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BERTRAND DE BORN

Publié le 01/09/2013

Extrait du document

 

vers 1150 -avant 1215

S'IL était question de donner la palme à l'un de nos grands poètes méridionaux des xne et mie siècles, Bertrand de Born, à coup sûr, serait sur les rangs. Du moins apparaît-il comme le type achevé du troubadour politique et guerrier.

Il naquit vers le milieu du XIIe siècle à Hautefort — Rom étant le nom d'un étang et d'une foret, non loin de là. Il n'est que de se référer à la vieille biographie provençale d'Uc de Saint-Cire, miroir grossissant peut-être, mais où se réfléchit grossièrement la figure du poète, telle qu'ont pu la voir les contemporains :

« Bertrand de Rom était seigneur d'un château appelé Hautefort, dans l'évêché de Périgord. Toujours il fut en guerre avec ses voisins et avec le comte de Périgord, tant que celui-ci resta comte de Poitiers. Il fut bon chevalier, bon guerrier, bon troubadour, et avisé, et galant. Et il était l'hôte, chaque fois qu'il le voulait, du roi d'Angleterre et de son fils... Mais il voulait toujours qu'ils fussent en guerre entre eux... «

Sur toutes choses, dès l'abord, un fomenteur de disputes.

Il faut, pour comprendre cette activité essentielle de Bertrand, se rappeler que l'Aquitaine était alors le théâtre des rivalités des trois fils de Henri II d'Angleterre : Henri au Court Mantel, Richard Coeur de Lion, comte de Poitiers, et Godefroy; rivalités qui armèrent bientôt contre le roi et le comte l'aîné et le benjamin jaloux. Il faut savoir, d'autre part, que Bertrand de Born avait eu maille à partir avec son propre frère Constantin, par lui accusé de l'avoir lésé dans le partage des biens paternels, et que Richard Coeur de Lion avait pris, au moment critique, le parti de Constantin : de là l'empressement du troubadour à verser une huile périgourdine sur le feu des querelles anglaises, et cette rage, notamment, d'animer contre le vieux roi celui qu'on appe­lait le « Jeune roi «, rage qui lui a valu si belle place au Chant XXVIII de l'Enfer du Dante : « J'ai vu, et il me semble que je le vois encore, un buste décapité marchant ainsi que marchaient les autres dans ce groupe funèbre. Il tenait sa tête par les cheveux, suspendue à sa main, en guise de lanterne..., et cette tête nous regardait et disait : « — Hélas !... Parce que j'ai séparé des per­sonnes que le sang unissait, je porte « mon cerveau séparé du buste sur lequel il devrait reposer... «

 

Dès la terre, d'ailleurs, sa passion de faire battre les murs valut à Bertrand de Born certains revers. C'est ainsi que, Henri au Court Mantel étant mort de maladie à Martel, en 1183, au cours de sa guerre monstrueuse, le troubadour vit sa propre terre de Hautefort occupée par l'ennemi même qu'il avait suscité. Une belle légende le montre assez piteux aux pieds du roi Henri, au reste aussi habile, pour se tirer de difficulté, à faire vibrer chez le père la corde paternelle, qu'hier, chez le fils, la corde parricide.

« Philippe leur retard à secourir en Orient le roi Conrad, il déclare avoir été retenu, pour son compte, par les charmes de sa dame.

Car ce brutal eut un amour : ne parlons pas des deux femmes qu'il épousa : une Rosemonde, puis une Philippe, dont il devait avoir en tout cinq enfants, -mais une certaine Maheut de Montignac, objet de ses chants, cette personne « fraîche et fine, mignonne, gracieuse et délicate, à la chevelure ardente comme rubis, à la peau blanche comme fleur d'aubépine, aux coudes potelés, aux tétons durs, à l'échine de lapin » qu'il décrit dans une pièce célèbre.

Amoureux infidèle, comme ami ou ennemi opportuniste et versatile! Il devait exciter la jalousie de Maheut contre une certaine Guicharde et se voir provisoirement congédié, - quitte à adorer les plus beaux fragments d'un certain nombre de dames nouvelles, pour reconstituer, par un ingénieux puzzle, l'idole perdue ...

Ses amours, d'ailleurs, prennent une allure martiale comme le reste : mais, sous la chemise de l'amant comme sous l'armure du chevalier, on peut douter qu'il ait élevé ses actes à la hauteur de ses chants.

Ce politique égoïste et perfide, ce chevalier hâbleur et inconstant, sorte, comme on l'a dit, de« condottière lyrique», devait finir étrangement sous la capuce d'un moine de l'ordre de Cîteaux, à l'abbaye de Dalon, proche de Hautefort, où des documents sûrs nous le montrent installé dès l 197· On trouve à la date de 1215, dans la chronique de B.

Itier, bibliothécaire de Saint-Martial de Limoges, cette phrase laconique : « Octava candela in sepulcro ponitur pro Bertrando de Born.

» Dès l 194, d'ailleurs, Bertrand, à ce qu'il semble, avait cessé d'écrire.

Les chansonniers, ou manuscrits anthologiques des troubadours, nous ont gardé de Bertrand de Born quarante-deux sirventès ou chansons, soit vingt-sept poésies politiques, sept poésies amoureuses et huit pièces d'intention morale ou politique.

L'ensemble a fait l'objet d'une édition et d'une étude définitive d'Antoine Thomas, d'une belle publication aussi del' Allemand Stimming.

Parmi les poésies guerrières, on admire surtout le sirventès Pois Ventadorns e Comborns ab Segur par lequel il excite les barons à se liguer contre Richard, le sirventès Ar ve la coindeta sa;::,os, saluant, par un de ces revirements dont le poète est familier, l'arrivée du même Richard, le Mes­ sage du roi Conrad à Tyr (Arasai eu de pretz cual l'a plus gran) le Plaint sur la mort du Jeune roi (Si tuit li dol elh plor elh marrimen) où il fait voir, avec beaucoup d'art, une émotion presque sincère, surtout, et peut-être, le demi-sirventès (Mei sirventes volhfar dels reis amdos) sur la guerre de Richard et d' Alfonse, où éclate toute sa mâle joie devant les combats auxquels il ne prend point part : « Si les rois sont tous deux vaillants et hardis, nous aurons tôt fait de voir les champs jonchés de débris de heaumes et d'écus, d'épées et d'arçons; nous verrons partout des cadavres fendus de la tête à brayette et au hasard les destriers courants, et mainte lance enfoncée à travers les poitrines ...

» Entre ses poésies amoureuses, relativement moins intéressantes, les anthologistes retiennent volontiers sa Justification à Maheut (Eu m'escondisc, dompna, que mal non mier) où, sous l'amant, éclate le mieux le hobereau paillard et violent : « Si jamais, fut-ce par la pensée, j'ai commis quelque faute envers vous, puissé-je, quand je serai seul avec une femme dans une chambre ou un jardin, me trouver impuissant et hors d'état de faire mon devoir ...

» C'est parmi les pièces morales et satiriques qu'on range généralement son chef-d'œuvre, le sirventès Be m plat;::, lo gais temps de Pascor : J'aime le joyeux temps de Pâques Qui fait venir feuilles et fleurs Et j'aime entendre la rumeur Des oiseaux qui font retentir Leur chant par le bocage; Et j'aime voir sur les prairies Tentes et pavillons dressés, Et j'ai grande allégresse, Lorsqu'aux champs je vois se dresser Chevaux et cavaliers en armes.

Impétueux, mordant, fort, concis, animé, coloré, on se demande quelles vertus de la plume belliqueuse ont manqué à ce Tyrtée limousin, le plus grand sans doute, comme le premier en date, de nos poètes militaires.. »

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