchais. Sur le ton de la satire, il fait des allusions aux inégalités de l’Ancien Régime, et donne ainsi une portée nouvelle au personnage de théatre et au monologue, dans celui qui est sans doute le plus célèbre de la Littérature.

 

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