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A-t-on besoin d'un maître pour penser par soi-même ?

Publié le 07/08/2005

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La question peut-être au premier abord embarrassante puisque, de toute évidence, une pensée sous tutelle peut difficilement être une pensée libre. Si d'un côté persiste un maître, on peut penser que de l'autre persiste aussi un disciple, ou, de manière plus extrême, un esclave. Que le maître soit maître d'oeuvre ou maître à penser il exerce toujours une influence sous laquelle s'élève la pensée de l'élève. Le maître, s'il éveille la pensée chez son disciple, s'il en est la condition, n'en est pas moins non plus ce qui la conditionne. Il reste cette direction, cette ensemble de pas tracés, que suit inlassablement l'inauthentique copie d'un modèle: le disciple. Et en effet, comment ne pas penser que l'ombre du maître hante chacun des chemins du voyageur? Comment caractériser déjà ce maître? Il semble qu'il incarne le point culminant de la pensée qu'il enseigne, il la présente à son état d'achèvement ici-bas, et devient par là-même un idéal incarné, le point cardinal qui détermine le canal où évolue la pensée de son disciple. Cependant, il n'est pas non plus entièrement un idéal puisque précisément il existe, qu'il est atteignable, et même dans le fantasme du disciple, potentiellement dépassable. Le maître exige de son auxiliaire une puissance, une puissance qu'il a discerné en lui, qui l'a poussé à l'accepter à ses côtés, une puissance qu'il a en charge d'aiguiser tout au long du chemin qu'ils parcourent ensemble. Cette force qui habite le maître, le maître l'a précisément reconnu en la personne de son disciple: il y a en cela une identification à l'oeuvre et à double sens dans cette relation privilégier. Le maître se reconnaît dans son disciple, il y voit son passé, ce qu'il a été. Le disciple, s'identifie au maître, ce dernier étant ce qu'il désire devenir. L'un regarde en arrière en voyant l'autre; l'autre regarde en avant en voyant l'un. C'est dans ce croisement qu'évolue la relation une relation qui apporte profit de toute évidence au deux membres. Le couple se construit dans l'échange: l'un y exerce son désir de transmettre, l'autre son désir de recevoir. Et l'on comprend alors que de l'authenticité du désir du maître dépend directement la condition du disciple: soit il n'est que le serf sur lequel s'exerce un désir de domination, soit il n'est disciple que pour ne finir par le plus l'être, pour que s'effacent bientôt les rôles qui ont présidé à la naissance de sa propre pensée.

« qui l'intronise à la place du maître.

Le disciple doit aller chercher en lui les conditions de ce dépassement: cettedialectique lui donne la puissance de penser, et de penser mieux et autrement que le maître.

La liberté n'en est doncpas affectée, au contraire puisqu'elle puise au cœur de cette relation les raisons de sa relance. Nietzsche: l'effronté 2. Qui peut-être mon maître? Est-ce celui qui débute ses phrases par « Tu dois », un « Tu dois » impératif qui commande mes actes, qui me fait héritier de ses valeurs, Chameau – comme le nomme Nietzsche – porteur de sa morale? Le problème étant que l'homme bien souvent choisit un maître enverslequel il affiche toute la piété qui est convenable, et lui dresse des autels qu'ilastique autant que faire se peut.

Dans cette forme « antiquaire » de l'histoire que l'homme bénit comme indépassable, le maître est cette figure verslaquelle on se retourne avec nostalgie.

Il devient à lui seul une raison de neplus agir, de ne plus penser, parce qu'il a jeté les bases nécessaires etsuffisantes qui n'ont qu'à être suivies.

Il devient celui qu'on imite: orl'imitation, contrairement à l'identification ne fait pas appelle au dépassement.Ainsi la tradition s'abat-elle sur un histoire fatiguée et fatigante qui laisseplace à l'éternelle répétition du même.

Qu'on pense à l'art pictural chinoisavant l'apparition de peintres modernes comme Zao Wou Ki. Il faut être injuste envers ce type de maître, l'oublier, pour devenir l'artiste,soit celui qui crée.

On est même dans ce cas invités au parricide spirituel,devenant par delà-même la fureur du lion qui piétine un sentier pré-tracé, quibrise les statues maîtresses qui n'éduquent que la servitude.

Enfin, en niantce poids de l'hérédité spirituelle, on passe du chameau au lion, puis du lion àl'enfant, soit celui qui pose un regard nouveau sur le monde, qui ne réinventelui et ses valeurs.

Le penseur éprouve pour Nietzsche comme un fatum, un destin qui parle en lui, comme une nécessité interne qui lui demande de devenir ce qu'il est.

Le devoir lui vient del'intérieur, l'impératif lui vient de possible que la vie lui somme d'accomplir.

Le penseur écoute cette voix intérieurequi le pousse à agir et à être par là même inactuel, en rupture avec son temps, en rupture avec ce qu'il a appris.

Laseule manière d'apporter du neuf, c'est de faire le deuil de son passé, d'oublier l'ombre historique derrière soi, pourenfin créer, enfin être l'enfant hors de son temps. C'est sur cette ruine du passé que persiste cependant quelques éducateurs, des monuments auprès desquels on retrouve la force de se battre lorsque l'énergie est tarie.

On pourrait dire que le maître est toujours chez Nietzscheformel , ce n'est jamais un maître de fond .

Qu'est-ce à dire? Le penseur retrouve en certains, au travers des siècles, cette liberté de penser malgré et contre son temps, cette force intempestive: il peut admirer et prendre pour maîtrecette forme de la pensée.

Mais le fond de sa pensée est sans maître: elle lui est dictée par une sorte de nécessitéintérieur qui ne peut supporter aucun maître, un fond de pensée qui demande en somme une totale licence pour êtreparfaitement la pensée d'un seul homme.

Le maître dans sa forme est un modèle, le maître à penser est un tyran.

L'innovation 3. Toujours est-il qu'on ne naît pas maître, on ne né pas créateur de sa pensée.

Il existe une somme de phasetransitoire par lesquelles il peut être utile de passer pour enfin accéder à l'innovation.

En termes nietzschéens, ilnous faut d'abord porter le poids, le fardeau des valeurs acquises de notre temps, avant de s'en émanciper.

Lemaître n'est pas un père, une relation imposée: on se porte bien souvent vers son maître parce qu'on sent entre sapensée et la notre une certaine affinité.

La filiation est spirituelle, non pas de sang.

Or, le ressort de cerapprochement n'est jamais l'imitation de la personne du maître.

Nous l'avons dit, maître et disciple se retrouventeux-même dans l'autre: et c'est ce jeu de miroir qui palpite au cœur de leur rencontre.

Cependant, ce jeu de miroirse fait dans une temporalité particulière garante du lien et du détachement.

Expliquons-nous. Le maître se voit dans le disciple tel qu'il a été en partie.

Le disciple se voit dans le maître tel qu'il voudrait en partieêtre.

L'identification est donc toujours partielle, et laisse un jeu de chaque côté à une individualité originale et libre.Et à vrai dire, elle repose entièrement sur ce ressort.

C'est précisément parce que le maître inspire au fait que sondisciple soit plus et autrement pour que sa reconnaissance affiche sa pleine valeur, que le disciple aspire à être plusque et différent de son maître, que les deux s'apportent et progressent.

C'est parce que l'identité des deux termesaspirent toujours à transcender cette identité que la liberté de pensée existe et persiste.

Le maître se reconnaîtdans le disciple, et à tout à la fois, il sait qu'il n'est pas lui, qu'il est plus potentiellement.

Et parce qu'il détectecette potentialité, il espère sa réalisation pour être reconnu par celui qu'il reconnaît pleinement.

Le disciple quant àlui sait qu'il ne gagnera la reconnaissance du maître qu'en étant à la fois même et autre.

Il lui ressemble, et tout à lafois il est différent, il peut être lui et tout à la fois il peut le dépasser.

C'est parce que l'identification est partielle,qu'il existe une différence radicale au sein de la relation que cette dernière n'est jamais biaisée. La dialectique du maître et du disciple dépasse celle du maître et de l'esclave que parce que le maître voit déjà lemaître dans le disciple: il n'y a plus cette insatisfaction latente qui finissait par renverser la relation entre le maître. »

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