BERTRAND DE BORN
Publié le 01/09/2013
Extrait du document
«
Philippe leur retard à secourir en Orient le roi Conrad, il déclare avoir été retenu, pour son
compte,
par les charmes de sa dame.
Car ce brutal eut un amour : ne parlons pas des deux femmes qu'il épousa : une Rosemonde,
puis
une Philippe, dont il devait avoir en tout cinq enfants, -mais une certaine Maheut de
Montignac, objet de ses chants, cette personne « fraîche et fine, mignonne, gracieuse et délicate,
à la chevelure ardente comme rubis, à la peau blanche comme fleur d'aubépine, aux coudes potelés,
aux tétons durs, à l'échine de lapin » qu'il décrit dans une pièce célèbre.
Amoureux infidèle,
comme
ami ou ennemi opportuniste et versatile! Il devait exciter la jalousie de Maheut contre
une certaine Guicharde et se voir provisoirement congédié, - quitte à adorer les plus beaux
fragments d'un certain nombre de dames nouvelles, pour reconstituer, par un ingénieux puzzle,
l'idole
perdue ...
Ses amours, d'ailleurs, prennent une allure martiale comme le reste : mais, sous
la chemise de l'amant comme sous l'armure du chevalier, on peut douter qu'il ait élevé ses actes
à la hauteur de ses chants.
Ce politique égoïste
et perfide, ce chevalier hâbleur et inconstant, sorte, comme on l'a dit,
de« condottière lyrique», devait finir étrangement sous la capuce d'un moine de l'ordre de Cîteaux,
à l'abbaye de Dalon, proche de Hautefort, où des documents sûrs nous le montrent installé dès
l 197· On trouve à la date de 1215, dans la chronique de B.
Itier, bibliothécaire de Saint-Martial
de Limoges, cette phrase laconique : « Octava candela in sepulcro ponitur pro Bertrando de Born.
»
Dès l 194, d'ailleurs, Bertrand, à ce qu'il semble, avait cessé d'écrire.
Les
chansonniers, ou manuscrits anthologiques des troubadours, nous ont gardé de Bertrand
de Born quarante-deux sirventès ou chansons, soit vingt-sept poésies politiques, sept poésies
amoureuses
et huit pièces d'intention morale ou politique.
L'ensemble a fait l'objet d'une édition
et d'une étude définitive d'Antoine Thomas, d'une belle publication aussi del' Allemand Stimming.
Parmi les poésies guerrières, on admire surtout le sirventès Pois Ventadorns e Comborns ab
Segur par lequel il excite les barons à se liguer contre Richard, le sirventès Ar ve la coindeta sa;::,os,
saluant, par un de ces revirements dont le poète est familier, l'arrivée du même Richard, le Mes
sage du roi Conrad à Tyr (Arasai eu de pretz cual l'a plus gran) le Plaint sur la mort du Jeune roi
(Si tuit li dol elh plor elh marrimen) où il fait voir, avec beaucoup d'art, une émotion presque sincère,
surtout,
et peut-être, le demi-sirventès (Mei sirventes volhfar dels reis amdos) sur la guerre de Richard
et d' Alfonse, où éclate toute sa mâle joie devant les combats auxquels il ne prend point part :
« Si les rois sont tous deux vaillants et hardis, nous aurons tôt fait de voir les champs jonchés
de débris de heaumes et d'écus, d'épées et d'arçons; nous verrons partout des cadavres fendus
de
la tête à brayette et au hasard les destriers courants, et mainte lance enfoncée à travers les
poitrines ...
»
Entre ses poésies amoureuses, relativement moins intéressantes, les anthologistes retiennent
volontiers sa Justification à Maheut (Eu m'escondisc, dompna, que mal non mier) où, sous l'amant, éclate
le mieux le
hobereau paillard et violent : « Si jamais, fut-ce par la pensée, j'ai commis quelque
faute envers vous, puissé-je,
quand je serai seul avec une femme dans une chambre ou un jardin,
me trouver impuissant et hors d'état de faire mon devoir ...
»
C'est parmi les pièces morales et satiriques qu'on range généralement son chef-d'œuvre,
le sirventès
Be m plat;::, lo gais temps de Pascor :
J'aime
le joyeux temps de Pâques
Qui fait venir feuilles et fleurs
Et j'aime entendre la rumeur
Des oiseaux qui font retentir
Leur chant par le bocage;
Et j'aime voir sur les prairies
Tentes et pavillons dressés,
Et j'ai grande allégresse,
Lorsqu'aux champs je vois se dresser
Chevaux et cavaliers en armes.
Impétueux, mordant, fort, concis, animé, coloré, on se demande quelles vertus de la plume
belliqueuse ont manqué à ce Tyrtée limousin, le plus grand sans doute, comme le premier en
date, de nos poètes militaires..
»
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