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BEAUMARCHAIS. Le Mariage de Figaro, Hatier, Paris, 2003, 279 p.. (Acte I, scène 7)

Publié le 20/09/2010

Extrait du document

beaumarchais

Explication d’un extrait de texte

 

 

Pierre-Augustin Caron, éventuel Beaumarchais, est un homme particulièrement doué tant pour les sciences que pour les lettres. Le nom de  « Monsieur de Beaumarchais « lui a été décerné par nul autre que Louis XV alors qu’il était à la cour du roi. Il se lia par la suite d’amitié avec un célèbre financier, Pâris-Duverney, qui apprit tout des rouages du métier à Beaumarchais. Quelques années plus tard, il quitta pour l’Espagne afin de venir en aide à sa sœur qui s’est fait avoir par un séducteur. Séjournant pour quelque temps en Espagne, Beaumarchais s’imprègne de la culture du pays et en profite pour y écrire Le Barbier de Séville et sa suite, Le Mariage de Figaro. Beaumarchais fit tout ça, alors qu’il continuait en même temps ses activités financières, entre autre avec la Louisiane qui était ironiquement sous contrôle de l’Espagne à ce moment. De retour en France, Beaumarchais connaît des difficultés avec un haut aristocrate (le Duc de Chaulnes) qui lui fait purger une peine d’emprisonnement. Il se fait ensuite accuser de faux dans la liquidation des biens de son ami Pâris-Duverney et est condamné par le juge Goëzman de qui il se vengera en lui prêtant les traits du juge Brid’oison dans Le Mariage de Figaro. La pièce, qui fut achevée en 1778, ne fut jouée pour la première fois qu’en 1784. Certes, elle fut jouée dans les salons vers 1781, mais sa première véritable représentation publique fut en 1784. La raison est fort simple, elle a dû passer sous la censure à quelques reprises. C’est nul autre que Louis XVI qui aurait été le premier à l’interdire car selon lui, la pièce de Beaumarchais ne respectait en rien son gouvernement. Les autres censeurs, pour leur part, ont surtout relevé le caractère immoral de la pièce. Beaumarchais essait effectivement de démontrer par sa pièce les abus de l’aristocratie. En bout de ligne, la pièce de Beaumarchais a jouit d’une réelle publicité!

L’œuvre théâtrale de Beaumarchais, semble s’inscrire  dans un entre genre. Ce n’est ni uniquement une tragédie, ni uniquement une comédie, mais plutôt un mélange des deux au premier regard car Beaumarchais nous présente un peu le tout sous forme de tragédie, mais, en bout de ligne, c’est tout de même une comédie. Le tout s’articule autour de l’éventuel mariage de Figaro et de Suzanne. Se greffe à cet axe premier, les aventures de Marceline qui veut épouser Figaro, de la comtesse et Chérubin et finalement la rivalité entre le comte et Figaro pour la possession de Suzanne. Les intrigues autour du mariage de Figaro sont en quelques sortes des obstacles à ce mariage. Le tout se déroule en une ‘folle journée’ et se passe dans le château du comte. 

 

Le segment à expliquer est la scène 7 de l’acte I. Nous y retrouvons deux personnages, soit Chérubin et Suzanne. Le tout se déroule dans une chambre à demi démeublée dans laquelle se trouve un grand fauteuil en plein centre.

Chérubin est un jeune homme particulier. Il est encore un adolescent, mais est tout de même le premier page du Comte. Chérubin, à l’image d’un adolescent et d’un chérubin, soit un adolescent gracieux et aimant (REY, Alain. Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaires le Robert, Paris, 1998, p. 729), tire un peu dans toutes les directions concernant les femmes. Le tout débute avec Fanchette. La scène débute avec Chérubin qui raconte à Suzanne qu’il craint de devoir quitter le château, car le Comte l’a surpris dans la chambre de Fanchette. Chérubin clame son innocence en disant qu’il ne faisait que l’aider à répéter son « petit rôle d’innocente pour la fête de ce soir « (Acte I, scène 7, 9 et 10e ligne du document). Il est à douter qu’il ne faisait que répéter un rôle vu la réaction plutôt intense du Comte. Expulser Chérubin du château en utilisant un gros mot uniquement pour s’être trouvé dans la chambre de Fanchette, alors que celle-ci ne soit même pas sa fille serait très surprenant. Il revient aussi sur Fanchette dans un mouvement ultérieur en disant d’elle qu’elle est douce.

Après avoir expliqué la situation à Suzanne, Chérubin lui dit qu’il ne pourra plus la voir à moins qu’elle ne résonne le Comte. Ce qui soulève ici l’attention c’est la phrase suivante : « Madame, si ma belle marraine ne parvient pas à l’apaiser, c’est fait, Suzon, je suis à jamais privé du bonheur de te voir «. Dans le même passage, Chérubin appelle Suzanne ‘Suzon’. Premièrement, nous faisons habituellement usage du sobriquet afin de démontrer un certain attrait ou niveau d’intimité à quelqu’un avec qui nous sommes en relation intime ou sur le point de l’être. D’ailleurs, Suzanne réplique à Chérubin en lui demandant « ce n’est donc plus pour moi que vous soupirez en secret ? «. Les mots ‘soupirez en secret’ sont ici cruciaux, car lorsque nous sommes amoureux d’une personne qui se trouve à être notre marraine, nous sommes aussi bien de l’être en secret jusqu'à tant que ça passe. Chérubin parle d’une femme comme étant sa belle marraine. On dirait que c’est de Suzanne qu’il parle, mais on comprend au fil de la lecture que c’est bel et bien de la Comtesse qu’il parle. Suzanne voit donc le jeu de Chrérubin et ne s’y laisse prendre. De plus, dans le même paragraphe, l’auteur utilise deux points d’exclamation et autant d’interrogation. Les deux points d’exclamation semblent ici utilisés afin de marquer l’intensité d’un sentiment, par exemple la stupéfaction et l’indignation de Suzanne. Rappelons que Suzanne est la fiancée de Figaro, et que d’ordre habituel, il est interdit de séduire une femme sur le point de se mariée. Quant aux deux points d’interrogation, ils servent surtout ici à démontrer que Suzanne ne comprend en rien ce que raconte Chérubin et que ses dires lui amènent tout un questionnement. Il est intéressant de voir l’usage de certains oxymores de la part de Suzanne. Ces oxymores (tu seras le plus grand petit vaurien, petit scélérat et petit voleur), qui ont un effet de non sens, viennent appuyer le fait que Suzanne ne sait trop quoi penser du petit jeu de Chérubin et qu’elle en est quelque peu surprise.

 

Cependant, le passage antérieurement cité (Ce n’est donc plus pour ma maîtresse que vous soupirez en secret) annonce une transition vers le mouvement suivant. Dans ce dit mouvement, Chérubin parle de son amour pour la Comtesse (sa marraine). Ce qui frappe, c’est qu’il semble en avoir peur. La Comtesse a un certain pouvoir vu son mariage avec le Comte, ce qui peut impressionner le jeune Chérubin. D’ailleurs, il dit la trouver imposante. Comme s’il avait un certain trouble devant la Comtesse. Il est à noter qu’il y a une suite de didascalies (raillant, vivement, le retirant) qui servent à mettre encore plus l’emphase sur l’action des personnages et l’importance du passage. Il se met ensuite à envier Suzanne qui s’occupe soir et matin de l’habiller, la coiffer, etc. Un trouble profond quoi. S’en suit alors l’épisode du ruban de la Comtesse que Chérubin vole à Suzanne. Un peu à l’image d’un adolescent perdant la raison qui vole un morceau de linge à la fille qu’il aime en secret afin de l’avoir contre lui jour et nuit. L’histoire du ruban va très loin par contre. Ce ruban sert à la base à attacher les cheveux de la Comtesse pendant qu’elle dort. Chérubin le vole d’abord à Suzanne qui essaie en vain de lui reprendre. Il devient ensuite en quelque sorte un objet fort symbolique pour Chérubin, un peu à l’image d’un talisman amoureux. Un peu plus loin dans la pièce Chérubin utilise le ruban pour aider la guérison d’une plaie qu’il a au bras. Plus tard, à l’acte II scène 9, il fait part de sa pensée magique à la Comtesse en lui disant que ce ruban peut, lorsqu’au contact avec la tête ou la peau d’une personne… Comme si ce n’était pas suffisant, la Comtesse elle-même se met ensuite à parler au même ruban comme si c’était une personne lors d’un court monologue. Le ruban devient finalement un genre de symbole du lien amoureux entre Chérubin et la Comtesse. D’ailleurs, dans la suite du Mariage de Figaro, soit La Mère Coupable, nous y apprenons que Chérubin et la Comtesse y consomment leur amour. 

Concernant le ruban, Suzanne qui ne réussit pas à le reprendre des mains de Chérubin, se voit offrir par ce dernier une romance. Une romance est un genre de poème amoureux. Alors que Suzanne s’efforce de reprendre le ruban, Chérubin lui dit : « laisse-le-moi, Suzon ; je te donnerai ma romance «. Comme quoi il a vraiment écrit cette romance, comme quoi il a vraiment le cœur qui bat sans cesse. 

La folie de Chérubin prend vraiment son envol au mouvement qui suit celui de la romance et du ruban.  Chérubin se confie à Suzanne : « mon cœur palpite au seul aspect d’une femme; les mots, amour et volupté le font tressaillir et le troublent. Enfin, le besoin de dire à quelqu'un, je vous aime, est devenu pour moi si pressant, que je le dis tout seul, en courant dans le parc, à ta maitresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent qui les emporte avec mes paroles perdues «. Chérubin démontre ici qu’il est en train de perdre la raison, un peu à l’image d’un individu atteint de bipolarité. Chérubin court dehors en criant son amour aux arbres, aux nuages et à tout ce qui bouge! Un troublé bipolaire en plein moment de ‘high’. Y a-t-il un psychiatre dans la salle afin de lui prescrire du lithium?

Dans le même paragraphe, Chérubin termine en disant ceci : « hier, j’ai rencontré Marceline… « Remarquez ici l’usage des points de suspension. Chérubin ne dit pas ce qu’il a fait avec Marceline, il laisse plutôt le tout être présupposé par le point de suspension, et ce, avec un certain détachement, car Chérubin sait très bien qu’il commence à perdre la route. De plus, Marceline est plus vieille que lui de beaucoup, nous apprenons même plus tard dans la pièce qu’elle est la mère de Figaro. Suite à la déclaration comme quoi il a vu hier Marceline, Suzanne se moque de lui en riant aux éclats. Chérubin réplique aux moqueries de Suzanne en disant : « Pourquoi non? Elle est femme, elle est fille! Une fille! Une femme! Ah! Que ces noms sont doux! Qu’ils sont intéressants! «.  À l’exception de la première phrase qui se termine avec un point d’interrogation, toutes les autres se terminent avec un point d’exclamation. Six au total. Comme si il cherchait à se défendre de l’intensité de ses sentiments. Sauf que là, Chérubin s’enfonce encore davantage dans sa perte de raison en ne sachant pas trop si Marceline est une femme ou une fille. Détail à considérer, une fille est ici une célibataire, en opposition à femme. Suzanne conclut en disant que Chérubin devient fou!

La scène se termine avec Chérubin qui essaie d’embrasser Suzanne. Puis, le Comte entre dans la chambre, et Chérubin se cache derrière le fauteuil.

 

En l’espace d’une seule scène, nous pouvons observer que Chérubin ne sait pas trop comment gérer ses hormones d’adolescent. Il est sous le charme de quatre femmes en même temps, et pas les moindres. On parle ici d’une femme qui serait à la fois la première camariste de la Comtesse et la fiancée de Figaro. Il y a aussi la Comtesse elle-même qui serait en outre sa marraine, une femme de loin plus âgée que lui en Marceline et puis finalement Fanchette. Chérubin, passe donc de l’amour incestueux, à l’amour impossible jusqu’à l’amour interdit. Ça va même jusqu’à l’attrait envers une personne pas mal plus âgée que soi, ce qui peut faire penser à la gérontophilie. On peut observer la folie de Chérubin lorsqu’il dit lui-même que les mots amour et volupté le font tressaillir et le troublent. On peut l’observer davantage lorsqu’il confie à Suzanne qu’il a un si grand besoin de dire à quelqu’un qu’il l’aime qu’il le dit aux arbres et aux nuages en courant seul dans le parc. Chérubin a beau se nommer Chérubin (jeune séducteur par définition), il serait peut être atteint de la maladie d’aimer à tout vent. En tout cas, pour Beaumarchais qui voulait démontrer l’exubérance de l’aristocratie, on y voit ici l’excès amoureux de Chérubin.

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