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Berkeley et les couleurs

Publié le 04/02/2011

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berkeley

1. La valeur exemplaire du questionnement sur la couleur

Que voyons-nous au juste ? Des formes et des couleurs. Commençons par les couleurs. Ce sont des sensations qui n'existent comme telles que dans la sensibilité d'un être sentant. Il n'y a du rouge et du vert que dans la vue d'un voyant, et si celui-ci est daltonien, les deux ne font éventuellement qu'un. La couleur n'existe pas sur l'objet matériel, comme on l'estime par une sorte de projection psychologique, mais dans notre perception. S'il n'y avait que des aveugles, il n'y aurait pas de couleur. Et d'ailleurs le même objet nous apparaît avec des couleurs sans cesse changeantes, en fonction de l'éclairage, de la distance, de notre état de santé (comme lors d'une jaunisse...). Les appréciations divergentes des uns et des autres sur telle ou telle couleur laissent nettement supposer que nous n'avons la même sensation (comme il apparaît clairement avec d'autres sensations comme les bruits ou les odeurs). Pour sauver notre croyance que l'objet matériel a vraiment une couleur, on se raccroche alors à la distinction entre une couleur réelle et des couleurs apparentes. Mais laquelle aurait donc le privilège d'être réelle à travers toutes celles qui apparaissent ? Celle qu'on voit de près ? La difficulté est qu'avec un microscope, on voit d'encore plus près, on devrait donc s'approcher davantage de la \"vraie\" couleur, alors que nous voyons alors avec encore d'autres couleurs. Il faut donc s'y résigner : \"Les couleurs, les sons, les saveurs (...), n'ont certainement pas d'existence hors de l'intelligence.\"

2. Il est vain de prétendre distinguer des qualités \"objectives\"

Pour échapper à cette argumentation, on peut avoir recours à la distinction classique entre des qualités secondes, qui existent dans la sensation (couleurs, odeurs, etc.) et des qualités premières qui seraient vraiment des propriétés de l'objet (sa forme, sa solidité, son mouvement, etc.). Un objet matériel, se dit-on, a bien en lui-même une forme qui est la sienne. Cependant, personne n'a jamais vu un dé cubique. Suivant la distance et l'angle, nous en voyons une, deux ou trois faces, formant des losanges à angles variables. Quelle est la vraie forme du dé ? Un cube est une forme qu'on pense, mais qu'on ne voit jamais. Cette forme est un système de relations géométriques qui n'existe que dans une intelligence. Et ce qu'on en voit réellement ne sont que des formes changeantes qu'il est abusif de disqualifier d'apparentes, puisqu'il n'y en a pas d'autres que celles-là. Le toucher paraît aux plus sceptiques un argument plus \" solide\" en faveur de l'existence matérielle de l'objet : on peut s'y cogner, ça c'est une preuve... Or ce qui est donné par le toucher est très manifestement et très étroitement lié au sujet percevant. L'expérience des récipients d'eau montre clairement que le chaud et le froid ne peuvent pas avoir d'existence dans la matière, puisque le même objet peut à la fois et en même temps nous paraître froid et chaud . La solidité est tout aussi subjective : \" (la dureté ou la résistance...) sont toutes deux clairement relatives à nos sens : car il est évident que ce qui semble dur à un être animé, peut paraître doux à un autre qui a plus de force et de vigueur dans ses membres.\"

3. La matière, notion inutile et contradictoire

Rien d'autre ne nous est donné que nos sensations. Ce que nous appelons objet matériel n'est finalement qu'une combinaison de sensations. Dire qu'il existe autre chose que les sensations qui serait nécessairement \"support\" ou origine de ces sensations, n'est qu'une pétition de principe gratuite, puisqu'elle affirme quelque chose d'incontrôlable. C'est de plus inutile puisque la supposée existence de la dite matière n'amène aucun autre renseignement que ceux donnés par la sensation. C'est enfin incohérent, car des sensations ne peuvent exister que dans un être sentant. Si l'on appelle matière quelque chose qui existe hors de l'esprit, et qui ne soit pas doué de sensibilité, on parle de quelque chose de contradictoire, car on ne voit pas du tout comment ce qui est sensation pourrait exister dans quelque chose qui n'est pas sentant. Il n'y a donc que deux modes d'être attestés : celui des sensations, et celui de la faculté de percevoir ces sensations. D'où la célèbre formule de Berkeley : \"Être, c'est être perçu ou percevoir\".

Nier toute existence et même toute signification cohérente à la notion de matière n'est pas du tout pour Berkeley une mise en question de l'existence du monde : \" Que les choses que je vois de mes yeux et celles que je touche de mes mains existent bien, qu'elles existent réellement, je ne soulève aucune question à ce sujet. La seule chose dont nous nions l'existence, est celle que les philosophes appellent matière ou substance corporelle.\" (Principes de la connaissance humaine). L'immatérialisme est totalement opposé au scepticisme, il affirme l'existence indubitable d'un monde, attesté par toutes les sensations. Mais justement, le monde n'est rien d'autre que l'ensemble de ces sensations, et la faculté de les percevoir. C'est plutôt le postulat matérialiste qui rend sceptique. Il y a évidemment dans cette démarche une perspective apologétique, qui tend à montrer que la notion de dieu est plus pertinente que celle de matière pour rendre compte de l'existence du monde.

 

4. L'immatérialisme

 

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