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Beckett et la Religion

Publié le 15/09/2011

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Cette tentative de fusionner avec le végétal s'apparente à l'envie de retourner au jardin des origines, lieu où la question des origines et des fins ne se pose pas. L'insertion de cet arbre dans le décor n'est pas innocent chez un auteur aussi profondément imprégné de symboles bibliques. Il est l'emblème de l'intermédiaire entre le ciel et la terre, entre le visible et l'invisible par son enracinement et sa verticalité. L'arbre est souvent considéré comme un symbole de spiritualité et de transcendance. Dans de nombreuses conceptions mythiques de l'univers, il est conçu comme centre cosmique, il est le lieu de la création et essentiel dans la tradition judéo-chrétienne: c'est un rôle dramatique qui est dévolu à l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal qui, dans La Genèse, provoque la chute de l'homme sur terre.

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« les personnages sont progressivement détachés de toutes les croyances ordinaires.

Mais exister suppose donc unminimum de croyances ou d'illusions mais il s'agit d'une croyance sans foi, faite pour patienter jusqu'à la fin dans lamesure où Dieu ne peut plus aider l'homme.

Il semble donc logique que les protagonistes se révoltent contre ce Dieuabsent.Abandonnés de Dieu, l'homme, créature misérable et impuissante qui ne cesse de crier sa solitude vitupère contre ceDieu à qui il reproche de l'avoir abandonné comme Job sur son fumier: « […] Peut-il y a-(bâillements)- y avoir misèreplus...

plus haute que la mienne? Sans doute.

Autrefois.

Mais aujourd'hui? »[7]Hamm se plaint de cet abandon etcette plainte se change en révolte: « Mais enfin quel est votre espoir? Que la terre renaisse au printemps? Que lamer et les rivières redeviennent poissonneuses? Qu'il y ait encore de la manne au ciel pour des imbéciles commevous? »[8] Faisant référence à deux épisodes de la Bible, la nourriture tombée du ciel pour nourrir les Hébreux dansle désert et la pêche miraculeuse sur le lac de Tibériade dans l' Exode (XVI, 1) et dans les Nombres (XI, 7-8), Hammet les autres personnages envisagent Dieu comme un être profondément malveillant, un Dieu du Mal.

Dans ses deuxpièces, c'est Dieu qui est jugé comme un être cruel et non les hommes.

C'est la création même de l'être humain quiest mise en doute comme le prouve la réplique de Hamm, furieux envers son père: « Salopard! Pourquoi m'as-tu fait? »[9] Quel est donc ce Dieu qui a crée l'homme pour le condamner à une vie misérable? Quel est l'être monstrueuxqui a inventé une créature enfermée dans dans une durée aux limites insupportables? Les personnages regardentl'être humain et concluent que Dieu est impardonnable: s'il existe, il est impardonnable d'avoir fait le monde tel qu'ilest.

La colère noire de Hamm s'adresse à ce Dieu: son indifférence et son absence est simplement le dernier et leplus mauvais des tours que le créateur, dans son sadisme, s'amuse à jouer à sa créature.

Les personnages sereprésentent donc Dieu comme un sadique qui ne suscite la pensée et la liberté que pour en jouer cruellement etpour satisfaire une sorte d'instinct de domination et de destruction.

Il appelle les consciences à l'existence que pourse nourrir de leur angoisse, s'enchanter de leur plainte.

Pozzo, dans son rapport de maître à esclave avec Lucky,dans En Attendant Godot pourrait apparaître comme une sinistre image de ce Dieu à la cruauté infinie.

D'ailleurs,Estragon se demande si ce n'est pas Godot qui est enfin arrivé:ESTRAGON(bas) -C'est lui?VLADIMIR -Qui?ESTRAGON -Voyons...VLADIMIR -Godot?ESTRAGON -Voilà.POZZO -Je me présente: Pozzo.VLADIMIR -Mais non.ESTRAGON -Il a dit Godot.VLADIMIR -Mais non .[…]POZZO -Vous m'avez pris pour Godot.[10]Si Godot vient à eux, seront-ils sauvés ou asservis? Le créateur et la créature sont à l'égard l'un de l'autre dans unétat de liberté provisoire, la corde qui relie Lucky à Pozzo en étant le symbole.

Beckett se fonde sur la vieille gnosequi mettait en place un monde qui ne pouvait être que l’œuvre du Malin.

Il se place bien avant Dieu, de la révélationet de la Promesse: il se fonde sur la gnose où sont nés les Dieux barbares.

Les personnages de Beckett ne seprononcent pas sur l'existence de Dieu.

Le personnage typique est avant tout obsédé par sa propre colère etl'existence de cette colère est provoquée par un Dieu capable de créer un monde de souffrance, d'absurdité et demort et de donner cependant à l'homme la notion innée de bonheur et de beauté.

Dieu est donc un être dont lacruauté et le cynisme total dépassent l'entendement et les personnages de Beckett témoignent de cette sorted'étincelle divine qui les habite par des manifestations d'un sadisme tout aussi gratuit qu'effréné.

Effectivement, lesrelations qu'entretiennent les personnages paraissent essentiellement fondées sur la souffrance: Pozzo donne desordres à Lucky en utilisant en permanence un fouet ce qui rappelle la relation de servitude qui lie Clov à Hamm dansFin de partie et Vladimir et Estragon décochent des coups de pied à Lucky alors qu'il est étendu par terre.

Dieu créal'homme à son image et l'être né de cette genèse est comme lui: malveillant et sadique.

Parler de Dieu dans l’œuvrede Beckett, c'est parler d'un être cruel caractérisé par son absence et non par son inexistence.

Les personnagesressentent sa présence comme un manque, une blessure alors que son inexistence n'éveillerait rien.

Ils se sententabandonnés dans une solitude qu'ils considèrent comme une injustice et c'est pourquoi les deux pièces sedéveloppent dans une atmosphère de revendication et de plainte, elles affirment le néant tout en s'emportantcontre lui.

La célèbre réplique de Hamm le confirme: « Le salaud! Il n'existe pas »[11]Mais si les personnages eux-même créaient cette absence de Dieu? Si le langage qu'ils utilisaient les éloignait de ceDieu, si l'image cruelle qu'ils s'en font n'était finalement qu'une illusion? En effet, le langage semble inaugurer cetteabsence de Dieu: les mots sont ce qui empêche d'accéder vraiment à cet objet.

Vladimir et Estragon, par exemple,s'évertuent à faire entrer celui qu'ils attendent dans le monde du palpable mais c'est alors qu'il disparaît:ESTRAGON -Tu m'as fait peur.VLADIMIR -J'ai cru que c'était lui.ESTRAGON -Qui?VLADIMIR -Godot.ESTRAGON -Pah! Le vent dans les roseaux.[12]Tout se passe comme si le langage rendait ce Dieu inaccessible.

Les multiples reprises d'expressions par dessynonymes dans cette pièce montrent la difficulté des personnages à essayer de ramener Dieu dans leur système.Les protagonistes accusent Dieu d'être cruel alors qu'il ne s'agirait qu'une impossibilité pour eux de l'entendre.

Apartir du moment où il est nommé, Dieu est aliéné, il perd sa substance sacrée qui le constitue.

Dieu n'est pas cruelmais cette idée vient de ce que les personnages ne peuvent l'atteindre car ils ont conçu Dieu selon un faux modèle:il devient donc un pseudo-Dieu crée par le langage rationalisant dans un univers où la vie se réduit à un ensemblede pouvoirs qui ne s'exercent que dans un contexte factice, un monde clos sur lui-même qui ne supporte aucune. »

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