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Bergson: Qu'est-ce que la conscience ?

Publié le 20/04/2004

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bergson
Qu'est-ce que la conscience? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l'expérience de chacun de nous. Mais, sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu'elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d'abord mémoire. La mémoire peut manquer d'ampleur; elle peut n'embrasser qu'une faible partie du passé; elle peut ne retenir que ce qui vient d'arriver; mais la mémoire est là ou bien alors la conscience n'y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s'oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant. Toute conscience est donc mémoire, conservation et accumulation du passé dans le présent. Mais toute conscience est anticipation de l'avenir. Considérez la direction de votre esprit à n'importe quel moment : vous trouverez qu'il s'occupe surtout de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L'attention est une attente, et il n'y a pus de conscience mana une certaine attention à la vie. L'avenir est là; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui; cette traction ininterrompue, qui nous tait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l'avenir. Retenir ce qui n'est déjà plus, anticiper sur ce qui n'est pas encore, voilà donc la première ponction de la conscience. Il n'y aurait pus pour elle de présent, si le présent se réduisait à l'instant mathématique. Cet instant n'est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l'avenir; il peut à la rigueur être conçu, il n'est jamais perçu. Ce que nous percevons en fait, c'est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés; s'appuyer et se pencher ainsi est le propre d'un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d'union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l'avenir. Bergson
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« comme c'est le cas dans tout présent sensori-moteur, au coeur de l'action mécanique : si mon degré deconscience est faible, en cet automatisme efficace, il n'en reste pas moins que cette conscience supposemémoire.

En effet, percevoir c'est se souvenir, car la moindre sensation suppose une successiond'ébranlements élémentaires qui se conservent.

De même, pour coordonner efficacement les gestes sous[impulsion de la sensation, il faut bien qu'un mécanisme déjà emmagasiné et conservé soit mobilisé.

Ainsitout présent sensori-moteur d'un être doué de vie et de sensibilité suppose mémoire, donc un certain degréde conscience.

En droit, la mémoire est coextensive à la conscience et la conscience à la vie.L'hypothèse leibnizienne d'une conscience instantanée s'avère contradictoire, ce qui démontre que lamémoire est bien l'essence de la conscience.

Leibniz, ce penseur de la continuité, voyait dans les simplesvivants - plantes et matières inorganiques - de l'esprit déjà, mais instantané.

À propos des plantes, parexemple, il parlait de «conscience sourde» ou de « perception simple» non accompagnée de mémoire.

Mais,aux yeux de Bergson, instantanéité et sensibilité ne peuvent aller de pair, puisque la sensation est déjàmémoire.

Il faut donc admettre que si la matière inanimée est «un esprit instantané», elle est insensible : unpur présent instantané serait la pure inconscience d'une matière inerte et insensible, et il faudrait alorsrenoncer à parler d'esprit.

Une perception instantanée, sans mémoire, est impossible, car percevoir, êtresensible, être conscient, c'est toujours un tant soit peu se souvenir.

La conscience ne peut se concevoirsans durée, sans passé survivant dans la mémoire - de manière spirituelle et/ou mécanique - et seconservant en chaque présent, de lui-même.

La mémoire n'est donc pas une fonction de la conscience : elleest la conscience elle-même, comme conservation du passé au présent.

La conscience est par essencemémoire.Si le passé se conserve ainsi, s'il fait boule de neige avec lui-même, alors la conscience ne vit jamais lesmêmes états : il suffit que du temps ait passé pour qu'elle se transforme qualitativement et progresse, et,par là, s'ouvre à la nouveauté et à l'avenir.

La conscience est tension.

Et c'est parce qu'elle est rétention dupassé qu'elle est tension vers l'avenir. [2) Parce qu'elle est mémoire, la conscience est perpétuelle anticipation.] Ainsi, c'est «en vue de ce qui va être» que notre esprit s'occupe de ce qui est.

Si chacun en revient auxdonnées immédiates de sa conscience et coïncide intuitivement avec le mouvement de sa durée spirituelle,en se faisant contemporain de l'action en train de se faire, il s'aperçoit alors que son courant de conscienceest vectoriellement orienté.

Chaque présent ne prend sens qu'en fonction de buts et fins visés.

Or, lapréparation de ce qui sera requiert l'utilisation de ce qui a été, car, pour prévoir et agir, il faut se souvenirdes occurrences passées.

C'est donc parce que la conscience est perpétuelle rétention du passé qu'elle esttension vers l'avenir, c'est-à-dire progrès - du latin progredior, je m'avance vers, je vais de l'avant.

Ainsichaque présent est création d'avenir, préparation de ce qui sera, projection et projet.

Ce qui est, c'esttoujours ce qui se fait sur le mode du projet.C'est pourquoi la conscience est attention, c'est-à-dire concentration spirituelle.

En effet, seule uneconscience qui retient le passé et anticipe l'avenir est une conscience attentive.

Cela apparaît clairementdans l'intention signifiante : lorsque j'écoute ou construis un discours, je ne suis vraiment attentif à chacunde ses mots, à chacune de ses phrases, que dans la mesure où je me souviens de ce qui a déjà étéprononcé et où j'attends une totalité sensée à chaque articulation du discours.

«L'attention est uneattente», et il en va de la vie et de l'action comme du discours : chaque présent ne prend sens qu'enfonction de ce que j'attends de sa réalisation.

La vie d'un être conscient peut être pensée comme tension etmouvement orienté vers l'avenir.L'avenir anticipé, en effet «nous tire à lui».

Sa force de traction est une force d'attraction.

C'est parce qu'ilest attrayant, qu'il a pour nous de l'attrait, que l'avenir nous tire, nous fait progresser, aller de l'avant, sanstrêve.

La temporalité propre à la conscience a ceci d'original que le sens du présent ne lui vient passeulement du passé, mais aussi et surtout de l'avenir.

Ainsi nous sommes sans cesse en mouvement, enprojet, et c'est pourquoi «nous agissons continuellement» : ces projets, ces projections de nous-mêmes,ces buts, nous poussent à entreprendre, à faire pour réaliser.

Pour un vivant conscient, exister, c'est agir etainsi, changer, se mûrir, se créer indéfiniment soi-même, en une durée mélodique et continue.Si la conscience se spécifie par son rapport au passé et à l'avenir, si elle est par essence mémoire etanticipation, projet, comment alors penser la nature de son présent, pénétré de passé qui perdure, et tenduvers l'avenir qui l'attire? N'y a-t-il pas à craindre que son présent en soit dévalorisé? [3) Il n'en est rien, car le présent a une épaisseur qui le fait durer :la conscience, synthèsedynamique, est la durée elle-même.] Le rapport de la conscience à un double non-être, passé et avenir, pourrait laisser craindre qu'il n'y ait pourelle ni présent ni plénitude de la présence à l'être.

Si, en effet, le propre de la conscience est de retenir cequi n'est plus, de se diriger vers ce qui n'est pas encore, il pourrait sembler que le pur présent, séparé dupassé et de l'avenir, se réduit à un instant infinitésimal aussitôt disparu que paru : aussitôt saisi, il serait«déjà loin de nous», et un tel instant serait au fond privé d'être.

Mais ce n'est qu'une apparence créée parl'entendement abstrait et l'intelligence analytique de la science.

En physique et en mathématique, on opèresur des discontinuités, on divise, sépare.

Il s'agit du temps conçu, qui ignore toute durée, toute continuité :rien d'étonnant, alors, à ce que l'on réduise l'épaisseur du présent vécu à l'instant infinitésimal, qui n'estqu'une représentation intellectuelle.

Ce temps conçu est un temps abstrait, irréel, un temps qui ne dure pas: on découpe des instantanés juxtaposés et discontinus du mouvement, qui nient le mouvement lui-même,dans sa continuité indivise, dans sa succession de moments qui s'interpénètrent.

On voit alors les choses du. »

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